Cameroun
Le soleil matinal filtrait à travers la canopée de la forêt, jetant une lumière pommelée sur ce village du Cameroun. Pour la communauté indigène Baka, c'est une image intemporelle.
Mais un camion qui passe rompt le silence et soulève des volutes de poussière, rappelant que les Baka vivent désormais une vie difficile le long des routes après avoir été chassés de leurs habitations traditionnelles.
Les Baka et leurs compatriotes Bagyieli vivent en harmonie avec les forêts d'Afrique centrale depuis des générations. Mais les activités minières et forestières empiètent sur les zones de conservation, et la politique du gouvernement vise à intégrer les groupes ethniques dans la société.
La vie "était meilleure quand nous étions dans la forêt", déclare Rebecca Gwampiel, une Baka de 78 ans. Elle prépare de la bouillie d'igname devant une hutte traditionnelle construite avec des jeunes arbres voûtés. Dans la cour poussiéreuse, des enfants jouent au football avec des feuilles de bananier liées.
Parmi eux, Francis, un enfant de 11 ans qui s'est rapidement adapté à sa nouvelle vie et qui a des aspirations. "Je veux devenir infirmier", a-t-il déclaré. "Je veux pouvoir soigner ma grand-mère quand elle est malade."
Rêve inaccessibles
Mais pour beaucoup d'enfants Baka, ces rêves restent inaccessibles. L'absence d'acte de naissance constitue un obstacle de taille, qui s'inscrit dans un problème mondial plus vaste. Ils n'ont jamais vu la nécessité d'un acte de naissance lorsqu'ils n'avaient que peu d'interactions avec le monde au-delà de la forêt. Aujourd'hui encore, ils vivent loin des centres administratifs et ont rarement les moyens de payer le transport pour s'y rendre.
"Sans certificat de naissance, il est coincé avec moi ici au village", avance Bertrand Akomi, le père de Francis, âgé de 61 ans. Lui-même s'est vu refuser un emploi par une entreprise de bois parce qu'il n'avait pas d'acte de naissance.
Ce document reste introuvable pour les quelque 120 000 membres des communautés Baka et Bagyieli du Cameroun. Sans acte de naissance, ils ne peuvent pas obtenir de documents d'identité nationaux et sont exclus des avantages de la citoyenneté.
"Lorsque les naissances ne sont pas enregistrées, comment pouvez-vous vous identifier en tant que Camerounais ?", estime Banmi Emmanuel Dingha, président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale du Cameroun, rappelant que ce document est essentiel pour l'accès à l'éducation, aux soins de santé et aux possibilités d'emploi.
Apatrides
L'espoir d'un changement existe. Au début de l'été, M. Dingha et ses collègues du parlement camerounais ont adopté un projet de loi permettant au pays d'adhérer à deux conventions des Nations unies relatives à la reconnaissance des apatrides.
Cela "contribuerait à réduire de manière significative la discrimination à l'égard de personnes qui ne sont souvent que des victimes des circonstances", a déclaré le gouvernement à l'époque.
Les mesures prises par le Cameroun s'inscrivent dans le cadre de l'engagement pris par les pays africains au début de l'année d'aborder la question du droit à la nationalité et d'éradiquer l'apatridie sur ce continent qui compte plus de 1,3 milliard d'habitants.
Les populations autochtones du Cameroun sont essentiellement des chasseurs et des cueilleurs, habitués depuis longtemps à franchir facilement des frontières internationales peu surveillées à la recherche de nourriture et de gibier.
"Les Bakas ne sont pas seulement au Cameroun. On les trouve au Congo, en République centrafricaine, au Gabon et en Guinée équatoriale. Et beaucoup d'entre eux se déplacent dans des forêts qui chevauchent tous ces pays", fait ressortir M. Dingha.
Sebastian Bissolababa, enseignant dans une école publique de Mayos, souligne l'urgence de la situation. De nombreux élèves Baka ne peuvent pas accéder à l'enseignement secondaire ou au-delà, et les entreprises exigent souvent des papiers d'identité, ce qui ferme une autre voie d'intégration dans la société.
Pot-de-vin
Les indigènes Bagyieli, qui vivent à quelque 590 kilomètres de là, dans la région méridionale de Campo, sont confrontés à des problèmes similaires.
Là-bas, Henri Lema, du village de Nazareth, revenait de la chasse, un porc-épic suspendu à sa lance. Il rejoint sa femme, Bilore Marie, pour préparer le repas du soir. Tout en tranchant le porc-épic, il exprime sa frustration face à l'absence de documents d'identité et aux problèmes qu'elle entraîne avec les forces paramilitaires et d'autres autorités.
"Chaque fois que je dois me rendre à Kribi (le siège administratif du district), les gendarmes me dérangent parce que je n'ai pas de carte d'identité", a-t-il déclaré. "Je dois payer un pot-de-vin à chaque fois. Et c'est de l'argent que je n'ai même pas".
Simplice Nguiamba est un haut fonctionnaire chargé, entre autres, de veiller à ce que les Bagyelis de Campo aient accès aux documents de nationalité. "Concrètement, nos actions sont basées sur la sensibilisation, le plaidoyer, le suivi et l'appui aux Bagyéliens", a-t-il déclaré.
Plusieurs autres groupes de Camerounais sont également menacés d'apatridie.
La crise séparatiste en cours dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, et l'insurrection de Boko Haram dans la région de l'Extrême-Nord, ont déclenché des déplacements internes, entraînant la perte des actes de naissance et des cartes d'identité nationales pour de nombreuses personnes.
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