Nigéria
Le Nigérian Julius Agbaje est un artiste-peintre à l’avenir prometteur. En 2019, il s’est fait connaitre en grimant, à coup de pinceaux, le président Muhammadu Buhari en Joker. Un an plus tard, sa toile est devenu le symbole de la contestation dans les rues de Lagos.
"L'arroseur arrosé", caricature de l'ancien général Buhari, représenté avec un nez rouge, le visage maquillé de blanc et le sourire terrifiant du clown de Batman, est devenue une image phare de la colère de la jeunesse nigériane qui a secoué le sud du pays en octobre dernier.
"Ce portrait du président, c'était une blague au départ, une provocation. Mais il a résonné des mois plus tard chez de nombreux jeunes", explique, très fier, Julius Agbaje depuis son minuscule atelier niché dans un quartier populaire de Lagos."Nos dirigeants se moquent de nous et ne nous prennent pas au sérieux. Ils font des choses incompréhensibles et on se demande la raison de cette action."
Entre les pots d'acrylique et les pinceaux usés, Julius Agbaje déroule ses toiles sur le sol carrelé de son atelier."Satiriste social", comme il aime se présenter, le plasticien de 28 ans ose tout."J'ai toujours aimé provoquer, et je considère l'art comme un moyen de combattre l'injustice et de changer la société", dit ce garçon chétif aux yeux malicieux.
"J'ai commencé à peindre sur les violences policières avant le mouvement #Endsars, car c'est un problème central au Nigeria, et beaucoup d'entre nous en avons été victimes", dit Julius Agbaje. Alors, quand l'armée a réprimé dans le sang ce mouvement - en tirant le 20 octobre sur un de ses rassemblements à Lagos et tuant au moins 10 personnes, selon l'ONG Amnesty International - l'artiste a naturellement repris ses pinceaux.
Pour lui, l'art est un moyen de combattre l'injustice pour changer la société. "Etre arrêté signifie qu'ils commencent à remarquer mon travail. Cela signifie donc que leurs egos sont meurtris. Ils commencent à remarquer que les gens sont mécontents, que les gens ne sont pas satisfaits de ce qu'ils font. Alors oui, être arrêté ne me motivera qu'à en faire plus, car je sais alors qu'ils sont conscients que quelqu'un crée de l'art à leur sujet."
C'est à Yabatech, la plus ancienne école d'art de Lagos, que Julius a appris son savoir-faire. Les artistes en herbe y apprennent notamment l'art abstrait pour critiquer le système politique en place, mais pas frontalement."La plupart des apprenants, quand on leur demande de s'exprimer, font toujours le lien avec des questions qui dérangent autour de la justice sociale. Je pense que c'est à cause de l'état de la nation. Tout le monde a quelque chose à dire. Les nouvelles sont toujours mauvaises. Il y a toujours quelque chose à discuter de toute façon", avance Ordun Orimolade, prof d'art.
Plus de 20 ans après sa transition démocratique, le Nigeria peine difficilement à tourner la page de son passé de dictatures militaires.
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