Interview
Il pourrait être la voix d’une nouvelle révolution africaine en ce début du 21e siècle. Activiste tonitruant dans la diaspora et en Afrique pour l’autonomie des Africains, Stellio Gilles Robert Capo Chichi, plus connu sous le nom de Kémi Séba, est entré avec fracas dans le débat sur le franc CFA. Expulsé du Sénégal vers la France pour avoir brûlé un billet de 5 000 francs en août 2017, il vit désormais au Bénin, son pays d’origine d’où il compte poursuivre son action. Dans l’interview qu’il a récemment accordé à Africanews.com, il rappelle ses idéaux et dresse un bilan à mi-parcours de son projet.
Kémi Séba, nouveau héraut de la lutte anti-CFA ?
Héraut de la lutte anti-CFA je ne sais pas. Mais activiste politique depuis maintenant 19 ans. Activiste politique panafricaniste qui a toujours tout fait, parfois de manière provocatrice, parfois de manière radicale, mais toujours pour susciter le débat, pour éveiller les consciences, dans un premier temps dans la diaspora de manière subversive, par la suite de manière plus populaire en Afrique.
Pourquoi cette fixation sur le franc CFA alors que l’Afrique regorge encore de nombreux symboles coloniaux ?
Nous ne faisons pas de fixation sur le FCFA. Ce sont peut-être les médias qui le font. Nous avons dénoncé la présence des militaires français au Mali. Et sur les questions socio-politiques, nous nous sommes opposés aux accords de partenariat économiques (APE). Je précise aussi que Urgences panafricanistes (NDLR L’ONG dont il est le leader), avant de se lancer dans la campagne pour la souveraineté monétaire avait mené pendant un an une campagne de dénonciation de l’esclavage des Noirs en Mauritanie et on avait d’ailleurs reçu les remerciements de Biram Da Abeid qui est le leader historique de la lutte anti-esclavagiste.
Notre combat est pour la souveraineté africaine en général. Elle est militaire, politique, culturelle, et elle est aussi économique. Et c’est parce qu’elle est économique que nous nous attaquons au FCFA.
Quel est l‘état actuel de votre combat, avez-vous l’impression que les choses avancent dans le bon sens ?
Je suis très satisfait parce que même si le combat est loin d‘être terminé, nous constatons que la prise de conscience de la jeunesse africaine s’est amplifiée suite au travail de terrain et médiatique que nous avons mené.
Notre travail est avant tout un travail de sensibilisation, d‘éveil de conscience. Dans le cas du franc CFA, nous savons que nous ne pouvons pas prendre de décision politique ou institutionnelle visant à sortir de cette monnaie, mais nous pouvons faire pression sur les autorités pour qu’elles prennent leurs responsabilités par rapport à cette réalité.
Il se trouve qu’avant qu’on ne se lance dans ce combat, la question du CFA était uniquement aux mains des élites, de l’intelligentsia, de l’oligarchie politique. C‘était en quelque sorte un tabou. Nous avons réussi à faire aujourd’hui de ce sujet le débat de société principal sur le continent africain. Ce n’est pas une fin en soi. Car comme on le dit, les problèmes du continent ne peuvent se résumer au franc CFA. Mais le simple fait qu’il soit abordé atteste de la capacité qu’est la nôtre de sensibiliser et d‘éveiller les consciences des Africains.
Des spécialistes des questions économiques africaines ou autres personnalités ont-ils déjà adhéré à votre projet ?
On a eu ne serait-ce que cette année la participation de quasiment tout le monde. On a le professeur Nicolas Agbohou qui est notre compagnon de route principal sur les questions économiques. On a bien sûr des spécialistes de la question. On a des sportifs de haut niveau, des artistes comme Alpha Blondy, Tiken Jah, Didier Awadi qui se sont rapprochés de nous. On a des philosophes comme Grégoire Biyogo. On a le soutien de ceux qu’on doit avoir.
