Burundi
Devons-nous considérer comme soumis un homme qui prend soin de sa femme ? N’est-ce pas son devoir en tant que mari ? Jusqu’où peut aller un homme pour prouver sa virilité ?
Innocent frappé par la pauvreté, a par la suite compris à travers la fréquentation des Abatangamuco que maintenir “une femme prisonnière l’empêche d’être autonome. Quand tu fais ça, tu freines son développement”.
Les Abantagamuco sont un groupe d’hommes qui malmènent leurs épouses. Ils luttent désormais, depuis 2008, contre les violences faites aux femmes et pour l’égalité des sexes. Ce groupe a été créé avec le groupe CARE International, une ONG d’aide au développement et qui contribue à l'égalité hommes-femmes. Les Abatangamuco ne sont peut-être pas sur les réseaux sociaux, mais ils demeurent influents au niveau de leur communauté.
Nous allons chercher à comprendre qui sont réellement les Abatangamuco dans le second épisode de “ Dans la tête des Hommes “, cette série podcast originale d'Euronews, en collaboration avec Africanews, vise à promouvoir une discussion transfrontière sur les rôles de genre, du point de vue de cinq pays africains (Burundi, Sénégal, Lesotho, Guinée et Libéria) et un débat mondial sur une masculinité épanouie et respectueuse de tous.
Les journalistes à l’origine du projet travaillent avec un réseau de correspondants locaux dans les pays couverts par le projet, ainsi que des journalistes d’Africanews.
Dans cet épisode, découvrez comment certains sociologues internationaux comme Hilde Ousland Vandeskog réalisent des études basées sur le groupe des Abatangamuco. A travers son étude elle cherche à savoir comment les hommes ont trouvé la solution pour repenser à leurs masculinités, une solution pourrait servir d'exemple à tous les hommes.
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Script complet de l’épisode:
Les Abatangamuco au Burundi : le couple
EPISODE 2
Arwa Barkallah : Bienvenue à tous, vous écoutez le premier épisode de “Dans la Tête des Hommes”, le podcast qui remet en question les pressions sociales exercées sur les hommes par la société. Une pression qui peut porter préjudice aux sociétés comme aux familles. A travers nos épisodes, vous verrez comment certains hommes en Afrique se lèvent contre ces stéréotypes millénaires.
Dans cet épisode nous poursuivons avec Innocent et Capitoline. Dans l’épisode précédent, Innocent voulait épouser 27 femmes.
Innocent Barumpozako : Je suis devenu très pauvre après avoir vécu avec plusieurs femmes. Pour avoir de quoi me mettre sous la dent, je devais passer toute une journée à cultiver pour les autres. Parfois, ceux pour qui je travaillais ne me donnaient que des patates douces, après une longue et dure journée de travail. Et le lendemain, seulement une petite quantité de farine de manioc. La pauvreté allait sérieusement me tuer.
Arwa Barkallah : À ce moment, il a été séparé de sa femme, il n'a pas participé à la vie de sa communauté et est devenu un paria social. Voici comment le reste de la famille a vécu la séparation.
Capitoline Ndakoraniwe : Quand il m’a chassé, j’étais enceinte de trois mois. J’ai accouché de mon enfant chez moi.
Lorsque j’étais maltraitée, mon enfant a été touché. Il ne l'a jamais oublié jusqu'à aujourd'hui. Durant son enfance, il a attrapé le kwashiorkor. Je l'avais laissé à son père, mais ce dernier consacrait tout son temps dans l'adultère. L’enfant était presque élevé par sa grand-mère. Depuis qu’il a attrapé la kwashi, mon enfant a grandi traumatisé. Il était solitaire, silencieux. Quand une personne lui posait une question, il ne répondait pas. Il était solitaire et silencieux et avait peur de subir les mêmes violences qu’avaient subi sa mère.
Arwa Barkallah : Et puis, un jour...
Innocent Barumpozako : J'ai appris la création d'un réseau nommé Abatangamuco. J'ai eu envie de savoir ce qu'ils racontaient.. Au début, je les prenais pour des fous. Je les considérais comme des hommes soumis auprès de leurs femmes. Mais quand j’ai adhéré au groupe, j’ai été convaincu qu’ils disaient la vérité. C’est ainsi que j’ai décidé d’abandonner toutes les femmes que j’avais conquise pour faire revenir mon épouse au foyer.
