Nigéria
La vague de désinformation qui vise actuellement au Nigeria la Commission électorale et les juges de la Cour suprême, appelés à statuer sur la présidentielle, révèle un vaste discrédit des institutions dans le pays le plus peuplé d'Afrique, selon des experts.
Si les élections au Nigeria se caractérisent souvent par l'achat de voix et la violence, les défaillances techniques et les retards dans la transmission des résultats observés lors du vote du 25 février alimentent cette fois une désinformation galopante.
Elle est "vraiment un grand problème au Nigeria", observe Kemi Busari, directeur de la publication pour le Nigeria de l'organisation de fact-checking Dubawa. "Les gens se moquent des fact-checks. Tout ce qui leur importe ce sont leurs préjugés", regrette-t-il.
Les candidats arrivés derrière le vainqueur déclaré à la présidentielle, Bola Tinubu, représentant du parti au pouvoir, Atiku Abubakar et Peter Obi, respectivement deuxième et troisième, ont saisi fin mars la justice pour contester les résultats.
Les experts prévoient que ces recours arrivent jusqu'à la Cour suprême, comme lors de la précédente présidentielle en 2019.
Dans ce contexte particulièrement sensible, le service fact-check de l'AFP a démonté des dizaines d'informations erronées autour de ces élections, y compris une photo censée montrer le président élu Tinubu en train de corrompre à son domicile le juge en chef de la Cour suprême, Olukayode Ariwoola.
En réalité, sur l'image datant de 1996 on voit Bola Tinubu à Londres en compagnie d'un opposant de l'époque, Dele Momodu, qui a réfuté ces allégations sur les médias sociaux.
Les réseaux sociaux continuent cependant à charrier des affirmations sans fondement sur de prétendues tentatives de corruption par M. Tinubu des juges de la Cour suprême, voire de la Cour pénale internationale (CPI) qui n'a pourtant aucune compétence en matière électorale au Nigeria.
La forte pénétration des réseaux sociaux comme Facebook, WhatsApp ou TikTok, qui comptent quelque 36 millions d'utilisateurs dans le pays, permet à des rumeurs et fausses informations de s'y propager comme des feux de forêt.
Certaines actions du pouvoir exécutif ces dernières années avaient déjà entamé la confiance des citoyens en la justice. En octobre 2016, la police a ainsi perquisitionné les domiciles de deux juges de la Cour suprême, finalement lavés de tout soupçon.
Et en 2019, le plus haut magistrat du pays à l'époque, Walter Onnoghen a été inculpé de non-déclaration de biens, une manoeuvre politique selon les détracteurs du pouvoir. Les problèmes techniques, en particulier les retards dans la transmission des résultats après le vote, ont aussi nourri les soupçons de fraude.
"L'amère désillusion éprouvée par beaucoup de Nigérians est due non pas tant au fait que leur candidat n'ait pas gagné mais que l'élection à laquelle ils avaient osé se fier se soit révélée viciée d'une manière aussi inacceptable et inexcusable", a résumé dans un éditorial pour le magazine américain The Atlantic la romancière à succès Chimamanda Adichie.
Cette déception a attisé la désinformation à l'encontre de la Commission nationale électorale indépendante (INEC), y compris des affirmations fausses selon lesquelles un ministre, allié de M. Tinubu, aurait eu accès à l'ordinateur contenant les résultats avant que le vainqueur ne soit officiellement proclamé.
L'AFP a ainsi infirmé une vidéo ayant enregistré des milliers de vues prétendant montrer le président de la Commission électorale, Mahmood Yakubu, dînant chez Bola Tinubu au lendemain du scrutin. L'INEC a été visée par "une série de campagnes de calomnie désespérées de fauteurs de troubles", selon son porte-parole, Rotimi Oyekanmi.
Pour Afolabi Adekaiyaoja, expert au Centre for Democracy and Development, la justice et l'INEC auraient intérêt à prendre l'initiative d'une communication plus dynamique pour limiter la propagation des récits fallacieux.
"L'accès à l'information joue un rôle dans la réduction des inquiétudes des citoyens au sujet de ces processus" électoraux et judiciaires, fait-il valoir.
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