Angola
Guerre en Ukraine, potentiel économique de l'Angola ou encore état des relations Nord-Sud, le président de l'Angola João Lourenço nous a accordé une interview à Luanda le 1er mars sur une série de dossiers d'actualité. Alors que Felipe VI et Emmanuel Macron ont effectué une visite dans la capitale angolaise ces dernières semaines, il dit regretter une certaine forme de paternalisme des Européens à l'égard des Africains.
Nara Madeira, euronews :
"Évoquons la guerre en Ukraine. Lors du vote de la plupart des résolutions adoptées par l'Assemblée générale des Nations Unies qui visaient la Russie, l'Angola s'est abstenu. Pourquoi ?"
João Lourenço, président de l'Angola :
"Il y a eu trois résolutions. Sur les trois, l'Angola s'est abstenu pour deux d'entre elles. L'abstention n'est pas une désapprobation. L'abstention signifie l'abstention. Elle doit être interprétée comme telle. Sur la deuxième résolution, l'Angola a voté pour parce que la résolution était très concrète, elle visait surtout à condamner l'annexion des quatre régions du Donbass et l'Angola comprenait que l'agression en elle-même était déjà mauvaise, déjà grave, mais il y a eu pire que l'agression avec l'annexion d'un territoire étranger, d'un pays voisin, d'un membre des Nations Unies. Donc, à l'époque, l'Angola avait une possibilité très claire de voter en faveur de la résolution proposée. Sur la résolution la plus récente, l'Angola s'est abstenu. Mais au préalable, nous avons pris la précaution d'essayer de négocier - si l'on peut utiliser ce terme - le retrait ou l'atténuation, pour ainsi dire, d'un paragraphe en particulier. Je me réfère spécifiquement au paragraphe opérationnel, comme ils l'appellent, ou P9, qui faisait référence, disons, à la poursuite de l'agresseur devant un tribunal pénal international. Non pas que cela ne puisse pas être fait, mais nous savons bien - et nous connaissons les méthodes de négociation - que quand vous négociez, vous devez toujours laisser une porte ouverte. Et nous pensons qu'à l'heure actuelle, la priorité est d'amener la Russie à la table des négociations. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour amener les deux parties, mais particulièrement la Russie, à la table des négociations afin de parvenir à un cessez-le-feu durable et de négocier la paix non seulement avec l'Ukraine, mais aussi avec l'OTAN."
"La guerre en Ukraine a peut-être davantage de répercussions sur le continent africain car nous sommes plus vulnérables"
Nara Madeira :
"Quel est, selon vous, l'impact de cette guerre en Afrique ?"
João Lourenço :
"L'Afrique n'est pas une île isolée dans le monde. Nous vivons dans un monde globalisé, avec une énorme interdépendance entre les nations. Ainsi, les crises économique, énergétique et sécuritaire que cette guerre en Ukraine a provoquées a des répercussions sur tous les pays du monde, sans exception, et peut-être davantage sur le continent africain, car nous sommes plus vulnérables."
Nara Madeira :
"Vous vous êtes engagés à contribuer à la pacification du continent africain. Dans le cas de la République centrafricaine, vous avez plaidé pour la levée de l'embargo sur les armes à destination du gouvernement afin qu'il puisse se défendre. Est-ce la seule solution pour aboutir à la paix ?"
João Lourenço :
"Ce n'est certainement pas la seule. Il est nécessaire que le pays respecte la feuille de route de Luanda. D'une certaine manière, il a commencé à le faire, mais le processus n'est pas terminé. Il est donc nécessaire de négocier avec toutes les forces vives du pays, avec l'opposition en particulier, du moins cette opposition qui se trouve sur le territoire centrafricain et de donner la possibilité aux autres acteurs politiques de participer à la vie politique du pays."
"L'Angola a un contact direct avec la direction du M23"
Nara Madeira :
"Concernant l'Est de la République démocratique du Congo où se déroule une grave crise humanitaire résultant de cette guerre, quelles initiatives avez-vous proposé lors du sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'Union africaine à Addis-Abeba pour résoudre cette crise ?"
