France
Au Festival Confit de Cavaillon, un parfum inédit flotte dans l’air : celui d’un mafé mijotant doucement sur scène. Mais ce n’est pas qu’un plat qui se prépare. C’est une mémoire, une histoire, une prise de conscience. Autophagies, la création d’Eva Doumbia, est un festin théâtral où se mêlent récits migratoires, héritages coloniaux, danses, chants… et cuisine africaine. Un spectacle sensoriel qui fait voyager l’esprit autant que les papilles.
Dès l’entrée en salle, le public comprend que ce spectacle ne ressemble à aucun autre. Le plateau se transforme en cuisine vivante : un chef-comédien découpe, épice, remue. Face à lui, un musicien. Autour de ces deux piliers, sur une piste carrée, gravitent un danseur-commis de cuisine, deux comédiennes et une maîtresse de cérémonie… Tous préparent quelque chose. Quelque chose de vivant, de collectif, de festif. Entre gestes, mots, musiques et effluves, Autophagies convoque tous les sens.
Mais derrière la chaleur du plat, le feu est politique. Eva Doumbia interroge : d’où viennent les aliments que nous considérons comme « à nous » ? Quels récits — souvent violents — transportent-ils ? « C’est vraiment un spectacle qui dénonce les ravages de la colonisation. La colonisation et l’alimentation sont très liés », explique la metteuse en scène. Autophagies, montée d’abord au Théâtre du Point du Jour, a déjà été jouée en France, en Belgique, aux États-Unis, bientôt au Brésil, mais pas encore sur le continent africain. « Pour moi c’est important qu’on finisse par jouer à Abidjan, parce qu’on est quand même très nombreux à être originaires de Côte d’Ivoire dans ce spectacle. »
Les corps dansent l’histoire
Dans cette cuisine-spectacle, la danse occupe aussi une place centrale. Bamoussa Diomande, danseur, acteur et chorégraphe, fait vibrer les mémoires à travers une gestuelle riche et contrastée. « C’est la danse contemporaine, la danse africaine, et beaucoup aussi de coupé-décalé, qui est une danse de la jeunesse chez nous à Abidjan », dit-il. Pour lui, danser, c’est convoquer l’énergie, c’est faire parler le corps. « Je ressens beaucoup de frissons quand je danse, et ça me motive. Je me divertis à travers mes propres mouvements. »
Sa danse, comme les textes et les plats, participe à une entreprise de décolonisation de l’imaginaire. Elle relie les traditions aux luttes actuelles, les souvenirs aux corps présents.
Un repas pour la mémoire
À travers l’histoire du riz, du sucre, du chocolat ou encore de la banane, Doumbia raconte la mondialisation à hauteur de bouche : l’esclavage, l’exploitation, les migrations. Autophagies questionne : sommes-nous vraiment d’ici, quand même notre alimentation est façonnée par la colonisation ? Et d’ailleurs, que veut dire « ici » ?
Mais tout n’est pas sombre : le rire, la tendresse, le plaisir sont omniprésents. Le mafé, préparé sous les yeux du public, est enfin servi en fin de représentation, comme un aboutissement. Il rassemble, réconcilie, restaure.
Un public conquis et nourri
Dans la salle, l’émotion est palpable. Myriam Douhi, spectatrice, témoigne : « C’était à la fois hyper émouvant et très ludique. J’ai adoré. Je suis vraiment rentrée dedans complètement, ça m’a fait voyager. J’ai appris énormément de choses. Je repars nourrie, mais à tous les niveaux : intellectuellement, physiquement aussi, parce qu’on s’est mangé un mafé là ! »
Au Festival Confit de Cavaillon, qui célèbre la richesse des cultures et des mémoires à travers les arts vivants et la gastronomie, Autophagies s’impose comme une œuvre incontournable. Une expérience collective, à la croisée des sens et des consciences.
02:19
Des artistes zimbabwéens s'engagent contre le changement climatique
02:19
Guinée : les pêcheurs célèbrent la tradition de la Nora Dala
02:20
Maroc : Línea Sur-Norte, un pont artistique entre le Nord et le Sud
Aller à la video
Sénégal : "Amoon Nafi", une initiatiation à la tradition orale
02:20
Maroc : Kehinde Wiley redessine l’image des dirigeants africains
02:20
USA : Allen Payne et Eva Marcille font revivre "Jason’s Lyric"