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Podcast I La guerre dans une société machiste : la masculinité à l'extrême

Podcast I La guerre dans une société machiste : la masculinité à l'extrême
Dans la tête des hommes. Episode 17.   -  
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Libéria

Il y a plus de deux décennies, plus de 250 000 civils ont été tués pendant la guerre civile au Liberia. La plupart des combattants n'avaient pas choisi de s'engager dans ce conflit ; ils y ont été contraints, soit par conscription, soit par désespoir. Aujourd'hui, la société les stigmatise pour leur rôle actif dans les massacres.

Dans cet épisode, nous explorons le rôle de la masculinité traditionnelle dans la guerre civile au Liberia. Jonathan, ancien soldat, nous explique ce que l'on attend des hommes qui partent à la guerre et comment la masculinité est poussée à l'extrême.

Vous avez aimé cet épisode ? Partagez vos réflexions sur la façon dont vous avez remis en question votre vision de ce que signifie être un homme en utilisant le hashtag #DansLaTêteDesHommes. Si vous êtes anglophone, ce podcast est également disponible en anglais : Cry Like A Boy.

N'hésitez pas à écouter et à vous abonner au podcast sur euronews.com ou Castbox, Spotify, Apple, Google, Deezer, et à nous donner un avis.

LES SOLDATS DU LIBERIA : UNE GUERRE D'HOMMES

Avertissement : Ce podcast contient des témoignages et des récits susceptibles de heurter les sensibilités. Assurez-vous de les écouter dans de bonnes conditions.

Arwa Barkallah : Nous sommes au Liberia, le plus petit pays d’Afrique de l’Ouest. Avec ses 580 km de littoral Atlantique, c’est un véritable petit coin de paradis pour les touristes, mais aussi pour les surfeurs du monde entier.

Le climat est tropical, les plages de sable fin ne manquent pas et la mer est généreuse en poisson.

Si l’on peut aujourd’hui profiter de ce paysage de carte postale en toute quiétude, cela n’a pas toujours été le cas. Le Liberia revient de loin.

Nous sommes à Freeport, le port principal du pays. Durant la longue guerre civile qui a ravagé le Liberia entre 1989 et 2003, Freeport était une base très stratégique.

Jonathan G, ancien soldat, approche la cinquantaine, mais il se rappelle parfaitement du son des échanges de tirs qui ont eu lieu ici. Jonathan souhaite garder l’anonymat. Il a encore peur des représailles après sa participation à la guerre. Lorsque nous l'avons rencontré pour la première fois, Jonathan nous a donné l'impression d'être un gars plutôt décontracté ; mais il a changé du tout au tout quand il s’est mis à évoquer la guerre. Il avait enfoui les pires actes de violence en lui.

La plupart de ses camarades n’ont pas choisi de s’engager dans la guerre. Jonathan, lui, a toujours su qu'il voulait être soldat. Il a toujours admiré son oncle, un militaire de haut rang. À 13 ans, Jonathan a assisté à l'exécution d'un participant à une tentative de coup d'État à la caserne militaire et s'est alors dit : “C’est ça, le pouvoir”. Et quand la guerre a éclaté, il a voulu en être.

Jonathan G : Nous devons nous battre pour rentrer chez nous. C'est notre maison et les personnes qui ont provoqué les guerres nous tuent. Nous devons y retourner et les tuer aussi, même pour écraser toute la famille.

Arwa Barkallah : Jonathan reconnaît volontiers qu’une fois immergé dans le chaos, il était paralysé à l'idée de mourir.

Jonathan G : Nous avions tous peur de partir. Au moment où l'on intégrait ces armées, on se faisait tuer.

Arwa Barkallah : Au Liberia, la culture de la guerre ressemble à beaucoup d’autres. Les hommes sont au premier rang et doivent faire preuve de force et de toute-puissance. Ils sont glorifiés, inébranlables et sans pitié.

Jonathan G : Je n'ai jamais eu de faiblesse, jamais. Tout ce que je savais, c'est que ce que l’on me disait de faire, je le faisais.

Arwa Barkallah : Bienvenue dans ce nouvel épisode de Dans la Tête des Hommes ; le podcast qui interroge les stéréotypes de genre à travers cinq pays africains.

