Le 30 mai, Amal Hassan a quitté Omdourman pour rendre visite à sa mère dans une autre banlieue de Khartoum. Depuis, son mari et ses trois enfants l'attendent.
Au Soudan, la longue liste des disparues
Heba Ebid , elle, a pu revenir à Khartoum-Nord après trois mois de captivité. Avec un groupe de femmes de tous âges, elles ont été forcées de soigner et de nourrir des paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) en guerre conte l'armée depuis le 15 avril, rapporte "Mafqoud" ( "Disparu" en arabe), une initiative en ligne pour aider les familles à connaître le sort d'un proche pris dans les violences.
Il y a aussi Saba Baloula Mokhtar, 17 ans, disparue à Omdourman depuis le 18 mai. Ou Ajok Manut Ngor, qui n'a plus jamais été revue dans le quartier de Hajj Youssef à Khartoum.
Sur les réseaux sociaux, la liste des femmes disparues ne cesse de s'allonger. A chaque fois, une photo accompagne la description. Et le numéro de téléphone d'une famille qui se ronge les sangs.
Celle d'Amal Hassan espère encore. En temps normal, de son quartier d'al-Bosta au domicile de sa mère, il ne fallait pas plus d'une demi-heure à cette Soudanaise de 35 ans. Mais aujourd'hui, sortir peut souvent signifier ne jamais revenir.
Certaines ont sûrement été fauchées par les tirs, les raids aériens ou les obus qui pleuvent depuis près de quatre mois. D'autres ont été enlevées sans que jamais personne ne revendique les retenir en otage.
L'Association soudanaise des victimes de disparition forcée dit avoir déposé "430 plaintes concernant des disparus" au seul commissariat de Wad Madani , ville à 200 km au sud de Khartoum qui a accueilli une bonne part des près de deux millions de personnes ayant fui la capitale.
"Les rescapés nous racontent que ces enlèvements sont le fait des FSR" , menées par le général Mohamed Hamdane Daglo et formées au combat dans l'atroce guerre du Darfour des années 2000, affirme à l'AFP Othmane al-Basri, l'un des avocats de cette association.
Le réseau Siha, qui rassemble plusieurs structures de défense des femmes dans la Corne de l'Afrique , accuse aussi les FSR après avoir recueilli le témoignage de rescapées qui racontent avoir été enlevées par des paramilitaires puis forcées à cuisiner pour eux ou laver leurs vêtements.
"Actuellement, nous avons 31 disparues, mais ce chiffre change tout le temps et peut être plus élevé" , indique le réseau à l'AFP. " De nombreuses familles ne disent rien par peur d'être stigmatisées" , dans une société où les disparitions sont souvent associées à des violences sexuelles , un sujet tabou.
Car dans tous les esprits, un mot flotte : le viol , pratiqué de longue date dans les guerres au Soudan.
Depuis le 15 avril, l'organe gouvernemental de lutte contre les violences faites aux femmes recense 108 agressions sexuelles à Khartoum et au Darfour - vaste région de l'ouest où vivent un quart des 48 millions de Soudanais. Un bilan sans doute tout aussi sous-estimé que celui des pertes humaines, tant victimes et soignants sont dans l'incapacité de se déplacer à cause du conflit.
Les associations sont la dernière porte ouverte à ces familles en détresse : les commissariats ont fermé - ou ont été attaqués et pillés par les paramilitaires - et les policiers ont disparu des rues.
Restent les "comités de résistance" . Ces groupes de quartier qui, avant, organisaient les manifestations contre les militaires au pouvoir, se sont mués en centre de soutien aux familles restées sous les bombes.
Celui d'al-Halfaya, à Khartoum-Nord, annonçait le 3 juillet que la mobilisation de voisins avait permis d'empêcher l'enlèvement de deux jeunes filles par des paramilitaires entrés chez elles.
Quatre autres femmes enlevées lors de trois raids différents des FSR dans le quartier ont été relâchées face aux pressions de proches et de voisins, selon le même comité. D'autres ont été libérées après le paiement de rançons aux FSR atteignant parfois jusqu'à plus de 50 000 euros, rapporte Siha.
"Les FSR ne retiennent personne, nous ne détenons qu'une seule personne et c'est parce qu'elle est accusée d'un crime" , se défend une source au sein des FSR.
Et le phénomène est loin d'être limité à Khartoum. Les militants comptent aussi des disparues au Darfour ou dans les États de Sennar, qui borde l'Ethiopie , et du Nil Blanc , frontalier du Soudan du Sud .
Halima Haroun, réfugiée au Tchad après avoir fui El-Geneina au Darfour, raconte ainsi que sa fille a disparu dans leur course effrénée vers l'exil.
"Najwa Mohammed Adam a 16 ans, cela fait 45 jours que nous n'avons aucune nouvelle d'elle" , raconte-t-elle à l'AFP. "On ne sait rien : même pas si elle est morte ou vivante".