Mali
Un "haut cadre" de l'opération anti-djihadiste française Barkhane arrêté à Bamako en possession d'héroïne ; une photo de soldats russes "arrivés" dans la capitale malienne... Les infox sur l'engagement français au Sahel prolifèrent sur les réseaux sociaux maliens sur fond de tensions entre Paris et Bamako.
Les relations franco-maliennes se sont raidies depuis l'annonce de la réduction du dispositif militaire français dans le pays et la possible arrivée du groupe de mercenaires russes Wagner. Depuis début octobre, le service d'investigation numérique de l'AFP a repéré cinq infox particulièrement virales qui portent majoritairement sur les agissements supposés des troupes françaises dans le pays.
En réalité, le "haut cadre" français prétendument arrêté avec de l'héroïne était un ressortissant nigérian ; la photo de militaires russes avait, elle, été prise à Moscou en 2015. Une autre publication prétendait à tort qu'un avion français avait été intercepté par l'armée malienne sur renseignement russe."Il y a une aggravation" de la désinformation au Mali, confirme à l'AFP Niagalé Bagayoko, présidente de l'African Security Sector Network. "C'est vraiment la surenchère diplomatique qu'il y a eu récemment entre la France et les autorités maliennes qui en est à l'origine", ajoute-t-elle.
Actualité politique
"Les fake news n'ont jamais été aussi nombreuses dans l'actualité politique au Mali que pendant cette transition" démarrée après le coup d'Etat d'août 2020, abonde Boubacar Haidara, chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM) de Sciences Po Bordeaux et chargé de cours à l'université de Ségou (Mali). Les colonels qui ont renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta se sont engagés à organiser des élections pour rendre le pouvoir aux civils en février 2022, sous pression de la Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et de nombreux partenaires du Mali, dont la France.
La France, qui a engagé son armée en 2013 au Mali afin d'enrayer la progression des djihadistes, a vivement critiqué la gestion du pays par la junte. Et la tension est montée d'un cran en septembre quand le Premier ministre de transition Choguel Kokalla Maïga a accusé Paris d'un "abandon en plein vol" en raison du plan de la France de réduction de sa présence militaire. Des critiques censées justifier le possible recours par Bamako à la société paramilitaire privée russe Wagner, décrite comme proche du président russe Vladimir Poutine.
Pages Facebook
Tous les experts interrogés par l'AFP s'accordent pour dire qu'il est très difficile d'identifier qui se cache derrière les fausses informations. Boubacar Haidara cite les "vidéomans", ces internautes qui diffusent sur leurs pages Facebook des vidéos "pro-junte et anti-France" très virales. Kalilou Sidibé, universitaire de l'African Security Sector Network, évoque "des Maliens, mais aussi des activistes qui se disent panafricanistes" favorables à l'arrivée des Russes de Wagner.
Michael Shurkin, directeur des programmes mondiaux de la société de conseil 14 North Strategies, basée à Dakar, suspecte néanmoins qu'une partie de ces infox soit orchestrée par la Russie. "Les Russes diffusent de la propagande pour envenimer les relations franco-africaines", affirme-t-il. "Indépendamment de qui est derrière ces récentes infox, elles s'alignent clairement avec les intérêts russes."
Bataille informationnelle
Depuis plusieurs mois, une bataille informationnelle fait rage au Mali et plus largement au Sahel entre comptes pro-français et pro-russes. Fin 2020, Facebook a supprimé trois réseaux de "trolls" gérés depuis la Russie et la France, dont un avait des liens avec des personnes associées à l'armée française. Paris avait alors affirmé ne "pas être en mesure d'attribuer d'éventuelles responsabilités".
Le ministère français des Armées doit présenter mercredi sa doctrine de lutte informationnelle pour combattre les fake news visant à décrédibiliser ses opérations. Actuellement, les experts interrogés par l'AFP affirment voir peu ou pas de fausses informations visant à soutenir la France au Mali. "La tendance c'est : la France, qu'elle dégage, Wagner a la solution", reprend Boubacar Haidara.
Services de messagerie
Si les infox russo-françaises sont les plus visibles sur les réseaux sociaux, de très nombreuses autres, dont la quantité est plus difficilement quantifiable, circulent via des services de messagerie cryptée comme WhatsApp. Or pour Kalilou Sidibé, la propagation de ces fausses informations a pour conséquence la "fragilisation du pays".
Modibo Fofana, journaliste et président de l’Association professionnelle de la presse en ligne malienne. constate pour sa part que "le public cible [de ces infox], souvent les jeunes qui sont sur leur portable, n'a pas les bases fondamentales pour vérifier une information, et se fait avoir."
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