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"La route de l'enfer" : mettre sa vie en danger et tout laisser pour une meilleure vie

"La route de l'enfer" : mettre sa vie en danger et tout laisser pour une meilleure vie
Dans la tête des hommes. Episode 15. Tounkan Namo en Guinée   -  
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Dans La Tete Des Hommes

Guinée

Que subissent ceux qui décident de se lancer sur “la route de l’enfer” ? Des milliers de migrants meurent chaque année sur les routes migratoires et ne réussissent pas à atteindre l’Europe. Ils doivent alors trouver le courage de rentrer et de faire face à leur famille et à leur communauté.

Dans cet épisode, nous accueillons Mary-Noël Niba, réalisatrice franco-camerounaise de plusieurs films, et notamment de "Partir ?". Ce documentaire raconte la décision prise par plusieurs personnages africains de quitter ou non leur pays.

Le journaliste Mamadou Bah, réfugié en France et inscrit auprès de la Maison des Reporters, est notre second invité. Il a quitté la Guinée et emprunté les chemins migratoires via la Libye pour arriver en Europe dans des conditions très difficiles.

Vous avez aimé cet épisode ? Partagez vos réflexions sur la façon dont vous avez remis en question votre vision de ce que signifie être un homme en utilisant le hashtag #DansLaTêteDesHommes. Si vous êtes anglophone, ce podcast est également disponible en anglais : Cry Like A Boy.

N'hésitez pas à écouter et à vous abonner au podcast sur euronews.com ou Castbox, Spotify, Apple, Google, Deezer, et à nous donner votre avis.

Transcript

TOUNKAN NAMO EN GUINEE : LA ROUTE DE L’ENFER

Arwa Barkallah : Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode de "Dans la tête des hommes". Je suis Arwa Barkallah et aujourd'hui, nous allons discuter des épisodes audios précédents dans lesquels nous racontons l'histoire de Mamadou Alpha et de Fana. Tous deux Guinéens, ils se sont lancés dans l'aventure migratoire. L'un a échoué, l'autre a réussi. Mais ce voyage, cette aventure ou tounkan namo, en langue malinké, n'est pas terminé pour eux.

Pour discuter de la condition migratoire, j'accueille aujourd'hui Mary-Noël Niba, réalisatrice franco-camerounaise de plusieurs films, et notamment de "Partir ?". Ce documentaire raconte la décision prise par plusieurs personnages africains de quitter ou non leur pays.

Le journaliste Mamadou Bah. est également mon invité. Mamadou, vous êtes réfugié en France, inscrit auprès de la Maison des Reporters. Vous avez fui la Guinée et emprunté les chemins migratoires via la Libye pour arriver en Europe dans des conditions très difficiles. Nous reviendrons un peu plus tard sur les raisons qui vous ont poussé à vous exiler.

Pour mieux comprendre ce débat, vous pouvez écouter les épisodes précédents réalisés à Conakry, la capitale guinéenne, et dans le sud de la France.

Je précise que le film de Mary-Noëlle Niba, "Partir ?", devait sortir au cinéma en novembre 2020, en France, mais cette sortie a été reportée en raison de la crise sanitaire. Le documentaire arrive bientôt dans les salles.

Comment avez-vous eu l’idée de ce film ?

Mary-Noël Niba : Il faut dire que le film "Partir ?" remonte à très loin. Quand j'étais étudiante en France, dans les années 90, je suis rentrée chez moi à la fin de mes études et je me suis rendue compte qu'il y avait déjà un phénomène, une mode, qui consistait à envoyer quelqu'un de sa famille à l'étranger. Et les familles se sacrifiaient pour envoyer les leurs à l'étranger.

Dix-sept ans après, je suis revenue en France avec ma famille et, comme tout le monde, je voyais chaque jour à la télévision des drames liés à la migration clandestine. Quand j'ai vu le naufrage à Lampedusa et la mort de plusieurs migrants, ça a été un choc. Mais déjà, à la télé ou dans les journaux, quotidiennement, on nous racontait comment des centaines, des milliers de migrants africains trouvaient la mort dans le désert, en mer et dans les naufrages de leur embarcation.

A chaque drame, je me demandais comment faire pour en parler. D'autant plus que certains des miens, il y a plusieurs années, étaient partis à l'étranger, puis revenus au pays. Et quand je retournais au Cameroun, je me rendais compte qu’ils étaient mis au ban de la société. Ils étaient considérés comme des losers. Ils n'avaient pas le droit de cité. Certains me racontaient que beaucoup étaient rentrés et étaient morts d’avoir été harcelés. Ils avaient été rejetés et n'arrivaient plus à se reconstruire.

Et moi, tout ça me dérangeait. En regardant chaque jour les médias français raconter comment meurent les migrants africains, je me suis demandé : pourquoi ? Pourquoi doivent-ils mourir ?

Arwa Barkallah : Pourquoi avoir choisi de traiter le sujet à travers cinq personnages ?

