Guinée
Des centaines de Guinéens attendent depuis 13 ans que soient jugés l'ancien chef de junte Moussa Dadis Camara et les responsables présumés de l'effroyable massacre commis le 28 septembre 2009. Ce moment est arrivé.
Les victimes et les proches seront nombreux à se presser en ce mercredi, date anniversaire, devant un tribunal flambant neuf à peine achevé dans le centre de Conakry.
Sauf contrordre de dernière minute, le procès historique du capitaine Camara et de dix autres anciens officiels s'y ouvrira, à quelques kilomètres des lieux où des soldats, des policiers et des miliciens se sont livrés à deux heures d'abomination contre des sympathisantes et des sympathisants de l'opposition à l'intérieur et aux abords du stade du 28-Septembre.
Ce jour-là et les suivants, 156 personnes ont été tuées et des milliers blessées avec une cruauté effrénée, au moins 109 femmes ont été violées, affirme le rapport d'une commission d'enquête internationale mandatée par l'ONU, document publié trois mois après les faits.
Les chiffres réels sont probablement plus élevés.
Les atermoiements du pouvoir et l'impunité érigée en "institution", selon la commission internationale, de forces de sécurité quasiment intouchables dans un pays dirigé pendant des décennies par des régimes autoritaires ont longtemps fait douter de la tenue de ce procès.
Jusqu'à ce que le chef actuel de la junte, le colonel Mamady Doumbouya, arrivé au pouvoir par un putsch en 2021 après 11 ans de pouvoir civil, demande en juillet que le procès ait lieu cette année avant la date anniversaire.
La crainte d'un nouvel ajournement ne devrait être totalement dissipée que mercredi, mais l'espoir est là.
Responsabilités
"Cette année, ce ne sera pas seulement une commémoration, mais un procès", se réjouit Saran Cissé, qui se qualifie de "survivante du 28-Septembre".
Comme beaucoup d'autres, elle ne peut évoquer sans larmes, ni même nommer la "honte" du traitement qu'on lui a fait subir, puis la stigmatisation sociale. "De ce procès, j’attends la vérité, rien que la vérité, parce que 13 ans, ce n'est pas 13 jours".
Des dizaines de milliers de personnes s'étaient rassemblées au stade pour démontrer la force de l'oppositioln et dissuader le chef de la junte d'alors de se présenter à la présidentielle en janvier 2010.
Un coup d'Etat avait porté le capitaine Camara neuf mois auparavant à la tête de ce pays pauvre malgré des ressources naturelles considérables.
Une multitude de témoignages rapportent comment les Bérets rouges de la garde présidentielle, des policiers et des miliciens sont entrés dans l'enceinte vers midi, en ont bouclé les accès et ouvert le feu sans discrimination sur une foule civile, festive et désarmée.
Ils ont poursuivi leur besogne au couteau, à la machette et à la baïonnette, jonchant la pelouse, les travées et les couloirs de cadavres. Ils ont abusé de dizaines de femmes et achevé nombre d'entre elles. Des personnes sont mortes piétinées dans la panique.
Les exactions sont constitutives de crimes contre l'humanité, assure l'enquête internationale. Elles ont continué les jours suivants, contre des femmes séquestrées et des détenus torturés.
Le procès aura pour tâche d'établir les responsabilités du capitaine Camara et de ses co-accusés, dont plusieurs personnalités militaires et gouvernementales de l'époque. Certaines sont détenues depuis des années.
"Dadis Camara a joué un rôle central dans le massacre du 28 septembre", soit en en donnant l'ordre, soit en y accordant son consentement, écrit l'organisation Human Rights Watch en 2009 après avoir mené son enquête. La commission internationale lui impute une "responsabilité criminelle personnelle et une responsabilité de commandement".
Retour de Camara
L'ancien autocrate vit en exil au Burkina Faso. En décembre 2009, son aide de camp Aboubacar Sidiki Diakité, alias "Toumba", chef de la garde présidentielle et présent en personne au stade, lui a tiré dessus. "Toumba", également appelé à comparaître, a accusé M. Camara d'avoir commandité le massacre.
M. Camara est rentré en Guinée dans la nuit de samedi à dimanche. "Il sera là pour livrer sa part de vérité" au tribunal, assure un des avocats, Me Almamy Somory Traoré.
"Il a clamé son innocence et nous allons le prouver", renchérit-il.
Les associations s'inquiètent de la présence de tous les mis en cause. Elles redoutent que l'ouverture du procès ne se résume à un effet d'image, avant un renvoi à une date ultérieure.
"Nous espérons avoir une justice claire, transparente, pas (une) parodie de justice, et en présence de tous les inculpés", lance Asmaou Diallo, présidente de l'Association des victimes, parents et amis du 28-Septembre.
C'est sous un nouveau chef de junte que doit se tenir le procès, érigé en marqueur de la lutte contre l'impunité. Les défenseurs des droits font cependant observer que les derniers mois ont vu les nouvelles autorités donner un sévère tour de vis aux libertés.
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