João Lourenço :
"Les propositions ne venaient pas seulement de l'Angola, mais de différents chefs d'État. Ce qu'il faut souligner, c'est que la conclusion a été que nous devons avancer en deux temps : la première étape, en particulier, consiste à rechercher à tout prix, un cessez-le-feu définitif, parce qu'il a été violé de manière répétée. Il faut parvenir à un nouveau cessez-le-feu. Ensuite, il est nécessaire, immédiatement après ce cessez-le-feu, de passer à la deuxième étape, à savoir le cantonnement des forces du M23. Pour que ce processus ait lieu, le sommet a conclu qu'il était nécessaire de déployer la force régionale qui est constituée de plusieurs pays, à savoir le Kenya, le Burundi, le Soudan du Sud, l'Ouganda et la Tanzanie. Un seul de ces pays a déjà des troupes sur le terrain. Je parle du Kenya qui supporte le coût du maintien de sa force sur place. Les quatre autres pays ont quelques difficultés financières à assumer cette opération de déploiement et le Sommet de l'Union africaine, en particulier son Conseil de paix et de sécurité, puisera dans le "Fonds pour la paix et la sécurité" du continent pour couvrir cette dépense."
Nara Madeira :
"Comment négocier avec ces groupes armés ?"
João Lourenço :
"Le sommet d'Addis-Abeba a demandé à l'Angola d'établir un contact direct avec les dirigeants du M23 pour les convaincre d'accepter le cessez-le-feu et le cantonnement de leurs forces. Et nous avons immédiatement entrepris de remplir cette mission qui nous a été confiée. En ce moment même, l'Angola entretient déjà des contacts avec la direction du M23."
"L'Angola, alternative pour le gaz et l'hydrogène vert"
Nara Madeira :
"Le contexte géopolitique actuel nous oblige à revoir nos priorités. L'Union européenne, en ce moment, cherche une option pour remplacer le gaz russe. L'Angola représente-t-il une alternative ?"
João Lourenço :
"L'Angola est une alternative. Pour l'instant, notre pays produit plus de pétrole que de gaz, même si nous avons un peu de gaz. Mais nous avons mis en place un nouveau consortium pour la production de gaz. Ainsi, plusieurs multinationales, dans le cadre de ce consortium, vont commencer à explorer davantage en Angola, donc il y a des gisements de gaz qui ont été identifiés. Le gaz en Angola n'a pas été beaucoup développé en raison d'un déficit de législation. L'Angola n'avait pas de législation spécifique pour le gaz - centrée sur le gaz - et cela a quelque peu freiné les multinationales. Mais cette situation est terminée depuis 2017 et nous pensons que la production de gaz naturel, de gaz non associé, en Angola connaîtra un boom dans les années à venir et, donc, à partir de là, l'Europe pourra compter sur l'Angola comme un important fournisseur, non seulement de gaz, mais aussi d'hydrogène vert. Nous sommes déjà en train de prendre des contacts avec certains pays européens pour la production d'hydrogène vert."
Nara Madeira :
"L'Angola dépend encore presque exclusivement du pétrole. Mais l'un des objectifs de votre gouvernement est de diversifier l'économie nationale. Où en êtes-vous de cette démarche ?"
João Lourenço :
"Nous obtenons de bons résultats. Ainsi, le secteur non pétrolier de notre économie connaît une croissance, disons, satisfaisante. Et nous allons continuer sur cette voie. Mais il faudra un certain temps avant que, pour ainsi dire, les revenus pétroliers passent au second plan. Donc, aujourd'hui, ils sont encore les plus importants, mais la tendance s'inverse. Il arrivera un moment où le PIB national sera principalement composé de revenus provenant du secteur non pétrolier."
