Inspire middle east
Les ballets Caracalla ont été créés en 1968. Depuis, cette compagnie libanaise de danseurs professionnels fait le tour du monde avec ses spectacles, ses concerts et ses pièces de théâtre mêlant chorégraphies contemporaines et art arabe traditionnel.
Abdel Halim Caracalla a grandi dans la ville de Baalbek dans la vallée de la Bekaa. Chaque été, il venait assister au célèbre Festival donné dans cette Cité antique et admirer les performances d’artistes venus du monde entier.
A l’origine, Abdel Halim Caracalla était un sportif, champion de saut à la perche. Sa passion pour la performance, il l’a poursuivie à Londres, mais en tant que danseur et chorégraphe auprès d’un professeur légendaire : Martha Graham. En 1968, il crée sa propre compagnie de danse.
«En route vers ma destinée, je me suis posé cette question : pourquoi n’y a-t-il pas de théâtre de la danse au Liban et dans le monde arabe?», explique le chorégraphe.
Le voyage n’allait pas être facile. À l‘époque, au Moyen-Orient, la danse ne se révélait généralement que dans les mariages, lorsque les invités se retrouvaient sur la piste pour des danses folkloriques de la région.
«Je suis né dans une société où il n’y avait pas de lien avec le monde de la danse, ou qui n’en favorisait aucun. A l‘époque, poursuivre une carrière dans ce domaine était considéré comme inacceptable, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Mais j‘étais déterminée», raconte Abdel Halim Caracalla.
Abdel Halim Caracalla est allé au bout de ses rêves en créant une compagnie de danse qui a marqué l’histoire de la région. Un demi-siècle plus tard, le théâtre de danse Caracalla a fait le tour du monde à maintes reprises et s’est produit sur les plus grandes scènes. De New-York à Moscou, en passant par Londres notamment.
La fille d’Abdel Halim, Alissar, a étudié la danse à Londres et aux États-Unis avant de retourner au Liban pour prendre la relève en tant que chorégraphe de la compagnie. Elle décrit le style développé par son père comme une évolution unique dans la culture de la danse arabe.
«C‘était totalement nouveau. Quand il a lancé sa compagnie, au lieu d’imiter le style occidental, mon père a décidé de créer son propre style», dit-elle.
Créer ce style singulier impliquait de fusionner des éléments issus de la danse, la culture et la musique traditionnelle du Moyen-Orient avec la technique plus stricte des styles de danse occidentaux.
«C’est un mélange d’Orient et d’Occident. On retrouve la musique, les couleurs et les textures du Moyen-Orient mais aussi la technique indispensable de l’Occident. Imaginer et mettre en scène une performance qui dure deux heures est impossible avec un seul et unique pas folklorique. Il faut être en mesure d‘élaborer un langage de la danse. Et c’est ce que nous avons fait en mélangeant ces deux styles», détaille Alissar Caracalla.
Danser malgré tout
Au départ, la troupe fonctionnait avec une dizaine de danseurs seulement. La compagnie de danse Caracalla a rapidement acquis une renommée mondiale. De nombreux talentueux danseurs étrangers sont alors venus grossir ses rangs, toute la troupe voyageant autour du monde pour faire découvrir la danse orientale à de nouveaux publics. Malgré la guerre civile qui a meurtri le Liban entre 1975 et 1990, la compagnie n’a jamais cessé de se produire.
«C‘était un signe d’espoir et les Libanais se tournaient vers la compagnie. Elle était la seule entité à mélanger toutes les cultures, toutes les religions. Même pendant la guerre, la troupe a continué à voyager dans le monde et les Libanais qui avaient dû quitter le pays pour vivre à l’étranger, ont commencé à se sentir très connectés», assure Alissar.
Aujourd’hui, 30 ans après la fin de la guerre, Caracalla, le Liban et le monde entier font front contre un ennemi commun : la pandémie de coronavirus.
La maîtresse de ballet de Caracalla, Tatiana Taran, est originaire d’Ukraine mais vit au Liban depuis 20 ans. Elle a d’abord rejoint la compagnie en tant que danseuse et est désormais professeur de danse. Malgré le confinement, elle a continué à entraîner ses danseurs quotidiennement grâce à des cours en ligne.
«Notre corps est une machine que nous devons entretenir. On ne peut pas mettre pause et reprendre plus tard là où on en était resté», dit-elle.
Durant tout le confinement, les danseurs ont continué à se perfectionner, mettant à profit le temps imposé par l’isolement pour travailler leurs prochaines représentations.
Juste avant le début de la pandémie, la compagnie avait lancé son spectacle «Jamil et Bouthaïna». Cette histoire d’amour épique, trésor du patrimoine littéraire arabe a été présentée en février dernier lors du festival d’hiver de Tantoura, dans la vallée d’Al-Ula en Arabie saoudite.
Les prochaines étapes
Si la troupe Caracalla évolue au fil des années, elle garde à l’esprit la vision d’Abdel Halim au cœur de ses activités. Les enfants du chorégraphe ont pris le relais et entendent bien continuer à porter et développer la compagnie de danse dans le futur.
«Ivan et Alissar sont aujourd’hui confrontés à leur propre défi non seulement dans la continuité, mais surtout dans le développement de la compagnie afin de franchir une nouvelle étape», explique Abdel Halim Caracalla.
