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La Covid-19 et le leadership féminin - Entretien avec Denise Nyakeru Tshisekedi

Entretien avec Denise Tshisekedi   -  
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Interview

A l’occasion de la Journée internationale des Droits des Femmes célébrée le 8 mars chaque année, notre journaliste Nathalie Wakam s'entretient avec Denise Nyakeru Tshisekedi, Première dame de la République démocratique du Congo (RDC), présidente de la fondation qui porte son nom et responsable de la prévoyance de la violence sexuelle liée aux conflits. Ou en est-on de la participation des femmes au processus décisionnel et de la parité en politique ? Sont-elles mieux protégées de diverses formes de violences, et quid du leadership féminin ? Telles sont les thématiques abordées dans l'entretien qui suit.

Nathalie Wakam : Bonjour Madame Tshisekedi. Vous êtes présidente de la fondation qui porte votre nom, et également responsable de la prévoyance de la violence sexuelle liée aux conflits. Avant d’entrer dans le vif du sujet, parlons de la Covid-19 qui dicte sa loi depuis des mois : ces nombreuses pertes en vie humaines et les restrictions qui ne s’arrêtent pas. Vous avez exercé comme infirmière pendant de nombreuses années. La pandémie serait arrivée cinq ans plus tôt que vous seriez sans doute auprès des malades et vous auriez eu une expérience de ce qui se passe sur le terrain. Comment vivez-vous cette pandémie et tout ce qu’il y a autour ?

Denise Nyakeru Tshisekedi : Je vis cette période difficile comme tout le monde. J'ai perdu des proches, des êtres chers, mais je reste confiante à l'avenir. Grâce à notre solidarité, celle de l'Afrique, nous viendrons à bout de cette pandémie. Elle touche le monde entier et l'ensemble de la population, mais le personnel soignant est le plus à risque face à la maladie. En tant qu’ancienne aide-soignante, j'imagine le sacrifice que le personnel soignant consent pour faire face à cette maladie. J'ai beaucoup d'admiration pour ces femmes et hommes qui sauvent des vies en mettant les leurs en danger.

Implication remarquable des aides-soignantes

L’ONU Femmes a décidé cette année de célébrer le leadership féminin et ses incroyables efforts dans la gestion de pandémie. Dans quel secteur avez-vous sentie ou perçue une grosse implication des femmes, et comment ?

Pour moi, les femmes exerçant dans le secteur de la santé, c'est-à-dire les infirmières, les aides-soignants pour la plupart, sont des femmes qui ont pris et continuent à prendre des risques énormes. Elles sont exposées pour mettre les autres à l'abri. Leur implication est remarquable. Je n'oublie pas celles qui, malgré la pandémie, ont fait preuve d'un courage exemplaire pour tenir leur ménage. Que dire de celles dont la Covid-19 a stimulé l'innovation et l’ingéniosité en matière de santé, et de celles qui ont contribué énormément à la sensibilisation pour les gestes barrières ? C'est grâce à la défense de toutes et tous, grâce à notre résilience, que nous avons fait face à la maladie et allons la vaincre.

Les femmes, quand il est question de leadership ou de postes de responsabilité, sont très peu nombreuses. On atteint difficilement les 15%. Certaines personnes pensent qu’il faut imposer des quotas. Le Rwanda, l’Afrique du Sud et le Mozambique l’ont fait pour l’Assemblée nationale et les Parlements sont très mixtes. Est-ce un plaidoyer que vous seriez capable de mener pour la RDC ?

Il faut agir sur les causes et l'éducation des jeunes filles, qui est la clé pour avoir un vivier beaucoup plus important de femmes de qualité. En ce qui concerne les efforts du gouvernement, qui a instauré la gratuité de l'enseignement primaire, j'ai dédié tout un axe de ma vision dénommée « Plus fortes » à l'éducation. Notamment celle des jeunes filles, avec un accent particulier sur l'éducation des filles et des femmes en sciences et technologies, ingénierie et mathématiques. Des bourses universitaires de ma fondation sont accordées aux finalistes du Bac dans le but de contribuer à la création d'une élite féminine de demain.

Ensuite, il y a l'application des lois. Un consensus courageux doit être trouvé pour les mettre en œuvre. Par exemple, on a atteint un pourcentage de 17% de femmes au gouvernement passé, une première en RDC. Un grand pas pour une démocratie naissante. Nous pouvons faire mieux, et nous devons faire mieux.

Contre les violences, sensibiliser les jeunes

Le Dr Denis Mukwege, prix Nobel de la Paix, est connu dans le monde pour son travail de réparation de femmes victimes de violences. Je crois savoir que vous vous êtes rendue dans son hôpital. De cette descente ou des rencontres avec ces femmes, qu’avez-vous tiré comme leçon ?

A l’hôpital de Panzi, J'ai rendu visite aux femmes survivantes de violences sexuelles et celles atteintes de fistules. J'ai été fortement émue de discuter avec elles. Cela a simplement renforcé mon engagement dans la lutte contre les atrocités. À la Fondation Panzi, j'ai passé des moments émouvants avec les victimes et les enfants issus de viols. Voir leur douleur se transformer en espérance au sein de cette structure m'a touchée. Le chantier de la lutte contre les violences sexuelles dans mon pays et en particulier en Afrique en général est grand. Il demande l'implication de tous. Chacun de nous, partout où il se trouve, peut apporter sa pierre à l'édifice.

Vous parlez de chantier. Évoquons ce que votre fondation fait contre les violences puisque les chiffres concernant cette question sont assez inquiétants. D’autant plus que les six premiers mois de l’année dernière, 26 000 cas de violences sexuelles ont été enregistrés selon l’ONU. Soit une augmentation de 28% par rapport à 2019 ?

En 2019, j'ai accepté de porter un plaidoyer mondial des Nations unies sur la question de la prévention de la violence sexuelle liée aux conflits. J'ai aussi accepté de porter celui du Fonds des Nations unies pour la population en ce qui concerne la lutte contre la Violence Basée sur le Genre (VBG) et la promotion de l'autonomisation de la femme en RDC. Avec ce titre respectivement de championne et d'ambassadrice, j'œuvre à l'accélération du changement, à la diffusion du plaidoyer et de sensibilisation sur la question de la violence sexuelle, tout en respectant la voix des survivantes. J'encourage la volonté politique et leur engagement au plus haut niveau du pouvoir. Plusieurs actions ont été menées depuis mars 2019. Il s'agit notamment des rencontres de sensibilisation que j'organise avec les jeunes de différentes provinces de mon pays pour discuter, par exemple, sur la masculinité positive.

Les femmes sont les principales victimes des zones de conflits. L’Est de votre pays est une zone très sensible, avec récemment l’assassinat de l’ambassadeur Italien et de son chauffeur congolais qui ont endeuillé des familles italiennes et congolaises. S’il n’est pas à proprement parler en lien avec les violences sexuelles, cela relève d’un climat délétère de nature à déstabiliser davantage vos concitoyens. Votre regard dessus ?

Beaucoup d'émotion après ce drame. Mes condoléances à la famille des disparus. J'ai eu l'occasion de présenter mes condoléances en compagnie du chef de l'Etat à la veuve et aux enfants, ainsi que d'une petite communauté italienne. C'est un drame qu'on déplore, en effet.

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