Malnutrition
Les cris déchirants d’enfants en détresse résonnent dans l’unité dédiée aux cas de malnutrition aiguë sévère. Parmi eux, Maka'il Mohamed, âgé d’un an à peine. Les médecins s’activent, comprimant sa poitrine dans une tentative désespérée de relancer sa respiration.
Son père l’a conduit trop tard à l’hôpital de Mogadiscio, capitale de la Somalie. Victime de complications liées à la malnutrition, l’enfant n’a pas survécu.
« Êtes-vous sûrs ? Est-il vraiment mort ? », interroge Mohamed Ma'ow, bouleversé, s’adressant au médecin. « Puis-je ramener le corps de mon fils à la maison pour l’enterrer ? »
Ce décès, survenu début mai à l’hôpital de Banadir, illustre le drame vécu par un nombre croissant de familles somaliennes, incapables de subvenir aux besoins nutritionnels de leurs enfants et par les soignants, démunis face à l’effondrement de l’aide humanitaire, autrefois massive.
Jusqu’à récemment, l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) assurait 65 % de l’aide étrangère destinée à la Somalie, selon le Dr Abdiqani Sheikh Omar, ancien directeur général du ministère somalien de la Santé et aujourd’hui conseiller du gouvernement.
Mais cette aide est en train d’être démantelée. Conséquence directe : des dizaines de centres nutritionnels ferment leurs portes à travers le pays.
Dans un pays considéré comme l’un des plus fragiles au monde sur le plan sanitaire, après des décennies d’instabilité, ces centres constituaient une bouée de sauvetage. Leur fermeture aggrave une situation déjà critique.
Save the Children, principal prestataire non gouvernemental de services de santé infantile en Somalie, a averti que la vie de 55 000 enfants pourrait être menacée d’ici juin, faute de financements suffisants pour maintenir ouverts 121 centres de nutrition.
Selon l’organisation, les coupes budgétaires risquent d’entraîner une augmentation de 11 % du nombre d’enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère par rapport à l’année précédente.
Si la Somalie est depuis longtemps confrontée à une insécurité alimentaire cyclique, due en grande partie aux sécheresses à répétition, les réductions drastiques de l’aide américaine depuis le début de l’année laissent redouter une catastrophe humanitaire imminente.
L’ancien ministre somalien des Affaires étrangères, Ahmed Moalin, a déclaré récemment à la télévision publique que l’USAID avait alloué un milliard de dollars à la Somalie pour l’année fiscale 2023, un montant similaire étant prévu pour 2024.
Aujourd’hui, une grande partie de ce financement s’est évaporée.
Dans une déclaration à l’Associated Press, un porte-parole du Département d’État américain a assuré que « plusieurs programmes humanitaires de l’USAID demeurent actifs en Somalie, notamment ceux portant sur l’alimentation et la nutrition des enfants ». Il a également précisé que des efforts étaient en cours pour assurer la continuité de ces programmes après leur transfert au Département d’État prévu pour le 1er juillet.
Mais pour les humanitaires sur le terrain, le flou demeure : quels programmes seront considérés comme « essentiels » ? Les financements restants seront-ils maintenus ? Rien n’est certain à ce stade.
L’ONG CARE estime que 4,6 millions de personnes pourraient être confrontées à une insécurité alimentaire aiguë d’ici juin, une hausse considérable par rapport aux prévisions antérieures à la réduction de l’aide.
Les effets sont visibles partout, aussi bien dans les zones rurales que dans la capitale, où plus de 800 000 personnes déplacées ont trouvé refuge.
Les camps qui les accueillent s’étendent à la périphérie de Mogadiscio. Pourtant, même dans ces lieux de misère, les centres de distribution alimentaire ferment les uns après les autres.
Certains continuent malgré tout à s’y rendre, dans l’espoir qu’une aide, même symbolique, y soit encore disponible.
La situation frappe toutes les couches de la population. Mohamed Ma'ow, le père endeuillé, est tailleur. Il confie qu’il n’a pas été en mesure d’offrir trois repas par jour à sa famille de six personnes. Sa femme, affaiblie, ne produisait plus de lait maternel pour Maka'il, dont l’état s’est progressivement détérioré au fil des hospitalisations.
« Je traverse une période financière très difficile », témoigne-t-il. « Mon activité de tailleur a été gravement affectée par la crise économique. Je n’ai plus les moyens de nourrir ma famille. »
Les médecins de l’hôpital de Banadir confirment que la malnutrition a été la cause première du déclin de l’enfant.
Le centre nutritionnel de Mogadiscio où la famille Ma'ow recevait auparavant de l’aide était géré par Alight Africa, partenaire local de l’UNICEF. Ce centre fait partie de ceux qui ont perdu la majeure partie de leur financement.
Selon Simon Karanja, coordinateur régional du groupe nutrition de l’UNICEF, les coupes budgétaires ont privé de nombreux partenaires de la capacité de fournir une assistance vitale : fournitures thérapeutiques, compléments alimentaires et médicaments. Pendant ce temps, 15 % des enfants somaliens souffrent de malnutrition aiguë.
Privées de cette aide autrefois jugée acquise, des milliers de familles voient leurs enfants dépérir lentement.
Selon le Dr Mohamed Jama, responsable du service nutrition à Banadir, plus de 500 enfants malnutris ont été admis entre avril et mai.
« Le manque de financement a eu un impact dévastateur, non seulement sur les enfants, mais aussi sur le personnel de santé, dont les salaires ont été diminués. Cela aggrave encore la crise », alerte-t-il.
Fadumo Ali Adawe, mère de cinq enfants, raconte quant à elle ne plus savoir vers qui se tourner. Sa fille de trois ans souffre de malnutrition depuis neuf mois.
« Le centre que nous fréquentions est désormais fermé. Nous sommes totalement démunis. »
À l’intérieur de ce centre, géré par Alight Africa, les étagères sont vides, mais les murs arborent toujours les affiches de l’UNICEF et de l’USAID, vestiges d’une époque pas si lointaine où l’espoir semblait encore possible.
Said Abdullahi Hassan, coordinateur local du projet nutritionnel d’Alight, constate amèrement :
« La suspension des financements de l’USAID, pourtant partenaire clé de l’UNICEF, nous a forcés à fermer nos centres. Cela a conduit à une explosion des cas de malnutrition et, tragiquement, à la mort de plusieurs enfants. »
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