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Côte d'Ivoire - municipales : quand Abobo divise le parti au pouvoir

Côte d'Ivoire - municipales : quand Abobo divise le parti au pouvoir

Côte d'Ivoire

La commune d’Abobo, l’une des dix communes du District d’Abidjan, fait l’objet d’une convoitise palpable au sein même du régime d’Alassane Dramane Ouattara. A l’approche des municipales du 13 octobre prochain, les prétendants à la tête de l’une des communes les plus malfamées du pays affûtent leurs armes.

“Abobo-la-guerre”, tel est le surnom d’Abobo, une commune où règnent la misère, le désordre et l’insécurité. La crise postélectorale de 2010-2011 ayant aggravé la situation dans cette partie d’Abidjan. Mais à l’approche des municipales de cette année, ils sont nombreux à vouloir prendre les rennes de Bagdad (autre surnom d’Abobo pendant la crise postélectorale, en référence à l’instabilité de la ville irakienne lors de l’invasion américaine de 2003 en Irak).

Six candidats sont dans les starting-blocks. Mais ce qui retient le plus les attentions est la tension qui prévaut au sein même du RDR (Rassemblement des républicains, au pouvoir). Deux figures de ce parti se tiennent face à face dans la course à la mairie d’Abobo. D’un côté, Ahmed Bakayoko (voir photo), alias Hambak. Il est l’actuel ministre de la Défense et homme de confiance du président Ouattara. Face à lui, se tient Koné Tehfour.

Tehfour, instituteur et ex-député, a le soutien du non moins célèbre Guillaume Soro, ancien chef de la défunte rébellion des Forces nouvelles (qui a porté Ouattara au pouvoir avec l’aide de la France, entre autres). Guillaume Soro est aujourd’hui le président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire. Selon une très forte rumeur qui circule dans le pays, Ahmed Bakayoko et Guillaume Soro sont à couteaux tirés. Ils caresseraient aussi le rêve de devenir président de la République.

La commune la plus peuplée du pays (Abobo) est aussi connue pour être un bastion de l’ex-rébellion et du RDR. Une très forte communauté étrangère y vit, majoritairement acquise à la cause du parti au pouvoir et souvent constituée de Maliens, de Burkinabè et de Guinéens. Parallèlement à Abobo, la commune de Yopougon est attachée au FPI (Front populaire ivoirien, le parti de l’ancien président Laurent Ggbago). Le décor est donc planté.

Abobo, la commune aux mille maux

L’actuel maire d’Abobo, Adama Toungara (élu en 2001 et réélu en 2013), vivement critiqué pour sa gestion de la commune, est poussé vers la porte par son propre camp. Pour le remplacer, le parti d’Alassane Ouattara voit en Ahmed Bakayoko l’homme providentiel, le seul capable de donner à Abobo un visage reluisant.

Bien qu‘étant le bastion du RDR, Abobo n’a pas bénéficié d’une véritable politique de développement. La croissance économique tant vantée par le camp Ouattara n’a jamais été ressentie dans cette commune de 2 millions d’habitants (dont de nombreux ruraux venus chercher fortune), où règne une pauvreté palpable.

De l’autre côté des routes goudronnées, l’on se heurte à des bidonvilles qui s‘étendent à perte de vue. Dans ces quartiers précaires, s’entassent des milliers de personnes. L’eau courante et l‘électricité y sont un luxe et la voirie encore à l‘état de simple piste. Lorsqu’il pleut, la boue y prend ses quartiers.

Les écoles des quartiers pauvres d’Abobo sont pour la plupart d’entre elles surpeuplées et l’insécurité est finalement devenue une routine. La commune est connue pour être le ‘‘temple’‘ des tristement célèbres ‘‘microbes’‘, ces délinquants mineurs souvent équipés d’armes blanches. Très violents et livrés à eux-mêmes, ils s’adonnent à des agressions en bandes armées et ont souvent pour victimes les populations civiles.

En plus des ‘‘microbes’‘, Abobo regorge de braqueurs, de bandes de loubards et de ‘‘brouteurs’‘, ces fameux arnaqueurs qui grugent les Occidentaux sur Internet. A Abobo, l’on plaisante souvent en disant que “la nuit, même les bandits ont peur de rentrer chez eux”.

