Afrique du Sud
Quatre militants enlevés et assassinés. Un homme poussé à sa mort du haut d'un bâtiment de police. Cinq ados tués dans leur lit par des soldats. Dans ces affaires du temps maudit de l'apartheid, Frederik de Klerk, dernier président blanc d'Afrique du Sud, était attendu comme témoin.
Parfois considéré comme un héros pacificateur à l'étranger, salué pour son rôle décisif dans le démantèlement du régime raciste qu'il avait précédemment soutenu toute sa vie politique, il est mort la semaine dernière à 85 ans. On ne saura jamais ce qu'il aurait eu à en dire.
Beaucoup de Sud-Africains retiennent surtout la réticence de l'ancien président face aux enquêtes sur les atrocités de l'apartheid. Et son message posthume, diffusé quelques heures après son décès, pour dénoncer "la douleur, la souffrance, l'indignité et les dommages" infligés n'aura pas convaincu.
Amnisties
Après l'élection de l'ex-ennemi public Nelson Mandela en 1994, la commission Vérité et réconciliation, menée par Mgr Desmond Tutu, avait permis d'apaiser le pays, en offrant l'amnistie à ceux qui rendraient compte de leurs crimes. Quelques 850 de ces amnisties ont été accordées.
La commission a aussi recommandé des poursuites dans plus de 300 affaires et formulé des propositions de réparations pour certaines victimes. Tout cela est resté au point mort. Et dans les mois qui ont précédé la mort de Frederik de Klerk, le pays a mieux compris pourquoi.
En juillet, alors que le pays traversait une période inédite d'émeutes meurtrières sur fond de misère sociale, sa fondation a enfoui dans un communiqué une information majeure. "En raison d'un accord informel entre la direction de l'ANC (parti de Mandela) et les anciens agents gouvernementaux d'avant 1994, le parquet national a suspendu ses poursuites pour les crimes de l'ère de l'apartheid."
Rumeurs d'accord
Des rumeurs d'un tel accord ont circulé pendant des années, mais jamais une source officielle ne l'avait affirmé aussi directement."Nous avons toujours soupçonné qu'une sorte de compromis avait eu lieu à huis clos", confie Lukhanyo Calata, dont le père était l'un des quatre militants enlevés et assassinés à Cradock (sud) en 1985.
La commission avait refusé l'amnistie aux meurtriers mais ils n'ont jamais été poursuivis. Le Conseil de sécurité de l'Etat du régime de l'apartheid s'était réuni trois semaines avant leur mort. Frederik de Klerk siégeait à ce conseil, où des responsables militaires ont recommandé la "mise à l'écart permanente de la société" de Fort Calata et de son copain militant Matthew Goniwe, selon des éléments apparus lors d'auditions à la commission.
Le fils de Fort Calata a engagé une action en justice pour obliger les procureurs à se saisir de l'affaire et à citer l'ancien président à comparaître. Leur décision était attendue début décembre. "C'est malheureux que Frederik de Klerk ne soit plus là. C'est un ancien président. Il aurait forcément eu connaissance de bien d'autres éléments", regrette le fils Calata, furieux contre l'ANC au pouvoir de n'avoir "jamais pris au sérieux l'idée d'engager des poursuites".
Nobel de la paix
Les questions sans réponse de Frederik de Klerk ne remontent pas toutes à si loin. Un mois à peine avant de partager le prix Nobel de la paix avec Mandela, en 1993, il a ordonné un raid sur une maison où des soldats ont tué à bout portant cinq adolescents qui dormaient dans leur lit.
De Klerk a reconnu avoir ordonné cette descente mais affirmé avoir reçu de mauvaises informations selon lesquelles la maison était utilisée par des combattants armés de la lutte anti-apartheid. "Pour un président, autoriser le meurtre d'enfants est un acte de terrorisme flagrant", avait déclaré Nelson Mandela à l'époque.
Propos sévères
Ce n'est qu'un des propos sévères de Nelson Mandela au sujet de Frederik de Klerk, mais l'euphorie qui a accompagné les prix Nobel et son élection à la tête du pays multicolore rebaptisé "arc-en-ciel" les a rapidement éclipsés. Les familles continuent à exiger des réponses.
L'oncle d'Imtiaz Cajee, Ahmed Timol, a été précipité vers la mort du 10e étage du tristement célèbre siège de la police à Johannesburg en 1971. Sa quête pour rouvrir l'affaire - initialement classée comme un suicide - a conduit à une nouvelle procédure contre le policier vieillissant Joao Rodrigues pour le meurtre. Mais il aussi est parvenu à retarder le procès jusqu'après sa mort.
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