Nigéria
Il ne se passe plus une semaine sans que des policiers ou des symboles du pouvoir fédéral ne soient attaqués dans le sud-est du Nigeria, faisant craindre une flambée de violence séparatiste, un demi-siècle après la guerre du Biafra.
Au moins 127 policiers ou membres des forces de sécurité ont été tués et une vingtaine de postes de police ont été pris d'assaut depuis le début de l'année, selon un décompte des médias locaux, dans cette région peuplée majoritairement par l'ethnie Igbo. Les autorités désignent le Mouvement des peuples indigènes du Biafra (Ipob), le principal groupe séparatiste qui dément et en retour accuse Abuja d'être prêt à tout pour discréditer leur mouvement.
"Les attaques quasi-quotidiennes ont transformé notre terre en un théâtre de guerre", déplore Vivian Okafor, une habitante d'Owerri, la capitale de l'Etat d'Imo, où de nombreuses attaques ont été perpétrées. La situation est telle, qu'il "est devenu rare de voir des policiers patrouiller sur nos routes", se plaint l'habitante.
"Avec la hausse des meurtres de policiers, nous sommes très prudents ces jours-ci", reconnait un haut responsable de la police locale. "Beaucoup d'entre nous évitent désormais de porter leur uniforme sur le chemin du travail", explique-t-il à l'AFP. D'autres, quant à eux, cherchent à se faire muter dans des régions moins dangereuses.
Les attaques ne visent pas seulement la police : au moins cinq bureaux de la commission électorale nationale ont été incendiés ces derniers mois, mettant à mal les préparatifs pour l'élection présidentielle de 2023. Le 5 avril, c'est une prison centrale qui a été attaquée à Owerri. Des hommes armés ont utilisé des explosifs pour pénétrer dans l'enceinte de la prison, libérant ainsi 1 800 détenus.
Guerre du Biafra
Avec ces attaques visant des policiers et des symboles du pouvoir central, les mouvements séparatistes igbo ont rapidement été pointés du doigt, ravivant le douloureux souvenir de la guerre du Biafra. Il y a 50 ans, le sud-est du Nigeria avait été le théâtre d'un des plus meurtriers conflits du XXe siècle. En mai 1967, des généraux igbo d'une province rebelle, baptisée "la République du Biafra", avaient proclamé son indépendance, déclenchant une guerre civile d'une rare atrocité et une terrible famine. En trois ans, le conflit a fait plus d'un million de morts.
Durant des années, cette guerre est restée quasiment tabou dans le pays. Mais de nombreux Igbos, troisième communauté du Nigeria avec les Yorubas et les Haoussas, se sentent toujours "sous occupation", marginalisés, parfois même injustement traités par le gouvernement. Depuis l'arrivée au pouvoir du président Muhammadu Buhari, ancien général Haoussa originaire du nord, les velléités indépendantistes se sont réveillées.
Bras armé ou milice civile
En 2013 est né l'Ipob, qui milite pour la création d'un Etat indépendant dans le sud-est et a été classé comme "organisation terroriste" par Abuja en 2017. En décembre dernier, les tensions sont montées d'un cran avec la création de la Eastern Security Network (Reseau Sécuritaire de l'Est, ESN), organisation paramilitaire et bras armé du mouvement.
L'Ipob assure que l'ESN est une milice civile de "défense des terres contre invasions des bergers peuls", issus du nord, et ne s'attaque pas aux symboles de l'Etat central, ce qui serait considéré comme une déclaration de guerre.
L'autre groupe indépendantiste du Massob (Mouvement pour la réalisation de l'Etat souverain du Biafra) a rejeté la responsabilité de ces attaques et son chef, Uchenna Madu, a même accusé le gouvernement d'attiser les violences pour discréditer l'activisme igbo. "Le gouvernement veut créer un climat de peur et d'insécurité dans le sud-est (...) pour que nous renoncions à produire le prochain président", accuse le chef séparatiste.
Manifestations commémoratives
Aucun président au Nigeria n'a jamais été d'origine igbo, ce qui est ressenti comme une injustice dans cette région. Mais deux ans avant la présidentielle de 2023, et alors que les 30 et 31 mai prochains les indépendantistes ont appelé à des manifestations en l'honneur des victimes de la guerre du Biafra, les tensions ne semblent pas prêtes à se dissiper.
La semaine dernière, la police a lancé une "opération restaurer la paix" qui selon son porte-parole Franck Mba, vise "à confronter les éléments criminels" et "à mener la bataille jusqu'à leurs portes"... Un appel à moitié déguisé, selon les indépendantistes, pour faire le tour des maisons et arrêter ceux qui les soutiennent.
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