Face à tous ces défis, le candidat Ahmed Bakayoko répond comme suit : ‘‘on a investi beaucoup. Le ressenti n’est jamais suffisant quand les défis sont aussi importants.” L’homme est flanqué d’une grosse machine électorale dotée de gros moyens, signe de la bénédiction sans faille de son mentor, Alassane Ouattara. Durant les meetings d’Hambak, des vedettes de la musique urbaine ivoirienne se produisent. Parmi ces artistes, DJ Arafat (le filleul d’Ahmed Bakayoko) et le groupe Kiff no beat. Le but étant de toucher le maximum de jeunes afin de gagner leurs voix.

Les gigantesques affiches publicitaires à l’effigie d’Ahmed Bakayoko sont visibles ça et là à Abobo. Pour s’assurer les voix des votants, le candidat Bakayoko procède aussi à ce qu’on appelle en Côte d’Ivoire ‘‘le travaillement’‘. Il s’agit de distribuer de l’argent à tout-va pour faire bonne impression auprès du public. Les bénéficiaires de ces ‘‘dons’‘ ? Les associations, églises, mosquées et individus.

A la question de savoir pourquoi une telle stratégie, le ministre de la Défense répond : “j’ai de la chance d’avoir de l’argent. Plutôt que de le garder pour moi, je préfère partager. C’est un sacerdoce.”

Face à ses militants venus nombreux l‘écouter sur la célèbre place de la mairie d’Abobo, Ahmed Bakayoko déclare : “quand on est maire d’une ville, pour demander quelque chose au gouvernement, c’est difficile… Moi, je rentre dans le bureau du président, je suis au Conseil des ministres et je leur dis : ‘c’est maintenant pour Abobo!’ On va transformer tout ça! “

Deux candidats, même cri de ralliement

Qualifié par ses détracteurs de “parachuté” (favorisé par le président), l’homme assume face à ses militants : ‘‘oui, commando parachutiste, forces spéciales d’ADO (initiales d’Alassane Dramane Ouattara), boys en mission à Abobo”. Il ajoute au passage “sortir lui aussi du ghetto”, de la commune voisine d’Adjamé. Conquis, ses partisans répondent en chœur : “Hambak, Abobo, c’est pour toi !’‘

En face, le candidat Tehfour ne démord pas. Trois jours après le meeting d’Hambak, son slogan est repris par les partisans de l’instituteur : “Tehfour, Abobo, c’est pour toi !” Face à des centaines supporters rassemblés au quartier Kennedy-Clouetcha et épaulé par Simon Soro (le frère de Guillaume Soro), le candidat tient son discours.

Koné Tehfour, dont la campagne présente un visage bien modeste comparativement à celle d’Ahmed Bakayoko, revient sur ce qu’il a réalisé : ‘‘j’ai fait opérer 1.020 personnes de hernies, 50 de la cataracte ; fait réhabiliter la bibliothèque du groupe scolaire, doté la maternité d’un groupe électrogène…”

Et le candidat de faire un bref retour dans le temps, comme pour marquer son attachement à la commune : “Abobo m’a vu naître, m’a vu aller à l‘école primaire, au collège, revenir. Depuis 20 ans, j’enseigne ici.”

Pour l’occasion, il fait un corc en jambe à la gestion de l’actuel maire, Adama Toungara, tout en assumant sa fidélité à Alasane Ouattara : “je suis pro-Ouattara, clame-t-il. La majorité des habitants ont contribué au prix de leur sang à l’installation d’ADO. Mais il aurait fallu avoir un élu local. Le développement ne peut être amorcé qu’avec un fils de la localité. Ici, on ne vit pas, on subsiste ! Il faut une gouvernance locale, la proximité des populations.”

L’instituteur candidat a pour programme de campagne la décentralisation d’unités techniques et d‘état-civil dans les quartiers de la commune.

Parmi les supporters de Tehfour, Maïmouna Samaké. Elle est aide soignante au chômage, mère de trois enfants et enceinte. La jeune femme exprime son ras-le-bol : “nous sommes fatigués ! Un enfant de pauvre ne peut pas devenir quelqu’un. On veut un changement. Il (Tehfour) peut nous donner ce changement parce que c’est un fils d’Abobo.”

Le rendez-vous est donc pris pour le 13 octobre. Le visage d’Abobo changera-t-il enfin à l’issue de ce scrutin sur fond de querelles familiales ? Seul l’avenir nous le fera savoir.

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