Ouganda
Perdue au cœur du lac Victoria, Musambwa, dont le nom évoque l’esprit ou le fantôme en luganda, est une île minuscule de cinq hectares, à la fois sacrée, sauvage et redoutée. Accessible après une traversée cahoteuse de quarante-cinq minutes depuis les rives ougandaises, cette terre isolée fascine par la densité de sa faune autant que par les croyances qui la régissent.
Classée zone humide d’importance internationale par la Convention de Ramsar, Musambwa abrite une biodiversité exceptionnelle. Mais au-delà de ses richesses écologiques, c’est la profondeur du lien entre l’homme, la nature et le spirituel qui confère à l’île son aura unique.
Ici, plus de deux mille serpents vivent en liberté : des cobras égyptiens, des pythons africains et les redoutables vipères du Gabon. Pourtant, loin de provoquer la peur ou le rejet, ces reptiles sont perçus comme des incarnations d’esprits protecteurs. D’après Fredrick Nsibambi, chercheur et directeur exécutif adjoint de la Cross-Cultural Foundation of Uganda, il est difficile de traduire fidèlement le mot Musambwa : « En luganda, on comprend instinctivement qu’il désigne un esprit. Mais cet esprit, sur l’île, prend la forme des serpents. »
Ce respect s’enracine dans une tradition orale puissante, transmise de génération en génération. Gerald Lubega, un poissonnier installé sur l’île depuis 2003, se souvient de ses premières nuits : « Lorsque je suis arrivé, je me réveillais entouré de serpents. On dormait avec la peur au ventre. Puis mes collègues m’ont dit que c’était normal ici, qu’avec le temps je m’y habituerais. Et effectivement, on finit par les accepter. »
Musambwa est également un refuge ornithologique majeur, notamment pour la plus grande colonie de mouettes à tête grise du continent africain. Les habitants, autrefois chasseurs d’oiseaux et ramasseurs d’œufs, ont cessé ces pratiques après des campagnes de sensibilisation menées par des associations de conservation. Aujourd’hui, la chasse est interdite, et les traditions culturelles jouent un rôle central dans la protection de la faune.
Sur le plan social, l’île obéit à un code moral rigoureux, hérité de croyances ancestrales. Les femmes peuvent la visiter, mais il leur est interdit d’y résider. Une règle qui, selon les insulaires, vise à ne pas troubler les esprits. Cette exclusion, bien que contestée dans un cadre moderne, participe selon certains à l’équilibre spirituel et sanitaire de l’île.
Mais ce sanctuaire, longtemps épargné par les bouleversements du monde, voit aujourd’hui les premières fissures apparaître. Le tourisme, encore balbutiant mais en progression, pourrait menacer l’équilibre fragile de Musambwa. Nsibambi s’en inquiète : « De plus en plus de visiteurs internationaux arrivent. Or, s’ils ne respectent pas les pratiques culturelles qui protègent ce lieu, alors son avenir est en péril. »
À la croisée des chemins, Musambwa incarne à la fois un bastion de traditions vivantes et un laboratoire de coexistence écologique. Un lieu rare, où l’homme vit au rythme des vents, des esprits et des saisons, et dont l’avenir repose sur un délicat équilibre entre transmission, respect et adaptation.
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