Les villes africaines se développent rapidement, certaines plus vite que d’autres. Le problème c’est que ces villes sont obsédées par un développement calqué sur le modèle occidental qui n’est pas toujours adapté aux réalités locales.
Mariam Kamara, l'entrepreneure qui veut promouvoir l'architecture locale africaine
Mariam Kamara fait partie de la jeune génération d’architectes africains qui oeuvrent pour un renouveau architectural sur le continent. Après des études aux Etats-Unis, elle est rentrée au Niger où elle a créé un projet-pilote : Niamey 2000. Des logements abordables construits avec des matériaux locaux. Son cabinet d’architecture Atelier Masomi se focalise sur l’architecture locale.
Avez-vous rencontré des difficultés dans votre démarche de promouvoir une architecture locale ?
Au début les difficultés auxquelles je m’attendais étaient du point de vue des compétences. Mais j’ai trouvé que c’était la partie la plus simple. Nous avons des entrepreneurs et des ingénieurs qualifiés.
Ce qui est plus délicat, c’est du point de vue de la main d’œuvre. On est en train de faire une architecture souvent (dans le cas du Niger, le matériau local est de la terre) ou il faut réaliser des techniques qui sont maintenant oubliées ou introduire des nouvelles techniques liées à l’architecture en terre qui ne sont pas connues.
Malheureusement notre main d’oeuvre est beaucoup plus focalisée sur l’apprentissage des techniques occidentales, ou des matériaux qui se font en Occident (comme le ciment ou le béton).
Cette vision d’une architecture contemporaine africaine a t-elle été difficile à faire accepter sur place ?
Au début cette idée amusait plus qu’autre chose. Au bout de 2 ou 3 projets on a réussi à convaincre. Du coup je me suis vite rendue compte qu’il fallait montrer concrètement ce que ça voulait dire.
Car on parle beaucoup d’architecture contemporaine africaine, adaptée aux besoins. Mais on ne produit pas assez d’exemples. Et ce sont les exemples qui ont réussi à convaincre.
Au lieu de copier ce qui se fait en Europe, il faudrait se focaliser sur comment les espaces sont agencés pour servir notre manière culturelle d’avoir des relations les uns avec les autres, des relations de travail ou amicales, etc. Et d’utiliser ces matériaux locaux-là mais de façon high tech.
Quels étaient les préjugés auxquels vous avez fait face ?
Pour le cas du Niger, on a des à priori par rapport à tout ce qui est matériau en terre, on estime que c’est le matériau du pauvre. Il fallait qu’on montre que c’est un bon produit et qu’il est résistant. Les gens pensent qu’une maison ou un bâtiment construits en terre ne peuvent pas durer et sont voués à s’effondrer. Mais au Niger, on a la chance d’avoir des exemples de bâtiments et des maisons qui sont là depuis 300 ou 400 ans. Ils sont très bien conservés. On a des maisons familiales dans certaines villes qui sont très bien conservées et qui en sont à la 8è ou la 9è génération. C’est un exemple concret. Il faut le rappeler aux gens pour se débarrasser de ces préjugés.
Quels sont les avantages de faire une architecture locale ?
Il ne s’agit pas en tant que soi de forcément introduire un savoir-faire traditionnel, mais de faire ce qui a plus de sens. Dans des pays en développement qui ont du mal à tenir économiquement, ce qui a plus de sens, c’est de faire une architecture responsable. Elle doit être responsable de plusieurs manières. En utilisant des matériaux locaux, on arrive à produire une architecture qui est abordable. Au lieu de passer 10 ans à économiser pour construire une maison, on pourrait le faire en un temps moins long avec des matériaux locaux. Et ces matériaux sont adaptés au climat. Quand je prends l’exemple du Niger où les températures atteignent souvent 45 degrés, il est quelque part irresponsable de construire avec des matériaux comme le métal ou le ciment qui emprisonnent la chaleur. En conséquence à l’intérieur des bâtiments, il fait encore plus chaud qu’à l’extérieur. Le fait qu’on copie l’architecture occidentale et les matériaux occidentaux n’est pas raisonnable pour nos réalités et pour nos climats.
Une telle architecture est-elle possible dans des grandes villes comme Lagos ou Kinshasa ?
Bien sûr, pourquoi pas ? Historiquement, on avait des villes très denses et peuplées et qui utilisaient des matériaux locaux comme le bois.
Il faut que les choses aient un sens, on ne peut pas appliquer ce qu’on a vu ailleurs. Dans une ville comme Lagos, construire une tour de 50 étages est un peu inévitable. On n’a pas vraiment le choix, il faut faire appel à certains matériaux. Mais dans une ville ce genre d’immeubles sont plus l’exception que la règle. Donc, pour la majorité des autres bâtiments, on peut faire des espaces réfléchis et durables économiquement et culturellement. Comment ils sont agencés, comment est-ce qu’ils réfléchissent à la culture dans laquelle ils sont, comment est-ce qu’ils l’accompagnent au lieu de la détruire comme c’est souvent le cas.
Y a-t-il un pays africain qui en la matière pourrait inspirer les autres ?
Je ne dirais pas qu’il y ait un pays spécifiquement, mais je pense qu’il y a toute une nouvelle génération d’architectes qui commencent à prendre ces problèmes au sérieux et dont on pourrait s’inspirer. Il y a par exemple Francis Kéré du Burkina Faso qui a fait beaucoup du point de vue architecture locale, mais dans l’innovation. C’est quelqu’un qui innove constamment en utilisant les matériaux locaux quelque soit l’endroit où se trouvent ses projets. Il y en a beaucoup d’autres comme Kunlé Adeyemi du Nigeria. Donc, je pense qu’il y a un mouvement qui est en train de se créer et qui j’espère va durer ou les architectes africains se rendent comptent à quel point nous aussi on a beaucoup de choses à offrir dans nos propres pays. Ils essayent vraiment de faire avancer cette architecture contemporaine.