Ivan, le fils d’Abdel Halim Caracalla est devenu le directeur créatif de la compagnie. Il a propulsé les spectacles vers de nouveaux sommets technologiques, introduisant sur scène d’impressionnants effets visuels. Mais quelle que soit l‘évolution du style de danse et la technologie utilisée, la riche tradition de la narration sera toujours au cœur des performances de Caracalla.
«2020, c’est la modernité, nous devons pousser vers l’avenir. Certains pourraient dire que nous devrions garder notre identité, notre culture et ne pas trop nous éloigner de nos racines. Et on peut le dire, mais on peut aussi mêler les deux. L’idée n’est pas d’être moderne ou abstrait, mais contemporain», dit Ivan Caracalla.
Alissar et Ivan savent de quelle lourde responsabilité ils ont hérité en portant le rêve et le succès de leur père dans l’avenir.
«Ça a toujours été une histoire d’amour avec la compagnie. Et pas seulement car mon père est Caracalla, mais parce que je suis tellement connecté à ce qu’il fait. Je me rends compte qu’il a donné une identité spécifique au Moyen-Orient, il a permis aux gens de cette région de croire qu’ils peuvent danser», reconnaît Alissar.
En gardant à l’esprit les ambitions créatives de leur père, les enfants d’Abdel Halim Caracalla sont certains que la compagnie peut atteindre de nouveaux sommets. Pour Abdel Halim, alors que certaines choses changent, les valeurs intrinsèques de la danse perdurent.
«Le mystère de la danse demeure dans le corps humain, le corps spirituel et l’esprit. L’alphabet et la langue changent de génération en génération, de temps en temps et d’un chorégraphe à l’autre», conclut le chorégraphe.
Danser pour un avenir meilleur
Dans l’une des régions les plus pauvres de Tunisie, Rosie-Lyse Thompson a rencontré des adolescents qui puisent dans le hip-hop et le break dance l’espoir d’un avenir meilleur.
Pendant des années, les montagnes tunisiennes de Kasserine ont servi de refuge et de camp d’entraînement pour les extrémistes armés. Situées à la frontière avec l’Algérie, ces crêtes montagneuses constituent la couverture parfaite pour les activistes des deux pays. Malgré les efforts des gouvernements pour éradiquer le terrorisme, la pauvreté et le chômage dans la région en ont fait un terreau fertile pour la radicalisation et le recrutement de mouvements fanatiques.
Mais au sommet du Jebel Semmamma, des garçons combattent l’extrémisme à coup de figures hip-hop. Sous la direction d’Awadh, 19 ans, ces ados apprennent à lutter grâce à la danse.
« Nous avons découvert le groupe Ghar Boys il y a quatre ans dans les montagnes. Nous avons commencé à nous entraîner avec eux, sous la surveillance des adultes et cela a progressivement grossi pour devenir de plus en plus grand. Ensuite, nous avons commencé à former les plus jeunes, à corriger leurs mouvements, à les soutenir. Nous avons créé une chorégraphie ensemble et l’ambiance était bonne. Le hip-hop m’a aidé à faire face à mes difficultés et à gérer mes soucis. Il permet de s’échapper de la réalité, de mettre de la distance avec les autres et la société. C’est mieux que beaucoup d’autres choses », raconte Awadh.
Si le break dance est né aux Etats-Unis à la fin des années 1960, au cours des dernières décennies, il a gagné en popularité dans le monde arabe.
Pendant des années, les jeunes qui vivaient sous des régimes autoritaires se sont tournés vers cette danse pour en faire un vecteur de contestation politique et d’expression personnelle.
En 2011, le hip-hop et le rap ont largement contribué au déclenchement de la vague de protestation qui a abouti au renversement du régime du président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali. La chanson du rappeur El General, « Rais el bled », « Le Président du Pays » en français, est devenue l’hymne de cette révolution.
Popping, Locking…
La troupe s’appelle les «Ghar boys», ce qui signifie « grotte de montagne » en arabe. Les jeunes danseurs se réunissent régulièrement dans un centre culturel financé par la Fondation Rambourg.
« Nous avons développé ce projet en étroite collaboration avec les communautés qui vivent ici afin de créer et de développer de nouveaux récits autour de ce que peut être l’avenir pour ces jeunes. Cette troupe de break dancers dansait et à s’entraînait dans la montagne sans aucun matériel. Grâce à ce centre, ils peuvent désormais réellement pratiquer et donner ainsi une nouvelle image aux jeunes », explique Shiran Ben Abderrazak, président de la Fondation Rambourg.
Ameer a rejoint le groupe il y a plus d’un an et a rapidement pris des initiatives. Popping, Locking, explosion, verrouillage, le vocabulaire du danseur hip-hop n’a plus de secrets pour lui et il espère bien participer à des battles de danse à travers le pays avec ses copains pour montrer une image positive de son village.
« Beaucoup de gens associent Shemmama au terrorisme. Mais je leur dis : vous avez tort. Nous sommes de bonnes âmes, nous marchons à travers les montagnes, nous travaillons dur et gagnons de l’argent à la sueur de notre front. Nous aimons aussi le break dance. Nous ferons l’impossible, pour leur montrer de quoi parle Shemmama. Que ses enfants ne sont pas des terroristes. Nous ne sommes pas mauvais. Nous ne combattons que par l’art », dit Ameer avec conviction.
Pendant que les garçons dansent, leurs mamans se rassemblent au centre pour tisser des paniers. Leur vente dans des magasins de Tunis, la capitale, constitue la principale source de revenus de nombreux ménages du village. Ces mères espèrent que le hip-hop offrira une alternative à leurs fils et un avenir meilleur.
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