Capitoline Ndakoraniwe : Quand mon mari a réalisé que la pauvreté allait le tuer, il a eu envie de moi. Il est venu me récupérer. Entre-temps,des remises en questions sur le traitement des femmes naissaient. Quand je suis revenue, mon mari avait un peu changé mais pas complètement. Il ne savait pas sourire, je ne connaissais pas le dialogue dans mon foyer. Jamais. Il a commencé à me parler quand il a intégré le groupe Abatangamuco. C’est là où j’ai vu ses dents.
Arwa Barkallah : Abatangamuco a été créé avec le concours de Care International, une ONG humanitaire qui se consacre à tous les aspects du développement y compris d'égalité des genres.
Josee Ntabahungu : Les Abatangamuco c'est un mouvement d’hommes engagés contre les violences faites aux femmes et pour l'égalité des sexes. Et ils sont, je dirais, influents au niveau de la communauté parce que le mouvement là est un mouvement à base communautaire.
Arwa Barkallah : Josée Ntabahungu travaille pour l’ONG, elle fait partie de ceux qui ont lancé le mouvement en 2008.
Josee Ntabahungu : ils sont intéressants car ce sont des hommes qui, autrefois, étaient violents. ils ont pratiqué les mauvaises choses qui sont dans la culture, les choses de domination et Ils ont vécu une mauvaise vie à cause de ce mode de vie. Ils peuvent, une fois changés, témoigner et raconter leur histoire.
Arwa Barkallah : Après sa fondation, Abatangamuco a suscité la curiosité de chercheurs du monde entier. En 2011, Hilde Vandeskog, chercheuse en sociologie du genre à l'université d'Oslo, étudie ce qui a poussé les Burundais à changer leur idée de la masculinité.. D'après elle, les raisons sont originales.
Hilde Ousland Vandeskog : Ce sont des gens qui sont de petits agriculteurs et pratiquent l'agriculture vivrière. Ils ont très peu de sécurité matérielle. il y a apparemment une sorte de vision dominante de la masculinité burundaise prévalue dans la pratique. Une vision dans laquelle l'homme affirme sa masculinité en étant dominant et parfois violent. Mais aussi en ayant le droit de ne pas contribuer au foyer et en s'octroyant le droit d'utiliser l'argent pour son propre plaisir en ne laissant rien à sa famille.
Mais vous savez, ce n'est pas le seul type d’image de la masculinité qui existe au Burundi. D’autres hommes évoquent simultanément l'importance d'être prospère, l'importance d'avoir du succès. Mais aussi, essentiellement, l'importance d'avoir la confiance de la communauté.
Ils ont donc repris l’image d'un homme meilleur qui existait encore dans la société burundaise. Et ils l'ont remise en avant.
Arwa Barkallah : D'après elle, la méthode est particulièrement simple et efficace.
Hilde Ousland Vandeskog : C'est surtout une image très attrayante pour les hommes. Elle est très flatteuse pour leur égo, comment ne pas aimer cette idée.
Ils leur disent “tu ne voudrais pas avoir une plus belle maison ? Tu ne voudrais pas que ta femme ait de plus beaux vêtements ? Tu ne voudrais pas que les gens t’admirent?" C’est ce type d’arguments qu'ils utilisent.
Et ils continuent “mais si tu continues à faire comme tu fais, si tu n'aides pas ta femme en allant aux champs. Si tu la bats pour qu'elle ait peur, et pour la blesser. Si tu ne lui retournes pas le cerveau sur la meilleure manière de dépenser l’argent, alors tout devient possible” C’est ça leurs arguments.
Arwa Barkallah : Pendant ce temps, Capitoline et Innocent poursuivent leur petit bout de chemin. Innocent fait figure de guide et sa femme travaille au leadership avec lui. Depuis leur expérience de théâtre, il n’a plus jamais levé la main sur sa femme. Ils ont un fils qui vit en dehors du Burundi, en Ouganda et sont même devenus de jeunes grands-parents. On devient grands-parents très tôt dans cette partie du globe. Alors, c’est quoi la botte secrète pour une vie de couple réussie ?
Capitoline Ndakoraniwe : Un vrai homme, c’est celui qui communique avec sa femme. Un vrai homme, c’est quelqu’un qui ne cache pas à sa femme son état financier.