Je suis Arwa Barkallah et aujourd’hui nous nous rendons à Monrovia, la capitale du Liberia. Nous reviendrons sur les deux décennies de guerres civiles qui ont fait plus de 250 000 morts. Certains Libériens sont tombés au front, d’autres sont morts de faim ou durant leur fuite.

Les témoins qui interviennent dans cet épisode sont des soldats qui ont participé aux combats. Il s’agit d’hommes de tous âges pris dans la spirale de la violence. Ils ont été tantôt bourreaux, tantôt victimes. Aujourd'hui, la société tend à les stigmatiser, les tenant pour responsables des hécatombes engendrées par la guerre.

L’histoire que nous vous proposons raconte ce que l’on attend des hommes en temps de guerre.

Jonathan G : Cela me donne l'impression d'être un homme et d'être courageux, car si ces hommes peuvent le faire, je peux le faire aussi.

Arwa Barkallah : Fondé en 1847 par des esclaves africains, le Liberia fut l’un des pays d’Afrique de l’Ouest les plus riches en ressources. Il regorgeait de pierres précieuses, de bois précieux et d’hévéas, le tout bordé par l'océan Atlantique ; mais la guerre a tout compromis.

Elle éclate en 1989, lorsqu'un groupe armé dirigé par Prince Johnson, ancien commandant de Charles Taylor, assassine le président de l'époque, Samuel Kanyon Doe. L'assassinat a été filmé et bien documenté. Ce soulèvement a été très populaire, car les Libériens en avaient assez de l’ administration despotique et dictatoriale mise en place par le président Doe.

La vacance du pouvoir a donné lieu à une intensification des combats entre groupes armés. La guérilla s'est étendue à la Sierra Leone voisine et a fini par impliquer le Burkina Faso et la Libye. Les ressources naturelles, les tensions interethniques et le large fossé entre les riches et les pauvres ont alimenté le conflit.

Charles Taylor était un membre actif du gouvernement de la présidence Doe. Il a ensuite rejoint l’opposition et est rapidement devenu un chef de guerre. Les forces de Taylor et les autres factions en compétition pour obtenir le pouvoir ont terrorisé les civils au Liberia et en Sierra Leone via des meurtres, des viols, des mutilations, des pillages, poussant finalement les réfugiés à se déplacer ailleurs dans le pays.

Mais, malgré ses crimes de guerre, Charles Taylor a été démocratiquement élu président du Liberia en 1997.

"Il a tué ma mère et mon père, mais je voterai pour lui" : tel était le slogan utilisé par les partisans de Taylor pendant sa campagne électorale. Charles Taylor était une figure très populaire parmi ses partisans. Certains sont probablement encore nostalgiques de l’ère Taylor.

Une fois élu, Charles Taylor a promis de mettre fin à la guerre. Mais pendant son temps au pouvoir, les conflits se sont intensifiés. De plus, il a aggravé les relations diplomatiques avec la Sierra Leone, la Guinée et le Sénégal.

Avocat : Maintenant, Charles Taylor, comme vous le savez, votre acte d’accusation retient 11 charges contre vous. Il allègue que vous êtes tout, du terroriste au violeur. Que dites-vous de cela ?

Charles Taylor : Je suis un père de 14 enfants, petits-enfants, avec un amour pour l'humanité. Je me suis battu toute ma vie pour faire ce que je pensais être juste dans l'intérêt de la justice et du fair-play. Je n'apprécie pas cette caractérisation de moi. C'est faux. C'est malhonnête.

Arwa Barkallah : En 2009, Charles Taylor a été condamné à 50 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité par la Cour Pénale Internationale de la Haye. Il purge actuellement sa peine.

Ceux qui ont suivi de loin le conflit et l’histoire du Liberia se souviendront sans doute d’une photo prise dans ce contexte de guerre. Elle dépeint un homme, jeune, torse nue, à l'allure athlétique et qui porte un treillis militaire. Il se trouve au milieu d’un pont de la capitale Monrovia et a l’air emporté par un élan d’euphorie. Cet éclat de rire, qu’on entendrait presque, il l’adresse à l'objectif du photographe. La main droite de l’homme s'élève dans les airs tandis que sa main gauche tient une kalachnikov.

Tout autour de lui cependant, règne une atmosphère faite de poudre à canon.

Ce jeune homme, c’est Joseph Duo, un simple soldat, tout comme Jonathan l'était, il venait alors d’atteindre une cible.

