Nigéria
La diffusion d'images de jihadistes défaits et leurs familles se rendant à l'armée a provoqué un vif débat au Nigeria sur les véritables succès de l'armée dans sa longue guerre et sa stratégie face à des insurgés quittant la brousse.
Des dizaines de membres de Boko Haram ont été montrés sur des images de l'armée, en août, en train de se rendre à des soldats dans l'Etat de Borno, dans le nord-est du Nigeria. Certains tenaient des pancartes écrites à la main pour demander pardon aux Nigérians.
L'armée nigériane affirme que les défections massives des insurgés sont le résultat de l'intensification d'une campagne contre les camps de jihadistes pour mettre fin à un conflit vieux de 12 ans. Cette guerre a fait 40.000 morts et deux millions de personnes déplacées.
Mais selon des analystes et des sources sécuritaires, ces redditions sont probablement davantage liées aux pertes récentes de Boko Haram dans ses luttes contre des jihadistes rivaux du groupe Etat islamique en Afrique de l'Ouest, l'Iswap.
L'insurrection jihadiste qui a commencé en 2009 avec les attaques du groupe Boko Haram, est désormais presque exclusivement menée par l'Iswap.
Depuis mai et la mort du chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, lors d'affrontements avec des combattants de l'Iswap, ces derniers ont consolidé leur contrôle sur les territoires du nord-est.
L'armée nigériane a affirmé qu'environ mille membres repentis de Boko Haram se sont récemment rendus avec leurs familles, principalement dans l'État de Borno, au cœur du conflit.
Les défections de jihadistes ne sont pas rares au Nigeria. Mais pour l'armée, la récente vague de redditions est une preuve de ses succès militaires.
"Nous progressons et nous obtenons des résultats, et si nous continuons, et nous devrions le faire, nous pourrions conclure cet épisode dans le nord-est", a récemment déclaré le lieutenant-général Farouk Yahaya.
"Nous appelons les autres (jihadistes) qui se cachent dans la brousse à se rendre et à déposer les armes comme leurs collègues", a-t-il dit.
- L'Iswap tue ceux qui résistent -
Pour Vincent Foucher, chercheur au Centre national français de recherche scientifique (CNRS), la montée de l'Iswap après la mort de Shekau constitue la clé des défections, y compris pour les civils contraints de vivre sous Boko Haram et leurs combattants.
"Ils ont perdu le pouvoir face à l'Iswap et ils sentent qu'ils ne peuvent pas continuer à vivre comme avant sous le contrôle de l'Iswap", a-t-il déclaré. "Il est possible que certains commandants supérieurs se soient rendus, car ce sont eux qui ont le plus à perdre sous l'Iswap".
Le conflit au Nigeria a fluctué depuis son apparition en 2009. Boko Haram contrôlait certaines villes et de larges portions rurales du nord-est en 2014 avant d'en être chassé par les forces tchadiennes.
Une scission au sein de Boko Haram sur la stratégie menée par Shekau a conduit à l'émergence de l'Iswap. Mais la mort du chef de Boko Haram semble avoir été un tournant majeur dans le conflit.
Selon des sources sécuritaires, des chefs de l'Iswap éliminent régulièrement des factions de Boko Haram, tuent ceux qui résistent et offrent à ceux qui restent le choix de vivre sous l'Iswap ou de partir.
- Goût amer -
Les redditions de jihadistes de Boko Haram mettent également à l'épreuve le gouverneur de l'Etat de Borno, Babanaga Umara Zulum, alors que la colère gronde à Maiduguri, sa capitale, où des milliers de personnes déplacées par les violences vivent dans des camps.
De nombreux habitants redoutent également que d'ex-jihadistes puissent réintégrer la société.
"Nous devons choisir entre une guerre sans fin ou accepter prudemment des terroristes qui se sont rendus, ce qui est vraiment douloureux et difficile pour tous ceux qui ont perdu des êtres chers", a déclaré M. Zulum dans un communiqué.
Le Nigeria a mis en place un programme, "Safe Corridor", qui vise à réhabiliter d'anciens jihadistes pour les inciter à rendre les armes.
Selon M. Zulum, parmi les personnes qui se sont rendues récemment, nombreuses étaient celles qui ont été enrôlées contre leur gré.
"À moins que nous ne voulions continuer une guerre sans fin, je ne vois aucune raison pour laquelle nous devrions rejeter ceux qui souhaitent se rendre", a-t-il déclaré aux journalistes.
Mais pour de nombreux habitants de Maiduguri, cette situation laisse un goût amer.
"Ils vont réhabiliter ces terroristes, ils vont leur donner (...) une certaine somme d'argent pour recommencer leur vie. Nous sommes diplômés et qu'a fait le gouvernement pour nous ?", lance un habitant de Maiduguri, Guru.
"Vous ne pouvez pas tuer mon père, tuer ma mère, tuer mon frère, et (ensuite entendre) le gouvernement dire on vous pardonne et vous pourrez venir vous réinstaller dans la ville. Vous ne pouvez pas réhabiliter un terroriste en seulement six mois."
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