République démocratique du Congo
La musique, c’est tout sauf ce que son père lui prédestinait comme carrière. Et pourtant, c’est dans ce domaine que Jules Shungu Wembadio Pene Kikumba, alias Papa Wemba, s’est révélé au monde et y a laissé ses empreintes. En Afrique, il demeure une star incontestée de la musique et une source d’inspiration pour toute une génération.
C’est le 14 juin 1949 que Jules Shungu Wembadio Pene Kikumba voit le jour, à Lubefu, dans le Sankuru, région située dans le sud de la République démocratique du Congo (ex Zaïre, NDLR). Fils aîné de sa mère, il surnommé Papa.
Son père, alors ancien soldat reconverti en chasseur, lui imagine une belle carrière d’avocat ou de médecin. Mais le jeune Jules, lui, entretient secrètement l’ambition de devenir une star de la chanson. Sa présence quasi-constante auprès de sa mère qui était pleureuse professionnelle dans les cérémonies mortuaires ou funéraires, renforce cette passion pour la musique.
A la disparition de son père en 1966, Papa Wemba prend son destin en main et se consacre davantage à ses premières amours. Il intègre une chorale religieuse à Kinshasa où il se forge une voix de ténor. Démarre alors le début d’une fantastique aventure.
Une star est née
Les années 60 sonnent les débuts d’un règne flamboyant pour le natif de Lubefu. Comme bon nombre de jeunes de la capitale, Papa Wemba s’illustre dans plusieurs groupes musicaux. Mais c’est en 1969 qu’il retient réellement l’attention avec le groupe Zaïko Langa Langa qu’il met sur pied avec l’aide de plusieurs autres jeunes de sa génération.
Armés d’un nouveau genre de rumba dont l’accent est désormais mis sur des rythmes rapides, d’où l’utilisation de la batterie qui remplace les instruments à vent, le groupe se fait rapidement une place dans le cœur des Zaïrois. Mieux, il devient un phénomène sur les deux côtes du fleuve Congo ainsi qu’en Afrique. Avec des tubes comme “Mété la vérité”, “Chouchouna”, “Mbeya mbeya”, le Zaïko Langa Langa fait danser toute l’Afrique.
Mais, Papa Wemba est incontestablement la star de cet ensemble. En 1974, il quitte le groupe et met sur pied le Isiki Lokole avec qui il fera long feu. Un an plus tard, c’est le “Yaka Lokolé” qui sera initié. Ce groupe, non plus, n’aura pas un avenir radieux. C’est finalement en février 1977, qu’il créera son propre orchestre dénommé Viva La Musica, qui l’accompagnera tout le reste de sa carrière.
L’idole des générations
A cette époque, Papa Wemba est une idole “vénérée” en RDC. La création de son orchestre “Viva La Musica” composé d’une quinzaine de musiciens coïncide avec la mise en place du “Village Molokaï”, un espace installé dans sa cour familiale de Matonge, à Kinshasa et dont il s’autoproclame chef. Dans ce village, le militantisme politique n’est pas autorisé. Toutefois, il faut respecter des codes comme dans toute organisation. Il faut parler d’une certaine façon, marcher ou s’habiller d’une certaine façon.
Parallèlement, Wemba et son staff entendent donner une nouvelle coloration technique à sa musique. D’où ses voyages réguliers en Europe où les moyens techniques sont plus performants, dans le début des années 80, pour des séances d’enregistrement. Toutefois, cette longue période d’absence hors de la RDC font circuler des rumeurs d’assassinat. A son retour, il est accueilli en triomphe. Grand amateur de vêtements de marque, Papa Wemba a en outre profité de ses nombreux voyages en Europe pour s’offrir les plus grands créateurs.
Dès lors, il devient une figure de proue de la SAPE (Société des Ambianceurs et des Personne Élégantes). Un mouvement qui fait dans l’extravagance vestimentaire et quelque peu révolutionnaire pour la jeunesse dans un pays miné par la pauvreté. En 1987, Papa Wemba décide d’explorer d’autres facettes de son talent d’artiste. Il devient musicien et joue dans la production franco-zaïroise, “La vie est belle” dont il composera par ailleurs la bande originale. Cette œuvre recevra le prix Georges Delerue au Festival International du Film de Gand.