Cette photo a fait le tour du monde. Elle a été prise par le photographe de guerre américain Chris Hondros. Ce cliché capturé dans un petit pays d’Afrique de l’Ouest a fait la Une des plus grands journaux de la planète.

Cette image montrait la banalité déconcertante avec laquelle la jeunesse libérienne et les jeunes hommes en particulier, avaient intégré la guerre. Nous retrouvons Jonathan.

Jonathan G : J'ai vraiment, vraiment apprécié aussi. C’était comme un jeu, un rêve. Je ne pouvais pas croire que j'avais une arme dans la main pour tuer quelqu'un, pour ôter la vie à quelqu'un.

Rachaeal Wanyana : L'histoire regorge d'exemples de masculinité poussée à l'extrême, non seulement en Afrique, mais aussi dans le monde entier.

Arwa Barkallah : Vous venez d’entendre Racheal Wanyana, consultante ougandaise en genre au sein de l’organisation Saferworld. Cette organisation travaille à la pacification, la médiation et la prévention des conflits. Chez Racheal, en Ouganda, les hommes aussi glorifient la guerre et la figure du combattant.

Rachaeal Wanyana : Nous avons également vu dans certaines cultures que les hommes partent à la guerre pour se battre pour la gloire, en particulier chez les Karamojongs. Il y a des hommes qui partent à la guerre pour être respectés dans la société, car la société dans leurs communautés a attribué une certaine forme de valeur au fait d'être un guerrier.

Arwa Barkallah : L'entraînement militaire est comme une chorégraphie ; un procédé qui vise à créer une dynamique de groupe plutôt qu’individuelle pour une réponse coordonnée avec la troupe. Le sens de la loyauté de ces hommes est inébranlable et s’apparente à un bouclier.

Jonathan G : Comme un soldat, soldat un jour, soldat toujours. Si jamais j'entends un coup de feu, je dois me rendre là où le coup de feu a été tiré.

Arwa Barkallah : Leur préparation mentale est pleine de phrases toutes faites : “Sois fort, sois brave. Sois un homme !” Le recrutement se fait sur ces bases, avec en tête l’importance de connaître les codes pour être un homme, un vrai. Nous retrouvons Rachael Wanyana.

Rachaeal Wanyana : Je dirais qu'il s'agit plutôt d'une manœuvre stratégique, car pour gagner en puissance et être plus largement acceptée, l'armée doit s'aligner sur les normes et le système de valeurs dominant ou hégémonique de la communauté qu'elle habite.

Arwa Barkallah : De nombreuses études démontrent que réprimer ses propres peurs permet de forcer le sens de l’engagement de ces soldats ; comme pour une apnée. Cela les aide à accepter plus vite que chaque jour sur le front peut être le dernier. On en fait des machines de guerre et on bâillonne leur sens de l’empathie ou leur compassion. C’est ce qui leur permet de tolérer autant cette violence envers l’ennemi.

Racheal Wanyana : Bien souvent, dans ces périodes de conflit, les hommes s'efforcent de répondre aux attentes de la société en matière de masculinité, de subvenir aux besoins de leur famille, de protéger les femmes qu'ils jugent vulnérables et qui devraient être protégées par eux-mêmes. Ainsi, l'attrait ou la manipulation de ces qualités d’hyper-masculinité offre à ces hommes, qui se sentent émasculés, un moyen de reconquérir leur virilité.

Arwa Barkallah : Et c’est ici que la masculinité devient toxique. À ce moment précis, la virilité prend toute son ampleur, au détriment de tout, y compris des femmes.

Racheal Wanyana : Considérant que les hommes ont le droit de disposer du corps des femmes et qu'à ce titre, ils ont le sentiment de pouvoir les violer à volonté, on comprend alors pourquoi il existe des violences sexuelles massives à l'encontre des femmes pendant les conflits et que les principaux auteurs de ces violences sont des hommes. Cela explique pourquoi les femmes, le corps des femmes est considéré comme un champ de bataille par les hommes.

Arwa Barkallah : D’après Amnesty International, 70 % de la population du Liberia a vécu une forme de violence sexuelle durant les conflits qui ont meurtri le pays. L’ONU estime que le nombre de victimes est bien plus élevé que cela. Beaucoup de viols n’ont pas été signalés. Mais pour les femmes libériennes, c’en était trop, il fallait que ça cesse.

