Côte d'Ivoire
Chaque jour au crépuscule, le ciel du Plateau se couvre de nuées de chauves-souris qui s'envolent en piaillant par dizaines de milliers entre les buildings du quartier des affaires d'Abidjan.
Une scène emblématique de la capitale économique ivoirienne qui pourrait disparaître, car ces petits mammifères sont menacés.
"Après avoir dormi toute la journée accrochées aux branches des arbres majestueux qui bordent les avenues du Plateau, les chauves-souris s'élancent, parfois avec leurs petits sous leurs ailes, vers le parc du Banco, une forêt primaire classée parc naturel à une dizaine de kilomètres de vol, où elles vont se nourrir toute la nuit d'insectes, de fruits et de fleurs", explique Magloire Niamien, biologiste et spécialiste des chiroptères d'Abidjan.
L'abattage des arbres en cause
Elles assombrissent d'un coup le ciel et le bruit de leurs cris et de leurs battements d'ailes couvrent presque celui de la circulation. Auteur d'une thèse sur ces animaux, Magloire Niamien avait estimé leur population à un million d'individus il y a quinze ans. "Elle a drastiquement diminuée", affirme-t-il. En cause, l'abattage des arbres dû à l'urbanisation galopante et le braconnage, sans qu'on puisse chiffrer les pertes, faute d'étude récente.
La chauve-souris paillée (l'espèce la plus nombreuse au Plateau) est désormais considérée comme "quasi-menacée" par l'Union internationale pour la Conservation de la Nature, rappelle l'enseignant-chercheur à l'université de Korhogo (Nord).
"Jusqu'à la moitié de la population de chauves-souris aurait migré ailleurs", avance le professeur Inza Koné, directeur du Centre suisse de recherche scientifique en Côte d'Ivoire, qui a également travaillé sur ce sujet.
La cohabitation entre la population et les chiroptères est parfois difficile: on les accuse de faire trop de bruit avec leurs cris stridents, même en plein jour, de souiller passants et voitures en déféquant.
"Il y a eu des pétitions pour exiger une action des autorités, des arbres sont coupés volontairement pour les faire partir", raconte le biologiste Blaise Kadjo, spécialiste des mammifères et professeur à l'université Felix Houphouët-Boigny d'Abidjan.
Une cohabitation difficile
Les gens ont aussi peur des zoonoses (maladies qui se transmettent de l'animal à l'homme), car les chauves-souris sont connues pour héberger beaucoup de pathogènes, notamment des virus.
"Il y a eu une grosse peur lors de l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest en 2014, et les craintes ont ressurgi avec la pandémie de coronavirus. Mais nous n'avons jamais enregistré de problème de santé publique avec les chauves-souris du Plateau. On avait fait des tests en 2014 sans trouver trace d'Ebola", explique le professeur Kadjo.
La peur des maladies n'empêche pas les amateurs de "viande de brousse" de manger les chauves-souris. Au marché Siporex, dans la grande commune populaire de Yopougon à Abidjan, on vend trois chauves-souris fumées à 2 500 CFA (moins de 4 euros), qu'on prépare ensuite en les faisant bouillir entières dans une soupe ou une sauce.
La chasse aux chauves-souris du Plateau se fait surtout le week-end, lorsque le quartier qui abrite essentiellement des bureaux ou des écoles est vide et que les braconniers peuvent opérer tranquillement.
Rôle écologique capital
Les scientifiques pressent les autorités d'agir pour protéger les chiroptères. Car, outre leur présence ancienne et leur statut de symbole du Plateau, les chauves-souris assurent un rôle écologique de fertilisation de nombreuses plantes.
"Elles mangent beaucoup de fruits, avalent les graines puis les défèquent en volant, permettant ainsi une dissémination", explique le professeur Koné. "Elles mangent aussi des fleurs, disséminant le pollen de fleur en fleur", à l'instar des abeilles.
"Ainsi, les chauves-souris font partie des rares animaux capables d'assurer la reproduction de l'iroko, un arbre vendu dans le monde entier pour fabriquer des meubles de luxe, et menacé par la surexploitation forestière en Afrique de l'Ouest", souligne Magloire Niamien.
"Leur rôle est capital dans le maintien de l'écosystème naturel", assure Blaise Kadjo, qui espère avec ses collègues des financements publics pour poursuivre les études sur les chauves-souris et sensibiliser la population à leur importance écologique.
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