Algérie : vieilles de 16 siècles, les "pyramides" gardent de nombreux mystères

Vieilles pour certaines de plus de 16 siècles, les djeddars de Frenda, 13 “pyramides” érigées sur deux collines voisines dans le nord de l’Algérie, gardent de nombreux secrets pour les chercheurs.

Seules certitudes : ces 13 édifices de pierre à base carrée et élévation pyramidale à degrés, uniques en Algérie et au Maghreb, étaient des monuments funéraires et ont été construits entre le 4e et le 7e siècle près de Tiaret (250 km au sud-ouest d’Alger).

Les avis divergent en revanche sur ceux qui y furent inhumés – probablement des dignitaires. À l‘époque, des rois berbères régnaient dans la région sur de petites principautés dont l’histoire est mal connue et dont il reste peu de traces.

Les 13 pyramides ont été construites sur trois siècles à une époque de profonds bouleversements dans le nord de l’Algérie, qui était alors la Numidie romaine : déclin de l’Empire romain d’Occident, invasions vandales puis byzantines et début de la conquête arabe.

Ces djeddars monumentaux – jusqu‘à 18 mètres de hauteur et une base variant entre 11,5 m et 46 m de côté – sont érigés sur deux collines distantes de 6 km près de Frenda, les trois plus anciens sur le djebel (“mont”) Lakhdar et les dix autres sur le djebel Araoui.

 

Sépultures collectives

Tous renferment une ou plusieurs pièces (jusqu‘à 20 pour le plus grand) reliées par un système de galeries, dont des chambres funéraires, laissant penser à des sépultures collectives. Certaines pièces sont dotées de banquettes, de possibles lieux de culte funéraire, selon certains chercheurs.

Les linteaux de pierre des portes intérieures sont sculptés de motifs traditionnels des édifices chrétiens (rosaces, chevrons…) mais aussi de scènes de chasse ou de figures animales. Mais les inscriptions – probablement latines – sont en trop mauvais état pour être interprétées ; certains chercheurs y ont vu des lettres grecques, ce que d’autres contestent.

“La particularité des djeddars est avant tout la date de leur construction”, qui en fait les derniers monuments funéraires érigés en Algérie avant l’arrivée de l’islam et la fin de ce type de construction, relève Rachid Mahouz, archéologue algérien qui travaille depuis cinq ans à une thèse de doctorat consacrée à ces pyramides.

Leur construction est postérieure de plusieurs siècles à celle des autres imposants monuments funéraires pré-islamiques recensés dans le nord de l’Algérie : le Medracen, mausolée numide (3e siècle av. JC), le tombeau de Massinissa, premier roi de la Numidie unifiée (2e siècle av. JC) et le Mausolée royal maurétanien (dit “tombeau de la Chrétienne”, 1er siècle av. JC).

Certains chercheurs voient dans tous ces monuments des évolutions des tumulus – simples amas de pierres au-dessus d’une tombe – puis des bazinas, constructions funéraires de pierres sèches communes au Maghreb et au Sahara, vieilles de plusieurs milliers d’années.

La plus ancienne description écrite connue des djeddars est celle de l’historien Ibn Rakik, au 11e siècle, rapportée au 14e par Ibn Khaldoun, grand penseur maghrébin de l‘époque. Mais durant des siècles, ces monuments situés dans une région peu peuplée n’ont intéressé personne et ont été livrés à l’usure du temps et aux pillards.

Intérêt particulier pour des pays comme la France

Ce n’est qu’au 19e siècle, avec les premières fouilles archéologiques modernes en Algérie qui accompagnent la colonisation française entamée en 1830, que les djeddars suscitent l’intérêt de fonctionnaires et militaires français. Ils en explorent neuf à partir de 1865.

Il faut ensuite attendre les travaux de l’archéologue algérienne Fatima Kadra – décédée en 2012 : elle étudia en profondeur à la fin des années 60 les trois djeddars les plus anciens et les seuls fouillés depuis l’indépendance de l’Algérie, permettant ainsi d’améliorer considérablement leur connaissance.

Le pillage et la détérioration des djeddars au fil du temps compliquent la tâche des chercheurs. Certains, effondrés, n’ont jamais été fouillés, faute de pouvoir accéder à l’intérieur, et pourraient encore renfermer des restes, estime l’archéologue Rachid Mahouz.

“Les archives françaises sur les djeddars ne sont pas disponibles et les objets et ossements trouvés dans certains à l‘époque coloniale ont été emportés en France”, regrette-t-il.

Enfant de la région, il déplore le manque de recherches consacrées à ces “merveilles”, alors que l’archéologie n’a commencé à être enseignée qu’au début des années 1980 à l’université algérienne, sans qu’aucun spécialiste en monuments funéraires ne soit formé.

Les djeddars figurent au patrimoine national algérien depuis 1969. Les autorités et archéologues du pays souhaitent les faire inscrire sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco, ce qui permettrait de mieux les préserver et les étudier. Le Centre national pour la recherche préhistorique, anthropologique et historique (CNRPAH) prépare depuis plus d’un an le dossier à soumettre à l’Unesco, une procédure complexe. Il doit être “déposé durant le premier trimestre de l’année 2020”, a indiqué le ministère algérien de la Culture.

En attendant, recherches et efforts de conservation se poursuivent. À Frenda, une vingtaine d‘étudiants en archéologie et leurs professeurs s’affairent autour d’un des plus anciens djeddars ils relèvent et répertorient les dégradations, nettoient, à la brosse et à l’eau, les symboles gravés sur certaines pierres ensuite mesurées. Une opération minutieuse qui peut prendre deux heures pour chaque inscription.

Pour Mustapha Dorbane, professeur à l’Institut d’archéologie d’Alger, il est important de préserver ce patrimoine, “un legs ancestral d’une valeur inestimable”.

AFP

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