Diaspora historique : "Établir une connexion qui a été interrompue"
Nara Madeira :
"Vous proposez de développer le tourisme, l'agriculture et la pêche. En ce qui concerne le tourisme, plus précisément, il existe ce qu'on appelle la "diaspora historique". On estime que 12 millions de citoyens américains sont d'ascendance angolaise. Comment renforcer ce lien ?"
João Lourenço :
"Nous avons commencé à établir des contacts avec des représentants de la diaspora africaine aux États-Unis. Ils ont déjà effectué plusieurs visites en Angola, et pas seulement à Luanda. Ils ne se limitent pas à Luanda. Ils sont très enthousiastes. Je ne parle pas de retour dans le pays, mais d'établir une connexion qui a été quelque peu interrompue au fil des siècles. Donc, de notre côté, il y a cet intérêt et nous apporterons tout le soutien nécessaire pour qu'aujourd'hui, les descendants d'Africains maintiennent ce lien avec nous, avec le continent, en particulier avec l'Angola."
"La corruption en Angola ne se fait plus en toute impunité"
Nara Madeira :
"Est-ce plus facile aujourd'hui pour un entrepreneur, un investisseur, de s'installer en Angola ?"
João Lourenço :
"Oui, bien sûr, c'est beaucoup plus facile et ce n'est pas moi qui le dis. Ce sont les investisseurs eux-mêmes. Depuis cinq ans que je suis à la tête des affaires du pays, l'une de nos préoccupations a été de créer un environnement des affaires différent de ce qu'il était auparavant : par conséquent, un meilleur environnement des affaires. L'une des caractéristiques de ce meilleur environnement des affaires est, sans l'ombre d'un doute, la lutte contre la corruption. Je ne peux pas garantir qu'il n'y a plus de corruption en Angola - en réalité, la corruption existe partout dans le monde -. Mais ce que je peux garantir, c'est qu'aujourd'hui, la corruption en Angola ne se fait plus en toute impunité. En d'autres termes, chaque fois que les autorités ont connaissance de tels actes, quelle que soit la personne qui les commet, ils ne resteront pas impunis."
"Nous voulons de vraies relations de coopération avec les Européens"
Nara Madeira :
"Lors du dernier sommet de l'Union africaine, vous étiez avec le Premier ministre portugais et António Costa a déclaré que l'un des sujets abordés était la manière de dynamiser les relations entre l'Europe et l'Afrique. Que peut faire l'Angola à ce niveau ?"
João Lourenço :
"Dire aux Européens que ce que nous voulons, ce sont de vraies relations de coopération - ce que parfois, nous n'avons pas - et nous voulons combattre un certain paternalisme qui existe parfois et dire que nous avons aussi quelque chose à offrir à l'Europe. Ce n'est pas uniquement l'Europe qui a des capitaux, des savoir-faire à offrir à notre continent. Nous avons aussi quelque chose de très important à donner en retour. Donc le bénéfice de la coopération entre nos deux continents est réciproque."
Nara Madeira :
"Que peuvent faire l'Union européenne et les États membres pour promouvoir ces relations ?"
João Lourenço :
"Ce que l'Union européenne peut faire - et d'une certaine manière fait déjà -, c'est discuter avec nous sur un pied d'égalité, de l'intérêt de la coopération Nord-Sud, donc, changer certaines des règles du jeu. Il est clair qu'aujourd'hui, notre continent est de facto décolonisé, mais même ainsi, même des décennies après la fin de la colonisation, les relations internationales ne sont toujours pas équitables. Il y a des règles internationales qui prévalent dans le commerce, dans le commerce des matières premières, que nous devons évoquer en nous asseyant autour d'une table et renégocier. Ce n'est pas pour rien que nous voulons - que l'Afrique veut - un siège au G20, elle veut un siège - un ou plusieurs - en tant que membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, justement pour corriger ces relations qui à ce jour, nous paraissent encore inéquitables d'une certaine manière."