Mary-Noël Niba : Le premier personnage est Guy Roméo. Il est le dernier que j’ai rencontré. Pour moi, c'était le point de départ pour montrer des hommes qui faisaient l'actualité. C'est ce que nous vivions chaque jour dans les médias. Quotidiennement, on nous montrait des migrants et leurs enfants qui s’étaient lancés dans la traversée. Chaque jour, je rencontrais des migrants qui essayaient d'obtenir des papiers, de se reconstruire en France, de s'intégrer. Pour moi, c'était Guy Roméo qui les illustrait le mieux. Il représentait un peu ceux qui étaient déjà là et qui essaient de s'intégrer. Ce n'était pas évident du tout. Pour moi, sa vie à lui devait me permettre de parler de celle de tous les autres.

Au Cameroun, j’ai choisi Léo et Stéphane qui étaient partis via des voies conventionnelles, mais qui arrivaient en France après des étapes en Europe ; en Hollande, en Allemagne, en Belgique, etc. Ils avaient fait un peu le tour. Pendant des années, ils ont passé huit ans pour l'un et 10 ans pour l'autre, à essayer de trouver leur voie, mais ils n’ont pas réussi malgré tous leurs sacrifices. En plus, ils étaient pères de famille et déjà des adultes accomplis. Pour moi, ils ont eu le courage de rentrer. J'appelle ça du courage, parce que ce n'était pas évident. Ils n'ont pas été accueillis à bras ouverts, ils ont été mis au ban de la société et ils ont à nouveau essayé de se reconstruire voire même de s'intégrer dans leur propre société.

Après, je me suis dit que ce n’était pas seulement le problème du Cameroun, mais de l’Afrique en général. On parle des Africains, mais je ne pouvais pas faire le tour. Pour moi, parler du Sénégal est parti du fait que j'avais vu le film de Moussa Touré “La pirogue”. J'ai été tellement marquée que je me suis dit que s’il en avait parlé, c'est que le phénomène existait aussi dans ce pays. Il fallait que j'aille comprendre pourquoi, au Sénégal, il y avait ces mêmes départs.

Il fallait que je me rende sur place pour comprendre. C'est comme ça que j'ai pu rencontrer Boye Gaye, la dame. Et elle, non seulement, c’était une migrante, mais aussi une femme. Il était rare de trouver des femmes qui pouvaient en parler et j'ai voulu montrer que les femmes aussi émigrent. Enfin, à travers elle, j’ai pu montrer aussi qu’il y avait une migration organisée par les gouvernements. Il ne s’agissait pas que d’aventures où l’on se levait tout seul ou avec l'aide de sa famille. Les migrations organisées existent.

Ensuite, il y a Cheikh, qui était un aventurier. Il a fait la traversée et un long périple. Après dix années, il a dit : "Je rentre… Je regrette". Il a essayé de se reconstruire. Moi, je voulais montrer un peu ces personnages-là, l'espoir de ceux qui sont partis et se sont battus. Ils sont allés faire une guerre et ont essayé de s'en sortir, puis, ne réussissant pas, ont finalement eu le courage de rentrer et de faire face à leur famille et à leur communauté.

Ils sont rentrés et essaient de se reconstruire. A travers eux, j'ai voulu montrer que l'eldorado dont on parle, ne se trouve pas qu'en Europe, mais aussi en Afrique.

Arwa Barkallah : Mamadou Bah, ce qui vous a poussé à partir, c’est le fait que vous ayez révélé une affaire de corruption dans votre pays. Des pressions ont été exercées sur vous par la suite.

Mamadou Bah : C’est effectivement un côté de l'histoire. À chaque fois, c'est une autre personne qui raconte notre histoire et pas forcément dans le bon sens ou de la manière dont elle a été vécue.

Donc, moi, personnellement, j'ai quitté la Guinée en 2017. J’ai suivi un cursus scolaire là-bas, terminé mes études supérieures puis fait une formation professionnelle, pour enfin travailler en Guinée. J'ai étudié le droit des affaires. Au moment de trouver un emploi, un groupe a été engagé et un autre groupe ne l’a pas été. Je faisais partie du deuxième groupe. Nous avions pourtant tous suivi le même processus et la même formation, que nous avions d’ailleurs validée. A l'époque, j'avais travaillé aussi dans les médias, plutôt dans la presse écrite, et j'ai essayé de mener des enquêtes par rapport à cette situation et le fait que des personnes avaient été engagées et pas d’autres. Je trouvais paradoxal qu’après la formation, certains ne soient pas inscrits sur la liste des nouvelles recrues de la fonction publique.

J'ai mené des enquêtes et écrit des articles sur le sujet et c’est ce qui m’a valu d’être arrêté une première fois. J’ai été molesté et j’en garde les cicatrices. Mais ce qui compte au final, le plus important, c’est qu’au moins 232 personnes, y compris moi, ont vu leurs droits être rétablis. Pour moi, c’était une sorte de revanche, parce qu’ils m’avaient mis au placard. Pendant une année, j'étais vraiment loin des médias, mais je suis finalement revenu ; toujours par rapport à ce travail sur la corruption que j’ai mené.

