Une jeune génération de cinéastes marocains vient d'émerger au Festival de Cannes où trois d'entre eux ont été primés dans des sections parallèles, une nouvelle vague qui préfigure un renouveau du 7e art au Maroc.
Le cinéma marocain sous le feu des projecteurs
"Les films marocains projetés à Cannes figurent parmi les meilleurs de l'histoire du cinéma au Maroc" , déclare à l'AFP le critique marocain Bilal Marmid qui a couvert la quinzaine cannoise.
La jeune réalisatrice de 32 ans Asmae El Moudir a obtenu le prix convoité de la mise en scène dans la sélection Un Certain Regard, avec "Kadib Abyad" ("La Mère de Tous les Mensonges").
Son documentaire explore le passé hanté de non-dits de sa famille et, au-delà, celui du royaume marocain pendant les "années de plomb" du règne de Hassan II.
Fautes d'images d'archives, la cinéaste a imaginé un dispositif ingénieux en filmant une maquette du quartier de son enfance casablancaise ainsi que des figurines pour narrer un passé familial, avec en arrière-plan les "émeutes de la faim", réprimées dans le sang, en juin 1981 à Casablanca.
"Réaliser ce film m'a pris dix ans et m'a permis de me réconcilier avec ce passé, même s'il a pu être violent", souligne à l'AFP Asmae El Moudir, qui y fait jouer des membres de sa famille.
"Un rêve d'enfant"
"Etre à Cannes est un rêve d'enfant qui devient réalité. Etre sélectionnée, c'est magnifique mais gagner des prix l'est encore plus" , s'exclame-t-elle.
C'est à Casablanca également que Kamal Lazraq, 38 ans, a planté le décor de son premier long-métrage: "Les Meutes" , prix du jury dans la même sélection Un Certain Regard.
Le film embarque les spectateurs durant une nuit infernale dans les faubourgs de la métropole où un homme et son fils, des marginaux, tentent de faire disparaître un cadavre après un kidnapping qui a mal tourné.
"Les Meutes", décrit par M. Lazraq comme "un road movie fiévreux à travers Casablanca", repose sur deux acteurs non professionnels, Ayoub Elaid et Abdellatif Masstouri.
"J'aime bien partir d'une page blanche et construire le film avec mes acteurs car ils amènent beaucoup de leur vécu et de leurs expériences", confie le Casablancais de retour de la Côte d'Azur. "J'essaie de leur laisser une certaine liberté pour créer ensemble quelque chose d'authentique et intense".
Après la projection, "on a eu l'impression que le film avait été compris comme il devait l'être, qu'on n'avait pas fait fausse route, du coup c'est un grand soulagement" , souligne Kamal Lazraq, pour qui "le prix, c'est la cerise sur le gâteau" après un tournage "assez long et difficile".
"Victoire de la jeunesse"
"Les films sont tous différents, ça crée une émulation, j'espère que ça va encourager des jeunes (Marocains) à se lancer dans l'aventure", plaide-t-il.
Un appel qui a un écho auprès de Zineb Wakrim , une apprentie réalisatrice de 22 ans qui a reçu avec son court-métrage "Ayyur" ("Lune" en amazigh, la langue berbère) le 3e prix de la Cinef, dédié aux films d'école de cinéma.
Elle y dresse le portrait de deux adolescents atteints de la "maladie des enfants de la lune" , pathologie génétique rare dont les victimes ne supportent pas les rayons du soleil.
Présenter son court-métrage à Cannes a été "une grande victoire pour la jeunesse", estime cette diplômée de l' Ecole supérieure des arts visuels de Marrakech (ESAV).
Le cinéma marocain a éclos dans les années 1970-80 avec la présentation par quelques cinéastes d'œuvres novatrices et puissantes, à l'image de Mustapha Derkaoui , Ahmed Bouanani ou encore Ahmed Maanouni.
Ces deux dernières décennies, d'autres réalisateurs -- comme Faouzi Bensaïdi ("Mille mois", 2003), Nabil Ayouch ("Les Chevaux de Dieu", 2012) ou récemment Maryam Touzani ("Le Bleu du Caftan, 2022") -- se sont distingués mais plutôt à titre individuel sans dynamique d'ensemble.
Le Maroc cherche à soutenir et valoriser son cinéma, avec un budget annuel d'aides publiques à la production de 60 millions de dirhams (environ 5,5 millions d'euros) depuis 2012.