Outre les manifestations qu’initie votre ONG Urgences Panafricanistes, concrètement, qu’est-ce que vous proposez ?
L’essentiel c’est que notre travail ne se limite pas qu’aux manifestations. C’est un travail de sensibilisation continu. Et dans ce sens là, l’ONG Urgences panafricanistes organise chaque semaine, dans tous les pays de la zone franc, des cours, des exposés, des formations relatives à la souveraineté, pour que cette question ne pose pas qu’au sein de l‘élite. On veut faire de cette thématique une question populaire. Et le franc pour nous n’est qu’un alibi. Parce qu’en parlant du franc CFA, ça nous permet d’ouvrir la porte à l’indépendance effective.
Il y a donc ces travaux qui sont faits dans les écoles primaires, les collèges à côté des actions sociales – la distribution de repas – qui se font dans la zone franc pour les populations les plus précarisées. C’est ça notre travail, qui ne se limite pas qu‘à des coups d‘éclat nécessaires ou de provocation comme le billet de 5 000 francs brûlé. C’est un travail qui devrait nous permettre de pénétrer le cœur et l’esprit de la jeunesse africaine et je crois que nous sommes en train de fortement réussir sur ce terrain.
Avez-vous l’impression qu’il y a un changement de mentalité des dirigeants africains, qu’ils saisissent le combat que vous menez pour que le continent retrouve sa totale indépendance ?
Je pense qu‘à part Idriss Déby qui sur ce terrain fait preuve de courage, la plupart des autres sont très gênés et ont très peur. Trop peur de la France pour pouvoir lui dire un certain nombre de vérités. Par ailleurs, d’autres présidents bénéficient de cette situation pour se faire des salaires et des pots-de-vin qui sont tellement importants qu’ils ne veulent pas quitter ce train de vie. Ce n’est pas qu’ils comprennent ou qu’ils ne comprennent pas. C’est juste qu’ils n’ont pas intérêt à comprendre. Mais nous allons les pousser à le faire. De manière très précise.
L’exemple du président Roch Marc Christian Kaboré qui disait dernièrement qu’il faut certes aller vers la monnaie unique, mais qu’il faut arrêter la rethorique, est l’illustration parfaite de ces présidents qui n’ont pas intérêt à nous comprendre. M. Kaboré est en réalité gêné par des choses précises. Il a des accords de partenariat avec la France et il ne veut pas être en difficulté avec cette dernière. Donc il est très gêné par la contestation grandissante de la jeunesse africaine qui ne veut pas juste se limiter à des aspects techniques, mais qui veut parler de la souveraineté de manière globale. Comme M. Kaboré est tout sauf quelqu’un de souverain, il veut se limiter à un aspect technique plutôt que d’engager un débat politique.
Et donc quand il dit à la jeunesse africaine d’arrêter la rhétorique, nous retournons à ce président, que ce sont les présidents africains qui doivent arrêter la rhétorique, dans toutes les réunions, tous les symposiums, c’est maintenant qu’ils doivent travailler, c’est maintenant qu’ils doivent arrêter de parler et se retrousser les manches. Parce que les seuls qui doivent opérer des changements structurels ce sont ces derniers et pas nous.
Vos activités sont beaucoup axées sur la zone franc de l’Afrique alors que vous ne cessez de parler de souveraineté globale de l’Afrique. Le reste de l’Afrique ne compte-t-il pas dans votre plan d’action ?
Vous avez tout à fait raison. Si on s’attarde sur la zone franc, c’est parce que c’est la zone avec le plus faible taux de développement humain. Nous voulons donc aboutir à quelque chose dans cette zone avant de mener le combat avec les autres. On y va par stratégie, on y va par étape parce qu‘à force de courir après plusieurs lièvres à la fois, on finit par n’attraper aucun.
Début septembre, vous vous faisiez expulser du Sénégal vers la France à la suite de la suite l’affaire du billet de 5 000 francs CFA. Quel est le sentiment de l’enfant africain qui se fait expulser de sa terre vers un pays couramment critiqué pour sa politique envers l’Afrique ?