Je disais que mon leitmotiv était le secteur éducatif. Pour moi, le développement d'un pays passe par le secteur éducatif. Après ça, il y a eu beaucoup d'autres processus, mais on ne peut pas donner plus de détails ici. Donc, c'est a l'issu de cela que j'ai reçu de nombreuses menaces qui m’ont contraint à fuir la Guinée.

Arwa Barkallah : Et comment s’est passé le chemin sur la route de l’enfer ?

Mamadou Bah : Le voyage a été très difficile comme ma collègue vient de l'expliquer. C'est une route de l'enfer que beaucoup d’autres ont également connu et moi, au préalable, je ne savais même pas où j’allais. L’objectif premier était déjà de quitter le pays pour n'importe quel autre. On ne cherchait pas à savoir s’il fallait aller vers le Sénégal ou le Mali ? L'essentiel était de fuir la Guinée et de ne pas être dans la ligne de mire des autorités.

Je suis arrivé au Mali et j’y suis resté longtemps avant d'emprunter cette route. Car même avec de la volonté, parfois, même dans les pays limitrophes, on ne peut pas vraiment avoir la certitude d'obtenir l’asile, en raison de certaines situations politiques qui pèsent aussi sur les pays africains. Chaque État n'aime pas avoir de conflits avec les pays voisins, notamment à cause d'un citoyen.

Arwa Barkallah : Donc le jeu n’en vaut pas la chandelle...

Mamadou Bah : Voilà. Les frontières de la Guinée et du Sénégal sont fermées depuis longtemps. Cela reflète un peu cette situation. Parce qu'aujourd'hui, on taxe le Sénégal. Ce dernier est devenu une base arrière pour les opposants au régime. Donc, à partir du moment où il y a ce traitement… A l'époque d’Alpha Condé, le pouvoir de Conakry avait une belle relation avec le pouvoir malien. Je ne prétendais pas vraiment vouloir rester au Mali ou demander l’asile. C'est la raison pour laquelle j’ai embarqué dans cette vague migratoire. Les gens marchent beaucoup sur cette route et j'ai emprunté la même qu’eux. J’ai fait comme les autres migrants, jusqu'au moment où j'ai traversé aussi la mer Méditerranée, avant d'arriver ici.

Arwa Barkallah : Vous êtes arrivé par l’Italie ?

Mamadou Bah : Oui.

Arwa Barkallah : Comment s’est déroulé le voyage en Europe ?

Mamadou Bah : Je suis arrivé au mois de septembre 2017, après avoir souffert des atrocités que l’on vit sur ces routes, qu’on le veuille ou non. C'est comme si on montait à bord d’un bateau sans connaître notre destination finale. On ne sait pas si l’on va survivre ou pas. Ce qui se passe dans certains pays africains, et qui m'écoeure un peu par rapport à cette situation, c'est la route migratoire aujourd'hui. Quand on parle de la migration, on fait toujours allusion à des situations économiques, mais on ne parle que très peu de situations politiques.

Ce qui est le plus difficile, c'est que ce sont des Africains, qui vivent sur le même continent, qui traitent leurs frères comme des objets. Ils font passer leur ambition et cette envie de gagner de l’argent coûte que coûte avant les valeurs humaines. Tout ce que je peux vous raconter ici ne sera jamais assez fort pour décrire les atrocités qui se passent sur cette route.

Arwa Barkallah : En tant que journaliste, c’est quelque chose que vous auriez souhaité documenter ?

Mamadou Bah : Vous savez, bien que je sois journaliste, tout ce qui me préoccupait était ce qui se passait dans ma tête.

Retrouvez la suite de cette interview dans 15 jours.

Si vous découvrez notre série de podcast, vous pouvez revenir aux épisodes précédents sur les Baina Ba Mamainara du Lesotho, ces mineurs qui mettent leur vie en danger pour gagner leur pain quotidien.

Rendez-vous sur notre site internet pour plus de contenu fr.euronews.com/special/dans-la-tete-des-hommes-podcasts.

Cet épisode a été coproduit par Arwa Barkallah, à Dakar, au Sénégal.

Naira Davlashyan, Marta Rodriguez Martinez, Lillo Montalto Monella, Mame Peya Diaw à Lyon, en France.

Lory Martinez à Paris, en France.

Clizia Sala à Londres, au Royaume-Uni.

Design audio : Studio Ochenta.

Thème musical : Gabriel Dalmasso.

Rédacteur en chef : Yasir Khan.

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Ce podcast est disponible aussi en anglais sous le nom : Cry Like a Boy.

Ce programme est financé par le European Journalism Centre, dans le cadre du programme European Development Journalism Grants avec le soutien de la Fondation Bill & Melinda Gates.

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