Quand il n'avait pas encore changé, mon mari ne me montrait jamais son argent. Il me donnait à peine un petit billet pour acheter du sel et devait se cacher pour sortir ce billet en me le jetant par terre
Mais aujourd’hui, mon mari est devenu un vrai homme. Il ne me cache plus son état financier. Il communique avec moi. Partout où il se trouve, il est fier de son épouse. Mon mari ne savait jamais prononcer mon nom. Mais aujourd’hui, il m’appelle sa chérie. Aujourd’hui, quand nous sommes ensemble, nous sommes très heureux.
Innocent Barumpozako : Une vraie femme ? Quand tu laisses libre une femme, quand tu lui donnes la paix, toutes les femmes sont intelligentes. Il y a des hommes qui maintiennent une femme prisonnière et l’empêche d’être autonome. Quand tu fais ça, tu freines son développement. Par exemple, ma femme peut vendre une banane verte à un prix plus élevé que moi. Si je ne suis pas là, je peux lui laisser vendre nos bétails parce que je sais qu’elle vend mieux que moi. Je lui fais confiance.
Arwa Barkallah : Capitoline et Innocent font figures d’exemples parmi tant d’autres. Abatangamuco a incité beaucoup de foyers à faire changer les choses et faire comprendre aux hommes qu’ils sont aussi la clé du changement, qu’ils peuvent se ré-approprier leur vision de la masculinité et œuvrer à un ménage plus heureux et plus équilibré.
Faustin Ntiranyibagira : Quand j'observe ma communauté, je vois que les couples commencent à comprendre que le foyer c’est pour deux. Les gens ne voient plus un homme qui puise de l’eau et le comme étant soumis. Ils ne se moque plus d'une femme qui aide son mari
Aujourd’hui, grâce aux Abatangamuco, les couples peuvent se balader ensemble. Dans le temps , la femme ne pouvait pas marcher aux côtés de son mari. Aujourd’hui, l’homme peut faire des travaux ménagers en l’absence de sa femme.
Si tous les Burundais étaient mutangamuco, le pays connaîtrait un développement spectaculaire.
Arwa Barkallah : Mais le Burundi a encore beaucoup à faire. En 2019, le pays s’est placé à la 189e place de l’Indice d’Egalite Femme-Homme.
Les rôles traditionnels ont encore la peau dure dans la société burundaise. Umukenyezi: c’est un mot qui décrit l’idée qu’on se fait d’une femme idéale. "Celle qui noue son pagne sur un lit d'épines et qui ne flanche pas pour que le monde ne remarque pas ses douleurs.” Une sorte d’image poétique qui incite les femmes à endurer silencieusement les épreuves du mariage.
Il n’existe pas d’études de référence en matière de violences de genre au Burundi. En 2017, l’ONUSIDA (l'Organisation mondiale de la santé est l'organisme des Nations unies chargé de la gestion du Sida), a réuni ces données et d'après l’organisation, entre 2016 et 2017, les atteintes faites aux femmes incluant les féminicides, ont augmenté de 150 à 200%.
Régulièrement, le pays débat de ces problématiques. Dans une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux récemment, la Première dame Angeline Ndayishimiye a déclaré que la femme ne sera jamais l’égal de l’homme.
Angeline Ndayishimiye : "Nous nous sommes rendus compte qu’il y a un mauvais esprit de rébellion qui a attaqué les femmes qui ont de l’argent dans leurs poches. Cela dépend de la manière dont chacun a été éduqué… Il y a aussi ce qui a été dit par le ministre de la Justice qui, lui aussi, nous a prodigué des conseils. Elle a parlé au sujet de l’égalité des genres ; cela n’arrivera jamais, jamais ça ne réussira et jamais vous ne le verrez. Je vous donne un petit exemple : lorsque vous êtes assise à côté d'un homme, et qu'il est difficile d'ouvrir une bouteille d'eau, votre reflexe est de lui demander.vous-même ? Voilà un exemple qui prouve qu'il faut oublier l'égalité hommes-femmes! Au Burundi, ça n’arrivera jamais…”
Arwa Barkallah : Mais les programmes tels que celui d'Abatangamuco montrent que les changements sont possibles. En 2016, le parlement burundais a adopté une loi contre les violences faites aux femmes en durcissant les condamnations pour les auteurs des faits. Depuis lors, les ONG ont constaté une baisse des plaintes.
La constitution burundaise veut que 30% du gouvernement soit composé de femmes. Même si toutes les institutions n’ont pas atteint cet objectif, le pays a vu beaucoup plus de femmes se présenter aux élections locales et l'Assemblée Nationale est composée de 36% de femmes. En moyenne, les femmes composent 34,45% des conseils municipaux/régionaux du Burundi. En 2015, elles comptaient pour 32,7%.
