Afrique du Sud
Samedi lorsque les All Blacks néo-zélandais vont défier les Irlandais en quart de finale de la Coupe du monde de rugby, Dylan Moodaley, Sud-Africain de 32 ans, va enfiler le fameux maillot noir à la fougère argentée et soutenir un des rivaux historiques de l'Afrique du Sud.
Comme lui, une minorité non négligeable de Sud-Africains soutiennent les Blacks pour des raisons mêlant tradition familiale, politique et amour du jeu des Néo-zélandais.
"Il y a bien quelques électrons libres qui supportent la France et l'Australie, mais je n'en connais aucun qui soit derrière les Springboks" sud-africains, raconte Moodaley à propos de sa famille élargie, installée au Cap.
Cette passion d'un minorité sud-africaine pour les All Blacks remonte à la période de l'apartheid, lorsque l'équipe nationale de rugby était perçue comme un symbole du régime ségrégationniste blanc.
Pendant 90 ans, l'équipe des Springboks était uniquement constituée de joueurs blancs, les rugbymen noirs ou "coloured", notion héritée de l'apartheid pour désigner les personnes métisses, étant cantonnés à des championnats secondaires sans accès à la scène internationale.
"Le soutien pour les All Blacks au sein des noirs et métis tire largement ses origines dans l'interprétation qu'une défaite des Springboks était une défaite des Sud-Africains blancs et de l'apartheid", explique Sebastian Potgieter, historien sud-africain spécialiste du sport à l'université d'Otago en Nouvelle-Zélande.
Heston Botha, 64 ans, président d'un fan club des All Blacks dans la ville d'East London, sur l'océan Indien, se souvient avec émotion du jour où son père l'a emmené au stade voir pour la première fois un match des All Blacks en 1970.
La ségrégation régit alors tous les aspects de la vie quotidienne et ils sont parqués à l'écart des supporters blancs, derrière les poteaux. "On était tellement nombreux qu'on ne pouvait même pas s'asseoir", se remémore Botha. Dans cet enclos, poursuit-il, "99% des gens soutenaient les All Blacks".
Pour la première fois, les Blacks avaient pu faire venir des joueurs maori ou issus des îles du Pacifique, le régime sud-africain leur ayant accordé le statut dérogatoire de "blancs honoraires". "Pour les populations opprimées noires et 'coloured', ces joueurs représentaient tout ce que l'apartheid leur refusait", analyse l'historien Potgieter.
Voir évoluer en chair et en os des stars du rugby néo-zélandais comme Bryan Williams et Sid Going, dont il connaissait les prouesses grâce à la radio, a été un "tournant décisif" pour Botha, qui a alors définitivement adopté le maillot noir.
Cinq décennies plus tard, sa passion l'amène à réserver une chambre dans le même hôtel que l'équipe néo-zélandaise lors de ses déplacements en Afrique du Sud, pour tenter d'apercevoir ses idoles au petit déjeuner. "Ce sont les gentlemen de ce sport", résume-t-il.
Entre-temps, l'apartheid a pris fin au début des années 1990 et les Springboks jouissent d'une popularité croissante. Après des années d'efforts poussifs pour promouvoir la diversité au sein de l'équipe nationale, Siya Kolisi est devenu en 2018 le premier joueur noir désigné capitaine en test-match.
Un an plus tard, il conduit les siens à la gloire en remportant la Coupe du monde de rugby, suscitant l'engouement croissant de nombreux jeunes compatriotes noirs pour le ballon ovale.
Le caractère plus inclusif de l'équipe, et de la discipline en générale, est devenu un argument de communication : le slogan des Springboks pour cette Coupe du monde 2023 "Plus forts ensemble" faisant écho au "Une équipe, un pays" de la sélection qui remporta le trophée à domicile en 1995, avec le soutien de Nelson Mandela.
Reste que pour certains, les changements ne vont pas encore assez loin. Le nom et l'emblème de l'équipe (la gazelle) "sont problématiques", explique Philani Nongogo, un supporter des Blacks de Pretoria, estimant qu'il aurait dû être modifié pour refléter l'évolution de l'équipe.
Pour d'autres, comme Botha, l'excellence et le succès de la sélection multiraciale cachent mal les divisions et disparités socio-économiques persistantes dans un pays décrit par la Banque mondiale comme le plus inégalitaire au monde. "C'est une image de façade pour l'Afrique du Sud", tranche Botha.
Dylan Moodaley, qui a grandi dans une Afrique du Sud démocratique, n'ignore pas l'aspect politique de la discussion mais pour lui, la passion pour des Blacks se résume à une affaire de famille.
Son premier souvenir du ballon ovale remonte à la Coupe du monde 1995, lorsque la légende Jonah Lomu "a enflammé la planète". Le plaisir de suivre les exploits d'une des équipes les plus dominantes de l'histoire du rugby a fait le reste.
"Il y a tellement de choses à aimer chez eux, leur histoire, leur culture, leur style", s'enthousiasme le consultant environnemental. "Je ne me sens pas attiré de la même manière par les Springboks. Ils ne me donnent pas le frisson, tout simplement."
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