Sécurité, production alimentaire : "L'Angola a son mot à dire" sur la scène internationale
Nara Madeira :
"Le Secrétaire d'État américain, Antony Blinken, a déclaré que l'Angola est un partenaire stratégique. Dans quels domaines selon vous ?"
João Lourenço :
"Dans les domaines fondamentaux de la vie des pays, à savoir dans celui de la sécurité - je veux dire la sécurité internationale -, l'Angola a son mot à dire, mais aussi dans le domaine économique, dans la production de denrées alimentaires, pour nourrir le monde. Nous avons assez de terres et assez d'eau. Il nous manque les capitaux et les savoir-faire pour être un pays qui puisse fournir de la nourriture, non pas à l'Angola, mais au monde entier."
Objectifs angolais dans les énergies propres
Nara Madeira :
"Les États-Unis vont investir 2 milliards de dollars dans un système de production d'énergie photovoltaïque. L'un des objectifs de l'Angola est de développer les énergies renouvelables. Êtes-vous sur la bonne voie ?"
João Lourenço :
"Nous ne sommes pas très loin d'atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé. Actuellement, 64% de l'énergie produite en Angola ne provient plus de sources polluantes, 64% provient de l'énergie hydroélectrique - essentiellement de l'énergie hydroélectrique -, mais l'énergie photovoltaïque se développe aussi. L'an dernier, nous avons inauguré deux grandes centrales photovoltaïques dans la province de Benguela. Nous avons un projet prévu dans l'Est du pays et nous en avons un autre de grande envergure avec une entreprise américaine qui va produire et fournir de l'énergie à quatre provinces du sud de l'Angola. Notre objectif est, d'ici à 2026, de passer de 64 à environ 70% d'énergie issue de sources propres."
"Des élections locales devront nécessairement avoir lieu en Angola"
Nara Madeira :
"En plus de toutes ces transformations économiques qui sont déjà en cours, vous avez promis la création de municipalités. Quand ces élections locales auront-elles lieu ?"
João Lourenço :
"Ce n'est pas une question de promesse."
Nara Madeira :
"C'était une promesse électorale."
João Lourenço :
"C'est une décision. Non, ce n'est pas électoraliste. Nous avons présenté cette question des municipalités juste après le début de mon premier mandat. Je suis arrivé à la présidence de la République d'Angola en 2017 et, si je ne me trompe pas, c'était en 2018 ou 2019, je ne suis pas trop sûr, que dans une réunion du Conseil de la République et à notre initiative, à mon initiative, nous avons parlé de la possibilité d'organiser des élections locales. Et tout cela, c'est un processus. Il n'y a jamais eu d'élections locales en Angola. Ce sera la première fois. Quand auront-elles lieu ? Je ne sais pas, mais elles devront nécessairement avoir lieu. Pour qu'il y ait des élections locales, il faut un fondement légal. Nous respectons l'État de droit démocratique. Tout doit avoir une base légale. Les spécialistes ont défini un ensemble de plus de dix lois municipales, concernant le pouvoir municipal, et la plupart d'entre elles ont déjà été approuvées par l'Assemblée nationale, à l'exception, je crois, d'une loi fondamentale. En réalité, il en manque plus d'une, mais l'une d'entre elles est fondamentale, c'est celle qui définira la date de la tenue de ces élections. En fait, il y a deux positions différentes. Il y a ceux qui pensent que, pour la toute première fois, le pays devrait organiser des élections locales dans toutes les municipalités du pays. C'est une position. Et il y a ceux qui sont plus prudents - je ne dirais pas "plus conservateurs", mais "plus prudents", et qui considèrent que, parce qu'il s'agit d'une nouvelle expérience, ce serait, disons, un coup d'épée dans l'eau que de commencer par les organiser dans toutes les municipalités du pays. Ils estiment que cela pourrait se faire par étapes. Quand ce différend entre les forces politiques sera surmonté, la loi sera approuvée, et à partir de là, le chef de l'État sera en mesure de créer les conditions pour convoquer les élections locales."
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