Soudan
Il y a deux ans, les militaires s'engageaient à remettre le pouvoir aux civils au Soudan, mais aujourd'hui encore, les premiers ont toujours la haute main tandis que les seconds peinent à organiser la transition, notent des experts.
En août 2019, les généraux signaient un accord historique avec les factions politiques à la pointe du mouvement populaire qui venait de renverser l'autocrate Omar el-Béchir, après 30 ans d'un règne sans partage. Ils décidaient ensemble d'une transition prévue pour trois ans et finalement allongée en octobre après un accord de paix entre le gouvernement et une coalition de groupes rebelles. L'armée devait partager les pouvoirs régaliens jusqu'à ce qu'un gouvernement civil et un Parlement mènent la transition à son terme.
"Il y a des relations cordiales entre les deux camps mais ils n'ont que rarement travaillé main dans la main et l'armée a gardé tout son pouvoir", explique Jonas Horner, de l'International Crisis Group. Car, détaille le chercheur, si "l'armée a traîné des pieds", les civils ont ajouté "des divisions" à leur "absence de pouvoir", empêchant la transition de s'amorcer.
Politique étrangère "redessinée"
Les dissensions internes rongent les Forces pour la liberté et le changement (FLC), moteur de la révolution populaire. Surtout, le gouvernement de transition emmené par Abdallah Hamdok a vu sa popularité fondre à mesure qu'il annonçait des réformes économiques et ne faisait pas avancer devant la justice la cause des familles des victimes de l'ère Béchir.
Dans ce contexte, le Soudan n'a toujours pas d'Assemblée législative. Or, affirme M. Horner, "sa formation sera la clé qui mènera à un droit de regard sur ce que fait l'armée". Mais, dit-il, "les forces de sécurité comme les partis politiques historiques, qui redoutent de perdre leurs prérogatives actuelles, bloquent cette réforme cruciale".
De ce fait, l'armée tient toujours l'économie, la gestion de la paix avec les groupes rebelles et surtout la politique étrangère. C'est elle qui a ainsi signé en janvier un accord portant sur la normalisation des relations avec Israël, décidée en 2020.
Légalement toutefois, répète M. Hamdok, cet accord doit encore être ratifié par le pouvoir législatif pour être appliqué. Mais pour Magdi el-Gizouli, chercheur au Rift Valley Institute, c'est acté: "la politique étrangère du Soudan post-Béchir a été redessinée par l'armée et cela s'est traduit par des liens plus étroits avec les Etats-Unis", parrains des accords d'Abraham qui ont vu plusieurs pays arabes reconnaître Israël.
La paix avec les rebelles a aussi été négociée par les généraux et c'est le commandant paramilitaire et membre du Conseil de souveraineté qui pilote la transition Mohamed Hamdan Daglo, surnommé "Hemeti", qui a signé au nom du gouvernement. Pour ces accords, la participation des civils a été "limitée", notamment parce qu'eux-mêmes ont "_laissé l'armée gérer seule ce dossie_r", décrypte pour l'AFP l'expert militaire Amin Ismaïl.
"Résistance" de l'armée
Et surtout, l'année dernière, le Premier ministre a reconnu que 80% des ressources du pays n'étaient toujours pas sous le contrôle de son ministère des Finances. Nul ne sait quelle part de l'économie est entre les mains des militaires, mais ils tiennent de nombreuses entreprises allant de l'élevage de volailles au BTP.
Une source militaire l'avoue à l'AFP sous le couvert de l'anonymat: impliquer les civils dans les affaires de l'armée est une question "extrêmement sensible". Pour cela, poursuit cette source, "les appels à la réforme des civils continueront à essuyer de la résistance", même si de nombreux gouvernements occidentaux, dont Washington, s'en sont fait l'écho.
Des dirigeants civils et d'anciens commandants rebelles ont à plusieurs reprises appelé à intégrer des groupes armés ou paramilitaires aux forces régulières. Toutefois, Omar al-Digeir, un des leaders des FLC, reconnaît que l'accord de 2019 laisse un flou, donnant peu de marge de manoeuvre aux civils: "les deux parties sont censées ensemble" réformer l'appareil sécuritaire.
"La transition veut que les civils parviennent finalement à exercer un droit de regard sur l'armée", renchérit M. Horner.
"Mais l'armée n'a envoyé aucun signal indiquant qu'elle était prête à renoncer à son rôle dominant dans le pays", souligne le spécialiste.
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