Precious continue, comme si de rien n'était, à repasser les vêtements des enfants de ce couple sud-africain blanc pour qui elle range et nettoie depuis des années, pas déclarée : plus tôt, sur le chemin du travail, cette Zimbabwéenne sans-papiers était arrêtée par la police.
Afrique du Sud : le labeur et la peur des domestiques sans-papiers
En Afrique du Sud , une grande partie des classes moyenne et supérieure emploient encore, 30 ans après l' apartheid , des domestiques généralement noires. Une main d'œuvre facile, embauchée pour de modiques salaires équivalents à 20 ou 30 euros la journée.
Ces femmes sont souvent originaires de pays voisins pauvres, comme le Zimbabwe ou le Malawi . Beaucoup vivent dans le pays illégalement.
Ces dernières semaines, la police a multiplié les contrôles dans la région de Johannesburg. "Nous menons des opérations hebdomadaires" , a précisé à l'AFP le chef de la police de la province du Gauteng , le commissaire Elias Mawela .
"Il ne fait pas bon être étranger ces temps-ci" , dit Precious en pliant un pantalon d'un beau velours. Un air sombre envahit le visage de cette grande femme noire aux épaules carrées.
Violences xénophobes
Tôt ce matin-là, à l'heure où les femmes de ménage rejoignent les maisons des quartiers chics de la capitale économique, la police a mené un raid dans une station de minibus taxi, transports en commun d'une main d'œuvre fauchée. En situation irrégulière, Precious, 36 ans, a été arrêtée.
La "nation arc-en ciel" compte officiellement 3,8 millions de migrants . Dans un pays régulièrement en proie à des flambées de violences xénophobes , l'agence nationale des statistiques n'enregistre plus ni le pays d'origine, ni le statut administratif lors des recensements.
Ce chiffre est considéré comme largement sous-estimé : la première puissance industrielle africaine attire des migrants économiques de tout le continent, même si la population d'environ 60 millions lutte contre un chômage record qui touche un Sud-Africain sur trois en âge de travailler.
Permis de travail
Le Zimbabwe a une longue histoire d'immigration avec l'Afrique du Sud. Fuyant la crise politique et économique , 250 000 Zimbabwéens avaient obtenu un permis de travail d'une durée de quatre ans en 2009 et leurs visas ont depuis été continuellement renouvelés. Mais ils sont nombreux à avoir aussi suivi cette vague illégalement et risquer un renvoi à la frontière.
Pour ceux ayant un permis, l'Afrique du Sud a en outre annoncé l'an dernier la fin des extensions de permis, ouvrant la voie à des expulsions de masse . Le gouvernement prolonge pour l'heure le sursis de six mois en six mois, plongeant dans l'incertitude de nombreux Zimbabwéens, qui cristallisent les rancœurs xénophobes.
Récemment, des militants anti-étrangers ont empêché l'accès à un hôpital de Pretoria après la diffusion d'une vidéo devenue virale d'un responsable du ministère de la Santé reprochant à un Zimbabwéen de venir se faire soigner en Afrique du Sud.
A l'arrière du fourgon de police, Precious a envoyé un message à "Ma'am" , comme elle appelle sa patronne, pour la prévenir qu'elle serait en retard. Au fond, "j'avais peur" , lâche-t-elle sur un ton étonnamment neutre. Cette façon de ne rien laisser paraître, elle l'a acquise avec le temps.
Taux de criminalité
Un accouchement à 25 ans dans un hôpital miséreux du Zimbabwe lui a appris à serrer les dents. "Il n'y a rien là-bas, même pas d'eau pour laver le bébé une fois né" . Pas d'antidouleur non plus.
Lors de son arrestation , un policier lui a proposé un arrangement : 1 000 rands (56 euros) en liquide et on oublie, sinon "au poste, ça sera plus cher et on ne sait pas ce qu'il pourrait se passer" .
Dans un des pays au taux de criminalité parmi les plus élevés au monde, la police sud-africaine a la sulfureuse réputation d'être inefficace et corrompue . Interrogé sur le comportement de ce policier, le commissaire Elias Mawela a souligné que tout acte de corruption par des forces de l'ordre doit être signalé pour enquête.
Precious a dû passer des appels pour trouver l'argent. Elle devra rembourser, dit-elle. L'équivalent pour elle d'une semaine de salaire.