Reconnaissance internationale
Hors de son Zaïre natal pendant de longs mois, Papa Wemba adopte de nouvelles tonalités, notamment occidentales, pour sa rumba. Avec ses albums “Siku Ya Mungu” et “L’Esclave”, l’artiste se lance dans une tournée mondiale qui le conduira au Japon, aux Etats-Unis et en Europe où il participera à de nombreux festivals avec son groupe “Viva La Musica”. Sa collaboration avec le musicien anglais Peter Gabriel, le fondateur du label Real World, ne fera que le conforter dans cette position. Dans les studios de ce dernier, il enregistrera les albums “Le Voyageur” et plus tard “Emotion”.
Ce dernier sur lequel il collaborera avec son compatriote Lokua Kanza reçoit un bel accueil du public européen notamment grâce la reprise du titre “Fa Fa Fa Fa (sad song)” d’Otis Redding dont Papa Wemba a toujours été fan. Cet album sera disque d’or aux États-Unis avec plus de 500 000 exemplaires vendus et le consacrera comme une figure imposante de la World Music.
Les années Peter Gabriel permettent également au chef du “Village Molokaï” d’arpenter les plus grandes salles de spectacle européennes comme l’illustre son spectacle à la mythique salle parisienne Bercy (16.000 places) en novembre 1993. Il remportera le prix du meilleur artiste africain lors des Koras 1996. En 1998, sort “Molokaï”, le dernier album que le chanteur signera sur le label Real World. Le réalisateur italien Bernardo Bertolucci utilisera en 1999, ses deux titres “Maria Valencia” et “Le Voyageur” dans le film Paradiso e inferno.
La traversée du désert
Alors qu’il est attendu pour un concert au Zénith de Paris le 8 février 2003, avec son ancien collaborateur et compatriote, Koffi Olomidé, Papa Wemba ne montera pas sur scène. Le concert fut annulé. Une semaine plus tard, le 17 février, les fans de l’artiste apprennent l’interpellation de leur idole à son domicile, dans la banlieue parisienne. Il est reproché au chanteur son implication dans un vaste réseau d’immigration clandestine entre la RDC, la France et la Belgique.
Comme argument, la police de l’air et des frontières évoque son grand concert de Bercy de 2001 pour lequel plus de 200 personnes se seraient présentées à l’aéroport de Roissy, en prétextant être des musiciens de Wemba et profitant ainsi des facilités d’accès au visa. L’artiste paiera ainsi trois et demi de sa liberté. Il sortira de cette expérience, “transformé”, s’investissant davantage dans la spiritualité. Dans son titre “Numéro d‘écrou”, il dira d’ailleurs avoir rencontré Dieu qui “est venu lui rendre visite dans sa cellule”.
Retour sous le feu des projecteurs
Passés les moments pénibles, Kolo histoire (le créateur de l’histoire) comme ses fans aimaient le désigner retrouvent une partie de ses fans lors d’un concert au Zénith de Paris. Un spectacle qui marquera son retour sur la scène. En 2004, de retour au Zaïre où il n’avait pas été pendant un an et demi, il organise des concerts afin de remercier ses fans qui l’ont soutenu pendant les difficultés.
La fin des années 2000, Papa Wemba les met à profit de collaborations avec la jeune génération dont le chanteur Singuila sur la compilation “Dis l’heure 2 afro zouk”, ou encore en 2010 sur son album “Notre père” où il fait intervenir la rappeuse ivoirienne Nash, Nathalie du groupe Makoma et la Française Ophélie Winter. En 2012, après la célébration des 35 ans de son orchestre “Viva la Musica”, il assure la note musicale des 50 ans de l’Union africaine, à Addis-Abeba. L’album “Maître d‘école” sorti en 2014 et qui a enregistré la participation de ses compatriotes Barbara Kanam ou encore JB Mpiana, est un retour, selon l’artiste, à l’origine de la rumba.
Clap de fin
En avril 2016, il est désigné par le groupe Magic System, initiateur du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua) à Abidjan pour parrainer la 9e édition de cet événement d’envergure sur le continent africain. A l’aube du 24 avril, alors qu’il était sur scène, en prestation, il est pris d’un malaise et s‘écroule. Certaines sources affirment qu’il a rendu l‘âme sur scène quand d’autres évoquent sa mort sur le chemin de l’hôpital.
Un hommage lui a été rendu d’abord à Abidjan par le gouvernement et les artistes ivoiriens, avant un hommage national à Kinshasa, où il a été inhumé le 4 mai.
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