Burkina Faso
Un troupeau de chèvres trottine entre des herbes sèches et des rangées d’arbustes noueux. Soudain, une balle de golf tombe en cloche au milieu du troupeau en ricochant dans la poussière. Ses rebonds nerveux dispersent les biquettes qui pressent le pas pour éviter le projectile.
Autour, l'horizon est encombré d'immeubles: ce petit paysage de Sahel coincé au milieu des constructions de la périphérie de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, est un terrain de golf 18 trous homologué par la fédération française.
Ici, pas de pelouses soigneusement arrosées, mais de la terre et des cailloux où paissent des troupeaux.
"Au Burkina Faso, l'eau est une denrée très rare, on ne peut pas se permettre d'arroser un terrain. Ici, on fait le golf à l'état naturel", explique Salif Samaké, président du Golf Club de Ouagadougou, alors que doit s'ouvrir mercredi à New York une conférence de l'ONU sur l'eau.
La sécheresse constitue "la première catastrophe naturelle partout au Burkina Faso, pays sahélien sans débouché maritime", rappelle le ministère de l'Environnement dans un rapport publié en 2015, qui souligne que l'agriculture est la principale activité du pays et occupe environ 90% de la population active.
Or, un golf haut de gamme de 18 trous a une consommation moyenne de 5.000 m3/jour, l'équivalent de la consommation moyenne d'une collectivité de 12.000 habitants, selon des estimations officielles.
Le "green" est donc remplacé ici par un "brown", composé d'un mélange de sable et d'huile de vidange. "Ça roule un peu moins et puis bon, le putting est un peu plus compliqué", concède M. Samaké, qui croit néanmoins aux mérites de la formule.
"C'est un modèle qui peut être exporté dans d'autres pays. La seule difficulté, c'est qu'il faut juste racler pour enlever les petits cailloux, parce que quand la balle vient tomber sur un caillou, là ça va dans tous les sens... Ça nous fait rire", s'amuse M. Samaké.
Hors du temps
Les débutants sont les bienvenus, à l'instar de Nathanaël Congo, qui passe un certain temps à chercher ses balles égarées dans la broussaille alentour.
"Ça fait partie aussi du jeu. C'est ça aussi qui rend atypique le parcours de Ouagadougou", estime t-il, pas découragé.
"Au début j'étais un peu résistant. Le commun des Burkinabè pense que c’est un sport réservé à une certaine catégorie de personnes", raconte ce comptable résidant à Ouagadougou.
A 250.000 FCFA (381 euros) l'année, dans un pays classé parmi les plus pauvres du monde, matériel non compris, la licence n'est pas donnée, mais les étrangers ne représentent qu'une minorité des joueurs.
Alors que le Burkina Faso est plongé dans une crise sécuritaire sans précédent, les habitants de sa capitale épargnée par les violences profitent encore d'une relative insouciance. Comme cet officier venu taper quelques balles et qu'il faut éviter de filmer dans cette situation peu martiale.
Hors du temps, le golf de Ouagadougou résiste aussi aux appétits des promoteurs. "A l'époque, c'était le village, les gens faisaient la culture et l'élevage. Maintenant, vous voyez que le golf est entouré de parcelles tout autour", explique Abdou Tapsoba, directeur des sports du club.
Il est le fils du fondateur du golf, le "naaba" de Balkuy, chef coutumier de la zone qui avait découvert le golf en Europe, au lendemain de la Seconde guerre mondiale durant laquelle il avait combattu pour l'armée française.
En 1972, les paysans ont été priés par le Naaba d'abandonner leurs champs pour faire place au golf de ses rêves.
Spéculation immobilière
Mais les descendants des cultivateurs ont trouvé une autre ressource : "ce sont les enfants de ces familles qui tirent les chariots, les caddies, ils sont plus de soixante ici et vivent uniquement du golf", assure M. Samaké.
"Les meilleurs joueurs font partie des jeunes de Balkui. Ils ont commencé caddie et sont devenus joueurs", ajoute Abdou Topsoba.
Parmi les habitants originels, une seule famille n'a pas changé son mode de vie: les Diallo, éleveurs peuls établis sur place depuis 70 ans. Leur domaine, coincé entre les trous 5 et 10, a pratiquement gardé son état originel, si ce n'est que les maisonnettes sont régulièrement bombardées par les balles de joueurs malhabiles.
Omar Diallo, éleveur, ne se plaint pas de ce voisinage. Ses bœufs continuent de paître comme ils le font depuis l'arrivée de ses ancêtres. Mais l'extension de la capitale, qui subit depuis quelques années une intense spéculation immobilière, menace son troupeau.
"C'est difficile de trouver des pâturages pour les bêtes, on doit les emmener loin", s'inquiète-t-il. "Demain, on ne sait pas si on pourra rester ici".
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