Tout cela s’est accompagné d’un changement de rôle allant du patriarche qui contrôle tout à un rééquilibrage du couple au sein du foyer. Chacun son mot à dire sur les décisions fondamentales.
Hilde Ousland Vandeskog : Je pense que nous avons tous des idées arrêtées sur les rôles de genre et sur la façon dont nous devrions vivre en tant que famille et en tant qu'êtres humains les uns envers les autres. Et ces hommes sont prêts à remettre en question leurs propres idées sur la masculinité et leur propre domination. C'est, je pense, quelque chose que nous ne faisons pas assez.
Et je ne vais pas dire qu'ils sont arrivés à une égalité parfaite entre les sexes. Je veux dire, si vous regardez ces familles, elles ont encore l'air très traditionnelles. C'est encore "la principale responsabilité des femmes c'est ça et celle des maris c'est ça”. Mais ils collaborent pour que ça fonctionne, ce qui est un grand pas en avant. Mais cette humilité qu’ils ont à dire "vous savez quoi, j'avais probablement tort. Voyons si nous pouvons faire les choses autrement". "Remettons tout ça en question et faisons de cette réflexion une partie de notre identité et de nos histoires”. C'est quelque chose dont nous pouvons tirer des leçons.
Arwa Barkallah : Les initiatives locales comme celles d’Abatangamuco sont sources d’espoir. De retour sur la colline Gasunu, nous demandons aux villageois ce qu’ils pensent de la façon dont Capitoline et Innocent ont concédés pour une vie de couple plus équilibrée.
Arwa Barkallah : Après le spectacle, les spectateurs engagent la conversation sur leurs moments préférés. Il se reconnaissent dans certaines scènes et se projettent sur les personnages. Ils sont attentifs et font passer le message aux générations suivantes, les jeunes hommes passent le message aux plus jeunes.
Spectatrice : Pardonne-la, pardonne-la!
Arwa Barkallah : Le petit-fils d'Innocent et de Capitoline à 18 ans, il explique que ses grands- parents sont un modèle de couple à suivre.
Believe Bitangimana : À entendre les témoignages de certains de mes camarades de classe, leurs parents vivent dans la mésentente. Leurs pères sont souvent des ivrognes et dilapident les biens de la famille. Ils sont tout à fait opposés à mes grands-parents. Ici à la maison, tout se passe bien. Mes grands-parents sont même des modèles dans notre communauté.
Quand j’aurai ma famille, j’aimerais avoir un foyer heureux et paisible comme celui de mes grands-parents. Un foyer où règne l’entraide mutuelle. J’aimerais même inspirer mes amis.
OUTRO:
Abatangamuco est une organisation fondée avec Care international, dirigée par des citoyens burundais à travers le pays.Cet organisation ne possède pas de site internet mais elle est très suivie dans le pays.
Care international est une ONG d’aide au développement et contribue à l'égalité hommes-femmes. L’ONG a créé Abatagamuco en 2008. Pour plus d’informations, vous pouvez vous rendre sur www.care.org
Hilde Ousland Vandeskog est doctorante à l’Université d’Oslo, vous pouvez lire sa publication sur Abantangamuco publié en 2012 sur PRIO.org. Vous pouvez également consulter ses travaux sur le site de Sciences Sociales et de la Santé de l’université d’Oslo,
Dans cet épisode, nous avons utilisé la musique d'Yves Kami, un artiviste burundais. Vous pouvez consulter son travail à l'adresse www.musicinafrica.net.
CREDITS:
Ce reportage a été réalisé par Clarisse Shaka et Fabrice Nzohabonayo à Gitega, avec le concours, en France de Naira Davlashyan, Marta Rodriguez et Lillo Montalto Monella à Lyon, Lory Martinez à Paris.
Production et Design par les Studio Ochenta.
La musique est de Yves Kami, L’intro, le thème et le générique sont de Gabriel Dalmasso.
Merci à Natalia Oelsner pour la sélection musicale de cet épisode.
'Dans la tête des hommes’ est une série de podcast originale d’Euronews. Pour en savoir plus, rendez-vous sur fr.euronews.com/programmes/dans-la-tete-des-hommes, pour plus de vidéos, d’édito et d’articles sur le sujet. Suivez-nous sur Twitter @euronews et sur instagram, a euronews.tv
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Cry Like a Boy, c’est le nom du podcast que vous pouvez réécouter en anglais.
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