Abonnée aux crises politiques, l’Afrique n’a pas dérogé à la règle en 2019. Et une fois de plus, c’est le jeu démocratique qui a fait les frais de réformes initiées par des dirigeants. Quelques exemples.
[Rétro 2019] Afrique : la démocratie à l'épreuve des réformes
Éthiopie : des réformes mal comprises ?
Abiy Ahmed sera-t-il élu aux législatives de cette année, mieux sera-t-il reconduit à son poste de Premier ministre en Éthiopie ? Oui a priori, vu l‘œuvre que le leader de 43 ans réalise dans son pays depuis son arrivée au pouvoir en avril 2018.
La normalisation des relations avec l‘Érythrée après plus de deux décennies de conflit, la médiation dans de nombreux différends inter-États et bien d’autres initiatives ont fait d’Ahmed un grand artisan de la paix dans la corne de l’Afrique.
Dans une Éthiopie fragilisée par des divisions ethniques, la privation des libertés et bien d’autres pratiques frisant l’autoritarisme, Abiy Ahmed marque les esprits. Libération des prisonniers politiques, loi sur la parité absolue, nomination d’une opposante à la tête de la commission électorale… Pour le Premier ministre, il fallait recourir à ces grands remèdes pour guérir les maux qui jusqu’ici mettaient à mal la paix dans le pays.
Seulement voilà. En concevant toutes ces réformes qui lui ont pourtant valu le prix Nobel de la Paix en octobre 2019, Abiy Ahmed n’a pas imaginé qu’un de ses anciens compagnons et frères de la région d’Oromia se mettrait en embuscade pour lui mettre les crocs en jambe.
« Je ne suis pas d’accord avec la voie qu’il suit », déclarait le 31 décembre dernier, Jawar Mohammed, fondateur du média d’opposition Oromia Media Network (OMN), alors qu’il rejoignait l’opposition tout en qualifiant Ahmed de dictateur et en promettant de le défier aux législatives qui auront lieu cette année.
Avant cette défiance dans les urnes, ces réformes ont déjà été à la base de la défiance dans la violence. Ainsi qu’en témoigne la mort en octobre dernier de près de 67 personnes lors des violences nées des manifestations de partisans de Jawar Mohammed.
Il faudra donc désormais composer avec cette nouvelle donne imposée par le chef de l’OMN pour qu’Abiy Ahmed mène à bien ses réformes. Une tâche aussi difficile qu’une épreuve de funambule.
Bénin : de l’exemplarité à l’autoritarisme ?
Si l’année 2019 marque le 30e anniversaire de la chute du mur de Berlin, suscitant le discours de la Baule de Mitterrand, élément déclencheur du processus de démocratisation en Afrique, c’est bien le pionnier africain de la démocratie des années 1990 qui a focalisé toutes les attentions au cours de l’année écoulée.
Au commencement, la réforme du code électoral. Adoptée en août 2018 par l’Assemblée nationale et promulguée un mois plus tard, la loi 2018-31 portant code électoral avait modifié les conditions d‘éligibilité à différentes élections. Et là où le bât a le plus blessé, c’est au niveau de la caution.
Il faudra par exemple débourser 250 millions de francs CFA (environ 380 000 euros) pour la présidentielle, contre 15 millions auparavant, et 249 millions de francs CFA par liste présentée pour les législatives (contre 8,3 millions auparavant).
Mais auparavant, il y a eu une nouvelle charte des partis politiques destinée principalement à redéfinir ou réduire le paysage politique en deux blocs politiques : la majorité et l’opposition.
Des mesures saluées par le camp présidentiel, mais boudées par l’opposition et des observateurs qui redoutent l’exclusion de certaines formations ou acteurs politiques.
Et c’est ce qui s’est produit lors des législatives d’avril 2019, car aucun parti d’opposition ne s‘était conformé aux nouveaux critères. Conséquence : une grave crise politique qui a fait quelques décès et le départ en exil de l’ancien président Boni Yayi. Ce dernier a fini par rentrer en fin décembre.
Jamais le Bénin qui incarnait l’exemplarité même en matière de la pratique de la démocratie depuis les années 1990 n’avait un offert une telle image au monde.
Guinée : le « Mandela de l’Afrique de l’Ouest » sur le chemin de la dictature ?
« Je vous garantis que seule la volonté du peuple sera la décision finale qui s’imposera à nous tous ». Ainsi parlait le président guinéen Alpha Condé le 31 décembre dernier dans son message de vœux de nouvel an à son peuple.
Et comme dans toute société démocratique, les urnes restent la meilleure manière de faire triompher la volonté du peuple. Les Guinéens devraient ainsi avoir rendez-vous avec les urnes pour approuver ou rejeter la modification de leur Constitution votée en 2010.
La mouture du nouveau texte fondamental disponible depuis décembre dernier après avis favorable des présidents de la cour constitutionnelle et de l’Assemblée nationale entend apporter des modifications majeures.
L‘éventuelle future nouvelle constitution guinéenne stipule par exemple que le mandat présidentiel devrait passer de cinq à six ans renouvelable une seule fois, comme on peut lire en son article 40.
Il y a aussi que le Premier ministre devrait cesser de n‘être responsable que devant le président de la République. Le président de la Cour constitutionnelle ne devrait plus être élu par les membres de l’institution pour être directement nommé par le chef de l‘État.
Sur le plan social, la mouture prévoit des mesures comme la gratuité de l‘éducation pour les enfants jusqu‘à 16 ans. Sans oublier l’assistance aux personnes âgées.
Pour Alpha Condé qui aime dire avoir hérité d’un pays plutôt que d’un État, ces réformes sont destinées à « moderniser » les institutions.
Argumentaire insuffisant pour persuader l’opposition et des organisations de la société civile dont la campagne « Tournons la page » qui y voient un stratagème pour M. Condé de briguer un troisième mandat consécutif. Mieux, « un coup d‘État ».
« Modifier une Constitution ou adopter une nouvelle Constitution pour se maintenir au pouvoir et empêcher l’alternance démocratique est une forfaiture, une haute trahison sévèrement condamnée par la Constitution du 7 mai 2010 et par les organisations africaines », expliquait en décembre dernier, Fodé Oussou Fofana, vice-président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), principal parti d’opposition.
Mais le « Mandela de l’Afrique de l’Ouest » (il s‘était surnommé ainsi à sa sortie de prison en 2001) s’abstient jusqu’ici de dévoiler ses intentions quant à la présidentielle de 2020.
Reste à savoir si l’actuel locataire du Palais Sékhoutouréya n’y sera pas obligé par son peuple.
Le débat sur la constitution a déjà fait des victimes humaines. En novembre 2019, plus de trois personnes ont trouvé la mort lors des manifestations de l’opposition contre la réforme constitutionnelle.