Zimbabwe
Son nom se chuchote à Harare ou s'énonce la main devant la bouche comme pour tousser. A quelques mois des prochaines élections au Zimbabwe, beaucoup évitent en public de dire "Nelson Chamisa" pour évoquer le principal opposant au président actuel.
Le pays d'Afrique australe s'apparente de plus en plus à une dictature, accuse l'avocat de 45 ans dans un entretien à l'AFP: il prévoit une campagne présidentielle et législative aussi "rude" qu'inégale.
La date du scrutin n'est pas encore fixée mais devrait intervenir début août, selon des sources politiques des deux bords.
Et les obstacles à l'opposition s'accumulent. M. Chamisa, costume cravate impeccable et fine moustache, reçoit dans un bureau spartiate. Son parti, le CCC dit "triple C" pour Coalition des citoyens pour le changement, n'a encore ni siège ni structure, craignant d'être aussitôt infiltré.
Installé dans un fauteuil en cuir bien plus large que lui, sous des néons accablants, celui que la rue appelle "le jeune homme" ou même "ce gars-là" se montre combatif, déterminé. Mais il reconnaît que sa marge de manoeuvre est plus qu'étroite face à un régime qu'il décrit comme inique, corrompu et rapace.
Le processus électoral au Zimbabwe "attire toujours controverses et disputes", signale M. Chamisa. Notamment en zones rurales "où les risques de manipulation" par le Zanu-PF, parti au pouvoir depuis l'indépendance en 1980, "sont forts et les populations vulnérables".
Typiquement, le régime distribue des terres ou de l'aide alimentaire aux communautés qui votent pour lui, s'assurant ainsi de leur loyauté, accuse-t-il.
Et dans les villes, contrôlées pour la plupart par l'opposition, le Zanu-PF use de "toutes sortes de tactiques pour entraver le progrès, la prestation de services" de manière à décrédibiliser les autorités locales, comme font "partout dans le monde tyrannies et dictatures".
"C'est l'ADN même du Zanu-PF, ils ne croient pas à la fourniture de services de base, à l'efficacité, en l'obligation de rendre des comptes", accuse l'opposant en chef.
Réunions empêchées
"Nous devons gagner ces élections", martèle Nelson Chamisa, réputé pour son charisme mais qui essuie des critiques, y compris au sein de son propre camp, pour n'avoir notamment pas incité les jeunes Zimbabwéens à s'inscrire sur les listes électorales dans un pays plombé par l'abstention.
Sa campagne est déjà entravée, entre violences et rassemblements interdits. Une soixantaine "de nos réunions ont été annulées la semaine dernière. Et des centaines perturbées par la police ou par le Zanu-PF", dit Chamisa, front large et sourcils fournis.
Le chef de l'Etat, Emmerson Mnangagwa, a assuré au début du mois que le Zimbabwe était "une démocratie", invitant tous les prétendants au poste suprême à se présenter aux élections. "Le terrain est ouvert", a-t-il affirmé, se disant toutefois "extrêmement confiant que nous allons gagner".
L'opposition est largement absente des médias d'Etat. "Je n'y ai pas figuré une seule fois" depuis le coup d'Etat en 2017 contre l'homme fort Robert Mugabe, au profit de M. Mnangagwa. "Je n'apparais que lorsqu'ils parlent de moi mais ils ne me donnent pas l'occasion d'exprimer mon point de vue ou ma version des faits".
M. Chamisa a été visé fin 2021 par des tirs contre son convoi. "J'ai de la chance d'être en vie", dit-il. Une balle s'était logée dans le siège arrière gauche où il est normalement assis.
Un député du CCC, Job Sikhala, aimé du petit peuple de la capitale, est en prison depuis huit mois après un discours politique qualifié d'"incitation à la violence". Ses demandes de libération sous caution sont systématiquement refusées.
Deux autres députés ont été arrêtés en janvier lors d'une réunion dans une maison privée.
"Les persécutions continuent" contre "tous ceux qui sont perçus comme opposants", insiste Nelson Chamisa, y compris journalistes ou défenseurs des droits. Et la loi s'applique de façon "sélective", souligne-t-il. "Ceux qui nous menacent, commettent des violences (...) ne sont pas inquiétés".
"Tout ça joue contre nous" mais "je suis déterminé à gagner", promet-il. "Ce sera une campagne dure, nous le serons plus encore".
L'accumulation d'obstacles "n'empêche pas l'espoir", veut-il croire.
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