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Au Gabon "béni de Dieu", 55 ans de Bongo et un immense gâchis

Au Gabon "béni de Dieu", 55 ans de Bongo et un immense gâchis
Ali Bongo Ondimba participe à une table ronde lors d'un sommet UE-Afrique à Abidjan, en Côte d'Ivoire, le 29 novembre 2017   -  
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Diomande Ble Blonde/Copyright 2017 The AP. All rights reserved.

Gabon

La chute d'Ali Bongo, en quelques minutes et sans coup férir il y a deux semaines, semble avoir scellé la fin du règne de 55 ans d'une famille accusée d'avoir profité du trésor d'un des pays les plus riches d'Afrique au mépris de son développement.

Et la grande majorité des Gabonais applaudissent non pas un coup d'État militaire mais une "libération".

L'ex-opposition, une partie de l'ancienne majorité, les experts, et les militaires putschistes, sont unanimes sur le bilan : un immense gâchis dans un "pays béni de Dieu", selon l'adage répandu, pour l'abondance de ses ressources naturelles. Mais où un habitant sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté au côté d'une minorité affichant une outrageuse opulence.

Ce contraste est saisissant entre Sablière, quartier très huppé de Libreville et ses luxueuses villas appartenant, pour une grande partie, à la très extensive famille Bongo, et les "PK" éloignés, banlieues populaires où l'eau courante n'arrive pas, l'électricité avec parcimonie et parcourues d'insalubres canaux en guise de tout-à-l’égout.

Ali Bongo Ondimba avait été élu en 2009 à la mort de son père, Omar Bongo Ondimba, qui dirigeait sans partage le pays depuis plus de 41 ans.

"La grande faiblesse de ce régime a été sa mauvaise répartition des richesses, leur capture par 20% de personnes issues de la classe gouvernante", analyse Axel Augé, sociologue spécialiste de l'Afrique centrale, qui parle d'immense "gabegie". "L'erreur d'Ali Bongo a été de minimiser les frustrations économiques et sociales de la population", assène-t-il.

"Le pays est resté géré comme la propriété privée d'une famille", une sorte "d'autocratie familiale", abonde Thierry Vircoulon, de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI).

Se rendre d'une ville à une autre est mission quasi-impossible sur des routes défoncées, voire coupées. Une seule compagnie privée opère quelques vols, à des prix rédhibitoires pour le Gabonais moyen. Et l'unique voie ferrée du pays est souvent inutilisable pour les passagers, monopolisée et régulièrement endommagée par d'interminables trains chargés du manganèse exploité quasi-exclusivement par une filiale locale du groupe français Eramet.

Le Gabon en est l'un des deux ou trois premiers producteurs mondiaux.

Les hôpitaux publics sont dépourvus de tout et le système scolaire est en ruine, au point que les militaires en font deux de leurs plus grandes priorités.

Habitué à vivre de la manne du pétrole, dont il est le quatrième producteur en Afrique subsaharienne, du manganèse et du bois, le Gabon ne transforme presque rien et importe quasiment tout, y compris fruits et légumes dans un pays où il pleut abondamment sur une terre fertile.

Il est le troisième pays le plus riche du continent par habitant ( 8 820 dollars par an), mais 32,9% de sa population vit sous le seuil de pauvreté (2,15 USD par jour), souligne la Banque mondiale en avril 2023.

Après son indépendance de la France en 1960, le boom pétrolier avait pourtant rapidement propulsé le Gabon dans la catégorie des pays à revenu intermédiaires de la tranche supérieure, écrit l'institution. Six décennies plus tard, sa sentence est sans appel : "le pays peine à traduire d'importantes richesses naturelles en une croissance durable et inclusive".

Le chômage "est l'un des plus élevés d'Afrique, avec 1/5ème de la population active et un tiers des moins de 25 ans", écrivait l'ONU en 2020, incriminant notamment mauvaise gouvernance et corruption.

Sous Omar Bongo, le Gabon a été le symbole de la "Françafrique", un puissant système de corruption, de cooptation politique et de chasses gardées commerciales entre Paris et ses anciennes colonies du continent. Les gouvernants encaissaient notamment de fabuleuses rétributions contre l'exploitation des ressources par des compagnies françaises.

L'"affaire Elf", retentissant scandale financier mis au jour en France en 1994, en est l'archétype. Elle remonte à la création de la compagnie pétrolière publique française Elf en 1967, l'année où Omar Bongo accède au pouvoir, avec le soutien de la France pour sécuriser son accès au pétrole et à l'uranium gabonais.

Dans l'affaire des "Biens mal acquis", qui éclate dans les années 2010, la justice française recense 85 millions d'euros de biens immobiliers de la famille Bongo en France, acquis grâce à la corruption au Gabon. À ce jour, dix des enfants d'Omar sont mis en examen pour "recel de détournements de fonds publics", indique à l'AFP une source judiciaire parisienne. Ali était épargné par son immunité de chef d'État.

Le jugement dans l'affaire Elf et l'enquête ont démontré que la fortune familiale "provient en grande partie des commissions indues que versait Elf" au patriarche et à son clan des décennies durant, selon des documents consultés par l'AFP.

Les très nombreux enfants d'Omar jouissent également de propriétés en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, léguées ou acquises après sa mort.

Certes, les Gabonais vivaient mieux sous Omar Bongo, d'où la nostalgie qui affleure aujourd'hui dans une frange de la population, grâce à une manne pétrolière phénoménale qu'il faisait en partie ruisseler dans toutes les couches, mais qui s'est bien tarie depuis.

Ce n'était en effet plus le cas sous Ali, confronté notamment à partir de 2014 à une chute des revenus pétroliers, entouré de "prédateurs", proches ou conseillers occultes, et enfermé dans une "tour d'Ivoire", selon les experts et les militaires putschistes.

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