Guerre Russie / Ukraine
Aider l'Ukraine oui, mais pas au détriment de l’Afrique : certains dirigeants africains haussent le ton contre les pays riches, prompts à verser des milliards de dollars à Kiev mais pas toujours au rendez-vous de leurs engagements envers le continent.
A la dernière réunion du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale à Washington en avril, "les pays africains ont exprimé des craintes sur un double standard", en matière d'aide internationale, raconte ainsi à l'AFP une source gouvernementale française.
La guerre en Ukraine "expose le vrai visage de l'action des grandes puissances en direction du continent", constate aussi une source diplomatique au Bénin interrogée par l'AFP avant un sommet cette semaine à Paris sur la pauvreté et le financement climatique, regrettant une Afrique "délaissée".
Une bonne partie de l'aide à l'Ukraine concerne des armes, mais elle entraîne forcément des comparaisons.
En partie détruite par la Russie et accusant un effondrement de son PIB de 30% l'an dernier, l'Ukraine a vu affluer l'aide de partout en Occident. Ses alliés lui avaient promis au 24 février un peu plus de 150 milliards d'euros d'aide, selon des données compilées par l'Institut d'économie mondiale de Kiel (IfW). Et de nouveaux financements pourraient être annoncés lors d'une conférence internationale mercredi à Londres sur la reconstruction du pays, évaluée par la Banque mondiale à 411 milliards de dollars.
Principale région d'arrivée de l'aide au développement, l'Afrique sub-saharienne a vu celle-ci reculer l'an dernier à 29 milliards de dollars (-8%) pendant que celle vers l'Ukraine s'est envolée à 16 milliards contre moins d'un milliard un an auparavant, d'après l'OCDE.
"On voit ces flux immenses qu'on pensait impossibles à dégager, et qui sont aujourd'hui dégagés", confie à l'AFP le ministre des Affaires étrangères du Niger, Hassoumi Massoudou. La preuve selon lui "que des ressources et des mécanismes existent" qui pourraient être utilisés aussi pour le continent.
D'autant que certains pays africains font face eux-mêmes à des conflits armés qui s'ajoutent aux crises économiques. "Il y a des conflits au nord du Congo, au Soudan et dans d'autres parties de l'Afrique mais le soutien qu'obtient l'Ukraine de la part des pays occidentaux est sans précédent. L'Occident se concentre sur le soutien aux pays occidentaux", regrette une source gouvernementale en Zambie.
Une restructuration de la dette de ce pays, en défaut de paiement depuis 2020, pourrait être proposée cette semaine, a espéré lundi une source au sein du Club de Paris, qui rassemble des créanciers publics occidentaux.
Les négociations sur le sujet pour ce pays, comme pour le Ghana, sont jusqu'ici bloquées par l'absence de consensus entre les pays occidentaux et la Chine, devenu un prêteur incontournable ces dernières années.
Les pays riches sont aussi critiqués pour ne pas avoir honoré leurs engagements, en premier lieu le versement de 100 milliards de dollars par an promis en 2009 pour lutter contre le changement climatique, et le recyclage de 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS), un avoir de réserve de l'institution, pas encore abouti.
Adopté lors de la COP27 de Charm-el-Cheikh, un fonds visant pour les pays riches à compenser les "pertes et dommages" des pays du Sud n'a en outre toujours pas été abondé.
"Il y a une crise de confiance entre les pays donateurs et les pays du Sud", constate Elise Dufief, chercheuse à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). D'autant que "quand on voit la crise en Ukraine ou bien des banques nord-américaines qui font faillite, là y a une réponse apportée très rapidement".
Le sentiment d'oubli de l'Afrique tient aussi à sa représentation au sein des enceintes qui déterminent les priorités internationales et dans lesquelles le continent réclame de peser plus, à l'instar du G20 et de l'ONU.
"L'histoire de l'assujettissement et de l'exclusion de l'Afrique exige un réexamen radical de la manière dont elle est représentée dans les institutions mondiales", analyse Howard W. French, professeur de journalisme à l'université américaine de Columbia, dans la revue Foreign Policy, rappelant aussi que "sa population, qui représentait moins d'un dixième de la population mondiale en 1950, représentera 40% de l'humanité d'ici la fin du siècle".
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