La junte au pouvoir à Bamako a réjoui une partie des Maliens en demandant avec fracas le départ de la mission de l'ONU, mais a aussi suscité l'inquiétude devant ce nouveau saut dans l'inconnu pour les populations d'un pays dans la tourmente.
Les autorités maliennes demandent le départ de la MINUSMA
A Bamako, Ladji Diallo fait partie de ces Maliens auxquels parle le constat d'"échec" de la mission dressé par les autorités.
"La présence de la Minusma n’a servi à rien. Elle est là depuis 10 ans sans résultat. Son arrivée a d’ailleurs fait empirer la situation", déclare-t-il aux correspondants de l'AFP, exprimant le sentiment d'un certain nombre de compatriotes éprouvés par la propagation jihadiste, la persistance des violences et une profonde crise multiforme, politique, économique, humanitaire.
Dans le tumulte sans issue apparente auquel le pays est en proie depuis 2012, la junte qui a pris les commandes par la force en 2020 a accompli vendredi un nouvel acte retentissant de rupture avec une partie de la communauté internationale en demandant le "retrait sans délai" de la Minusma, acteur important et contesté.
Devant le Conseil de sécurité, le chef de la diplomatie Abdoulaye Diop a décrit une Minusma non seulement dépourvue du mandat adéquat, mais proférant des accusations, injustifiées selon lui, d'exactions des forces maliennes contre les civils. En dix ans de Minusma, la situation sécuritaire s'est dégradée, a-t-il affirmé.
Un autre Bamakois, Mohamed Diallo, fait écho au discours du ministre: "Elle n’a rien apporté comme solution". Au contraire, elle créerait des "problèmes entre Maliens". "Puisqu’ils sont là depuis 10 ans sans résultat, pourquoi ne pas leur demander partir", tranche-t-il.
En montrant le chemin de la sortie aux Casques bleus, les autorités continuent à faire table rase des alliances passées. Elles ont rompu l'alliance avec la France, poussé ses forces dehors, et se sont tournées militairement et politiquement vers la Russie.
Les forces maliennes sont désormais capables d'assumer la sécurité "par (leurs) propres moyens", a affirmé M. Diop.
Le discours de souveraineté recouvrée qui domine désormais tous les autres ne tranquillise pas tout le monde. Le Bamakois Moussa Traoré n'est pas "contre le départ de la Minusma". Mais il s'alarme de son impact, par exemple sur ceux qui travaillent pour la mission.
"S'ils perdent leurs emplois, ils vont s’ajouter à nous autres qui nous débrouillons comme nous pouvons ou qui ne gagnons rien. Il faut une réflexion profonde autour de cette décision qui m’inquiète", dit-il.
Au cours des derniers mois, des manifestations exigeant le départ de la Minusma, d’autres réclamant son maintien, ont eu lieu dans différentes localités.
"Un trou"
Bien que critiqués pour leur supposée passivité, les contingents de Casques bleus forment un rideau de sécurité et apportent un soutien logistique dans des zones difficiles d’accès. Ils assurent une présence en bien des endroits où l'Etat n'est plus.
"La Minusma assurait une logistique sur les villes, elle permettait de desserrer l’étau et d’éviter la situation que connaissent les localités du nord Burkina Faso, qui sont en état de siège ", explique Jean Hervé Jezequel, directeur du Projet Sahel de l'organisation de résolution des conflits Crisis Group.
A Ménaka (nord-est), sous la pression de l'organisation Etat islamique, des milliers de déplacés cherchent la sécurité en s’entassant aux abords de la base de l’ONU.
"Dans beaucoup de localités, l’armée malienne est cantonnée dans le camp de la Minusma. Le risque existe que les jihadistes puissent s’emparer de ces localités", s’inquiète Mohamed Elmaouloud Ramadan, porte-parole du Cadre stratégique permanent, une coalition de mouvements politiques et militaires du nord.
Autre motif d'alarme: l'avenir de l’accord de paix de 2015 qui lie le gouvernement et d'anciens mouvements rebelles du nord. L'application en est jugée cruciale, mais elle est poussive. Sans être la principale médiatrice, la Minusma joue "un rôle important dans la mise en œuvre de cet accord déjà bien mal en point. Le départ de la Minusma est un verrou de plus qui saute", dit M. Jezequel.
Dans les villes du nord, un départ de la mission menace de grever l’économie locale, ravagée par le conflit.
"La Minusma représente des centaines voire des milliers d’emplois. D’un point de vue économique, cela va créer un trou que rien ne semble pouvoir combler dans l’immédiat ", assure M. Jezequel.
Elle "joue un grand rôle dans le développement et l’aide humanitaire. L’Etat n’est pas encore revenu, et c’est en grande partie la Minusma qui prend en charge les populations", estime Mohamed Elmaouloud Ramadan.
Un retrait de la Minusma pourrait prendre des mois. L'impact de la décision malienne pourrait prendre du temps.
"Quand (la force française) Barkhane a quitté le Mali, les pessimistes annonçaient l’effondrement du Mali dans l’année, ce n’est pas ce qui s'est passé", tempère M. Jezequel.