J’ai eu ce sentiment et je l’ai jusqu‘à aujourd’hui que l’esclavage n’est pas fini. J’ai vu à travers le président Macky Sall, le président Ouattara et autres, le continium colonial, la continuité de la trahison par des Noirs. Cela explique, justifie et rappelle dans quelle conditions les nôtres ont été déportés. Il a fallu qu’il y ait des traites chez nous pour que l’esclavage puisse se faire. Et c’est exactement ce qui se passe encore aujourd’hui.
Aujourd’hui installé au Bénin, quel accueil recevez-vous des autorités ?
Je peux dire tout ce que je veux sur le président Talon, Dieu seul sait que nous avons des désaccords, notamment sur le franc CFA. Mais je constate une chose, il y a un esprit patriotique qui est présent au sein des autorités béninoises que je n’ai jamais constaté ailleurs. La manière dont je suis reçu ici, par les officiels, les militaires, le peuple on en parle même pas, démontre un démarche patriotique qui me fait penser que le Bénin pourrait être pour le 21e siècle ce que le Burkina Faso a été pour l’Afrique en 1980 au 20e siècle.
Nous sommes dans une période propice pour cela. Je n’ai pas peur d‘être expulsé. Je le dis, et je ne vais pas m’en cacher, notre combat est très simple et je le résumerai en une phrase : tous les présidents qui prendront partie pour la Françafrique et non pour leur peuple devront voir en notre combat une manière pour eux d‘être débarqués de leurs fonctions. Dès lors que nous ne sommes pas respectés en tant que peuple souverain, le peuple a le droit de se lever pour ce qu’il estime inique et injuste. Nous serons dans une tempête africaine, un orage africain, civique, non violent qui fera que la souveraineté africaine soit une ode audible pour tous.
Une des actualités du moment, c’est l’esclavage dont sont victimes des migrants subsahariens en Libye. Quel est votre regard sur ce drame humanitaire ?
Comme tout le monde, j’ai vu le reportage. Mon premier réflexe a été de me dire pourquoi CNN, parce qu’il faut se poser des questions de fond. Pourquoi CNN qui a participé à la diabolisation hystérique de Kadhafi – alors que c‘était l’un des plus grands leaders du continent africain quels que soient les reproches qu’on puisse lui faire – et à la destruction de la Libye, joue aujourd’hui les vierges effarouchées, les pompiers, alors qu’ils ont été les premiers pyromanes. CNN ne fait jamais rien gratuitement. Ce n’est pas du complotisme que de dire ça, c’est une simple réflexion de fond politique. Quand CNN qui est le bras armé médiatique du gouvernement américain décide de le faire, c’est peut-être parce que les Etats-Unis ont un nouveau plan pour la Libye.
Comme je l’ai dit plus haut, depuis quelques années notre ONG Urgences panafricanistes dénonce et lutte contre l’esclavage en Mauritanie. Pour nous donc, toute cette histoire d’esclavage est quelque chose qui malheureusement n’est pas nouveau.
Mais le contexte socio-politique en Libye est particulier. C’est l’addition de plusieurs facteurs, en l’occurrence l’extrême mal gouvernance des dirigeants africains qui poussent la jeunesse africaine à migrer parce qu’elle a l’impression que là où elle c’est un paradis pour les multinationales et pas pour elle ; et aussi d’une campagne d’aveuglement des puissances occidentales qui après avoir détruit la Libye, ne sont même pas capables de la reconstruire. Mais en plus, quand les gens passent par cette voie, ils ont le culot de payer des mercenaires à des sommes astronomiques pour réguler l’immigration. Donc le sentiment est multiple. Une indignation réelle, mais pas nouvelle. Mais pourquoi CNN décide de diffuser le documentaire maintenant ? C’est la question que nous devons nous poser.
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