De blanc vêtu, un homme fait semblant d'armer une fronde en direction d'un autre: cette œuvre venue de l'Est de la Libye symbolise les divisions avec l'Ouest, mais aussi la renaissance du Festival national de théâtre, après 15 ans d'absence.
Libye : 15 ans après, le Festival de théâtre revient combler les divisions
L'événement, organisé à Tripoli et Misrata (à 200 kms à l'est), a rassemblé cette semaine des troupes de 11 villes de toute la Libye, pays en proie à l'instabilité politique depuis la chute et la mort du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011.
La pièce "Hassituha" ("vous l'avez ressentie"), jouée dans l'enceinte du Théâtre des Scouts à Tripoli, a voyagé depuis Marj, dans l'est libyen. Malgré les rivalités persistantes entre Est et Ouest, plus d'un millier de personnes ont assisté à la représentation.
Le pays nord-africain est gouverné par deux exécutifs rivaux: l'un à Tripoli (ouest), dirigé par Abdelhamid Dbeibah et reconnu par l'ONU, l'autre dans l'Est, incarné par le Parlement, affilié au camp du maréchal Khalifa Haftar.
"Certains dans le public ont fondu en larmes devant les expressions si sincères des acteurs", a expliqué à l'AFP Muhammad Khaitouni, soulignant que même si l’œuvre était essentiellement mimée, les comédiens "ont réussi à nous transmettre le sens" du texte.
Accompagné de son père et de deux frères, Khaled Muwadhaf, 14 ans, souligne à quel point la pièce met en évidence le chaos, la pauvreté et la corruption politique qui règnent encore dans le pays.
Elle évoque "ce que vivent bien des gens de nombreuses villes libyennes du point de vue de la pauvreté, des conflits, du manque d'opportunités et de la stagnation économique", précise Ali Qadiri, metteur en scène de "Hassituha".
Fathi Kahloul, comédien, se dit "ravi de l'accueil du public et de la grande réussite" du Festival, estimant que les représentations ont "ressuscité le théâtre" en Libye.
La dernière édition du Festival national des arts dramatiques remonte à 2008, vers la fin du régime Kadhafi, quand il avait prévu qu'il ne revienne qu'une fois tous les quatre ans.
- "Rallumer la flamme" -
"Le théâtre a été affecté par la réalité politique et sociale du pays, mais aujourd'hui nous sommes là pour rallumer la flamme", assure à l'AFP Anwar Tir, directeur du Festival.
Ce Festival n'a pas été conçu, dit-il, comme une compétition entre les oeuvres mais comme "une occasion pour tous les artistes libyens de se retrouver sur une scène" commune.
Plus de 60 dramaturges et interprètes ont répondu présent, ainsi que des dizaines de metteurs en scène et d'auteurs.
Comme "Hassituha", d'autres pièces ont évoqué des questions qui hantent la société libyenne: les souffrances, les affrontements sanglants entre camps rivaux, la chute du niveau de vie dans un pays pourtant très riche en pétrole.
L'actrice Salwa Maqsabi, en provenance de la métropole de l'Est, Benghazi, est "heureuse de participer à ce bel évènement". "Le théâtre unit et ne divise pas, et il réussira là où les politiques ont échoué", estime-t-elle.
- La tragédie de Derna -
Une troupe -- "Ajyal" ("Générations") - est même originaire de Derna, ville de l'Est ravagée le 11 septembre par des inondations massives qui ont fait des milliers de morts et disparus, et plus de 40.000 déplacés.
"Nous sommes venus avec notre lot de blessures, de douleurs et de pertes, mais nous sommes optimistes pour notre pays et ses artistes qui ont réussi à faire revivre le théâtre national", explique à l'AFP Milad Hasadi, directeur du Théâtre national de Derna.
"Nous devons encourager et soutenir tous les théâtres libyens, car leur rôle est important pour rejeter la division, unir les Libyens et semer le sourire et l'espoir dans nos vies", a-t-il ajouté.
Pour le sous-secrétaire au ministère de la Culture, Abdel Basset Buganda, l'objectif est de relancer durablement la scène théâtrale et artistique libyenne.
L'interruption "a été causée par la négligence et les conflits politiques qui ont porté préjudice aux arts, en particulier au théâtre". Mais, selon lui, la Libye est aujourd'hui unie "avec tous ses artistes pour surmonter" ses divisions.