Bernice Freeman : J'ai décidé que j’en avais assez. Ils tuaient nos mères, nos pères et nos enfants tous les jours. Nous ne pouvions pas rester assises et voir notre valeur, nos enfants, nos maris nous être enlevés...

Arwa Barkallah : Vous venez d’entendre Bernice Freeman, du Women in Peacebuilding Network (WIPNET). Nous l’accompagnons au siège de l’organisation près du marché central au poisson.

Ce groupe a été créé en 2002. Pour unifier les Libériens, ces femmes de différentes religions et milieux sociaux se sont fixé un but précis : stopper les massacres et rétablir la paix. Ce groupe n’avait pour code vestimentaire que des T-shirts et des pagnes de lappa, plus connue sous le nom de wax, les cheveux tirés en arrière.

Bernice Freeman : Nous nous sommes levées. Nous sommes descendues dans la rue. Nous avons commencé à nous mobiliser. Nous voulions le faire. Et vous connaissez la joie de l'action de masse des femmes libériennes pour la paix. La plupart des femmes qui nous ont rejoints avaient une histoire. Vous êtes là pour moi, je suis là pour vous, car nos histoires sont similaires. Nous étions unies parce que nous voulions la même chose.

Arwa Barkallah : Les femmes du Liberia ont organisé des manifestations pacifiques pour faire pression des deux côtés et exiger un cessez-le-feu immédiat et sans conditions. Cette contribution historique a joué un rôle crucial dans le rétablissement de la paix.

Arwa Barkallah : Même si la guerre est terminée au Liberia, le pays garde de nombreux stigmates et toutes les plaies n’ont pas encore été refermées. La plupart des crimes de guerre sont restés impunis. À tous les coins de rue, en allant faire leurs courses, par exemple, les Libériens peuvent croiser l’agresseur ou le meurtrier de leur famille.

Bernice Freeman : Nous sommes ici avec deux femmes. L’une d’elle avait une fille, son seul enfant, et il a été tué. Cette maman était amie avec une autre femme sans savoir que le fils de cette dernière était le meurtrier de sa fille unique.

Arwa Barkallah : Dans le prochain épisode de Cry Like a Boy, nous parlerons des blessures invisibles que la guerre peut causer, celles de l'esprit. Ces blessures, plus difficiles à guérir encore, sont peu à peu en train de s'emparer de l'avenir du Liberia ?

Les Libériens ont beaucoup souffert au cours des dernières décennies, mais rares sont ceux qui reconnaissent qu'ils sont traumatisés. Ils sont encore moins nombreux à demander de l'aide, en particulier les hommes. Les Libériens ne sont pas incités à taire ces traumatismes, car raconter ces blessures peut être considéré comme de la lâcheté. Qui sont ceux qui ne veulent pas montrer leurs faiblesses ?

CRÉDITS :

Arwa Barkallah : Si vous ne connaissez pas encore Dans La Tête Des Hommes, vous pouvez écouter nos épisodes sur les Abatangamuco qui s’élèvent contre les violences domestiques au Burundi ; sur la communauté gay du Sénégal et sur les mineurs traumatisés du Lesotho et les héros déchus de Guinée.

Nous vous donnons rendez-vous dans 15 jours pour la deuxième partie de notre voyage au Liberia.

Dans cet épisode, vous avez pu apprécier la musique de l'artiste libérienne Faith Vonic. Nous avons également utilisé des archives de l'agence de presse AP sur la guerre du Liberia ainsi que des extraits de la conférence de l'ancienne présidente du Liberia, Ellen Johnson Sirleaf, provenant du site NobelPrize.org.

Reportage original et montage : Carielle Doe à Monrovia, au Liberia.

Production : Marta Rodriguez Martinez, Naira Davlashyan, Lillo Montalto Monella à Lyon, France.

Arwa Barkallah, à Dakar, Senegal.

Lory Martinez à Paris, France.

Clizia Sala à Londres, Royaume-Uni.

Conception de la production : Studio Ochenta.

Thème : Gabriel Dalmasso.

Remerciements à Mame Peya Diaw pour avoir rassemblé la musique de cet épisode depuis Nairobi.

Rédacteur en chef : Yasir Khan.

Retrouvez Dans La Tête Des Hommes, une série originale et un podcast d'Euronews.

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Ce programme est financé par le European Journalism Centre, dans le cadre du programme European Development Journalism Grants avec le soutien de la Fondation Bill & Melinda Gates.

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