Afrique du Sud
Dans la conscience collective, les émeutes de Sowéto, en 1976, sont parties de la loi sur l’instauration de l’afrikaans dans les programmes scolaires dédiés aux minorités ethniques. Mais, si l’on se réfère à la mémoire de l’histoire, de nombreux facteurs ont pu influencer ces événements dont le point culminant a été atteint le 16 juin 1976.
Société historiquement plurale, l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, conceptualisé en 1948, regroupe quatre grands groupes de couleur. On distingue les Noirs ou Bantous qui représentent 67 % de la population ; les Coloured ou métis qui représentaient 9 % de la population en 1950 ; les Indiens qui constituent un peu moins de 3 % du peuple sud-africain, enfin les Blancs. Ces derniers sont composés des Afrikaners (Néerlandais, Français, Allemands, Scandinaves) qui représentent 60 % de ce groupe racial et ont pour langue l’Afrikaans. Avec les anglophones, ils ne font que 21 % de la population sud-africaine.
En infériorité numérique, les Afrikaners – dont le parti remporte la majorité des sièges aux élections de 1948 – décident d’un système idéologique, économique et politique ségrégationniste afin de contrer la puissance démographique des Noirs et enraciner, par ailleurs, la culture africaners. En 1953, toujours en quête d’une forte identité, le parti promulgue une loi qui codifie la discrimination raciale dans l‘éducation : le “Bantu Education Act”, une loi qui fera l’objet de controverse jusqu’en 1976.
Un système éducatif en berne
Le “Bantu Education Act” de 1953, symbole de la ségrégation dans le secteur de l‘éducation a quasiment ôté aux Noirs – référence faite aux Noirs, Coloured et Indiens – tous leurs droits à l‘éducation. Ce fossé culturel creusé entre Blancs et non-Blancs est une manière de préparer les enfants noirs à ne travailler que pour leurs peuples dans les Bantoustans – États ethniques dans lesquels étaient confinés la majorité noire – brisant ainsi toutes leurs aspirations à accéder à des positions sociales.
Un ministère de l‘Éducation bantoue est de fait créé au sein du ministère des Affaires indigènes. C’est ce ministère qui mettra en place un programme scolaire en adéquation avec “la nature et les besoins de personnes bantoues”. Ainsi, décide-t-il de séparer les dépenses de l‘État de celles consacrées à l‘éducation des Noirs. Or, les faibles revenus de cette population n’engendrent que de faibles impôts. Cette équation aura de lourdes conséquences sur la qualité de l‘éducation. Les classes sont en surnombre, le nombre de professeurs insuffisant et même ceux qui y sont, sont peu qualifiés : en 1961, seuls 10 % des professeurs noirs avaient réussi leur baccalauréat. En 1959, la loi est durcit et les étudiants noirs sont interdits de fréquenter les mêmes universités que celles des Blancs.
Éveil d’une conscience collective
L’Afrique du Sud des années 70 n’est guère différente de celle des années 50-60. Le peuple noir subit de nombreuses pressions économique, sociale et politique de la part du colonisateur blanc. Dans les townships, les décors sont les mêmes pour chaque jour qui passe : criminalité, extrême pauvreté, oisiveté… Les populations de ces bas quartiers, dont Soweto, sont réduites à ne travailler que dans des milieux peu porteurs pour des salaires de misère. Bien que le pays connaisse une embellie économique, les habitants des townships – principale main d’oeuvre des travailleurs blancs – ne profitent en aucun cas de ces richesses qui sont redirigées vers des centres urbains. Le ministre de l’Administration bantoue de l‘époque avait, de fait, le pouvoir d’interdire l’emploi aux Noirs dans une zone déterminée ou une catégorie déterminée.
Leurs enfants, eux, ont difficilement accès à l‘éducation. Entre 1962 et 1971, aucune école primaire n’a par exemple été construite à Soweto. Ainsi, le nombre d’enfants en âge d’aller à l‘école grimpait plus vite que les infrastructures mises à leur disposition. Certaines salles de classe pouvant contenir plus de 100 élèves. Cependant, entre 1972 et 1974, quarante nouvelles écoles sont construites à Soweto et les inscriptions pour le secondaire sont passées de 12 656 à 34 656, soit un bond de près de 30 %. Une croissance soudaine qui témoigne de la prise de conscience de ce ghetto et d’une nouvelle identité collective, en particulier de sa jeunesse. Cette dernière veut elle aussi se frotter aux mêmes conditions de réussite que les Blancs de leur génération. Une prise de conscience qui sera d’un apport crucial dans la lutte contre l’imposition de l’afrikaans dans les programmes scolaires.
Non au “génocide culturel”
En 1974, en effet, le ministre de l’Administration, du Développement et de l‘Éducation bantoue informe que dès le 1er janvier 1975, l’afrikaans sera la langue d’enseignement, à égalité avec l’anglais, dans toutes les écoles noires, au dépend des langues africaines. Il devra être utilisé pour les mathématiques, l’arithmétique et les études sociales, quand l’anglais, servira de langue d’enseignement pour les sciences en général et les sujets pratiques (arts ménagers, couture, menuiserie, ferronnerie, art, sciences agricoles). Au delà du fait que l’afrikaans était associé à l’apartheid donc peu aimé des Noirs d’Afrique du Sud, il n’ouvrait aucune possibilité à l’international. Par contre, l’anglais était non seulement une langue internationale, mais était également utilisée dans le commerce, l’industrie, la diplomatie…
« Un homme noir peut avoir à travailler dans une ferme ou dans une usine. Il peut avoir à travailler pour un employeur anglophone ou de langue afrikaans et il doit pouvoir comprendre ses instructions. Pourquoi devrions-nous commencer maintenant à nous quereller à propos de la langue d’enseignement pour les personnes de race noire ? … Non, je ne les ai pas consultés et je ne vais pas les consulter. J’ai consulté la Constitution de la République d’Afrique du Sud », avait alors déclaré le vice-ministre de l‘époque pour justifier la décision de son ministère. Mais, de l’avis des jeunes écoliers et étudiants, cette loi est un “génocide culturel” auquel ils décident de s’opposer. S’engage dès lors, une revendication pacifique qui se traduit par le refus des élèves de Soweto de se rendre à l‘école. Suivis par la suite par d’autres écoliers issus des Bantoustans, les écoliers “révolutionnaires” obtiendront le soutien de mouvements anti-segrégationnistes, notamment celui de la “Conscience noire” du charismatique Steve Biko qui demeure une des figures de la marche historique, le 16 juin 1976, à Soweto.
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