Le Zimbabwe a adopté une loi dite "patriotique" criminalisant toute "atteinte à la souveraineté et à l'intérêt national": un texte "terrible" et aux contours flous, dénoncent opposition et ONG, qui craignent des dérives liberticides moins de trois mois avant les élections générales.
Zimbabwe : les libertés menacées par une nouvelle loi
Le texte a été adopté dans la nuit de mercredi à jeudi à une majorité écrasante de 99 députés du Zanu-PF, le parti au pouvoir depuis l'indépendance en 1980, et en dépit des vives protestations de députés de l'opposition qui dénoncent une loi menaçant notamment les libertés d'expression, de réunion, d'association et les droits civiques.
Le même jour, le pouvoir avait annoncé la date des élections présidentielle et législatives, finalement arrêtée au 23 août, après des mois de tergiversations.
Défendant au Parlement une loi "honorable et nourrie de bonnes intentions", le député de la majorité Joseph Chinotimba a tenté de convaincre les réfractaires que "ce projet de loi ne vise pas à réduire l'existence des partis politiques, mais à encourager les Zimbabwéens à aimer leur pays et cesser de le dénoncer".
Le texte doit encore passer devant le Sénat avant d'être promulgué par le président Emmerson Mnangagwa mais il n'y a guère de suspens. "Le Sénat a l'habitude d'approuver des projets de loi en une heure", a souligné Musa Kika, directeur du Forum des ONG de défense des droits de l'homme au Zimbabwe.
Une loi "draconienne", selon lui, et "terrible, terriblement mauvaise, inconstitutionnelle".
"Un jour très triste", a réagi le journaliste militant Hopewell Chin'ono, très suivi sur les réseaux sociaux, féroce critique du gouvernement et de sa corruption. Il a déjà été en prison plusieurs fois suite à des tweets critiquant le pouvoir. "La liberté d'expression est désormais morte".
Inquiétudes autour des élections
Le député d'opposition, Temba Mliswa, qui s'est opposé au projet de loi, a amèrement reconnu la défaite: "Que l'histoire retienne que je n'ai pris aucune part à cette agitation et à ce cirque".
En février, le gouvernement avait déjà adopté une loi controversée muselant les ONG, les plaçant sous un contrôle strict et la menace de sanctions sévères allant jusqu'à la prison.
Surnommé "le crocodile" pour son côté impitoyable, Emmerson Mnangagwa, 80 ans, est de plus en plus accusé de réprimer les libertés et museler toute voix dissidente.
Il est candidat à sa propre succession en août. Il sera opposé au chef de l'opposition Nelson Chamisa, avocat et pasteur de 45 ans, à la tête de la Coalition de citoyens pour le changement (CCC).
Le "Triple C", comme le surnomme la rue, dénonce depuis des mois des abus: réunions déclarées illégales, arrestations d'opposants.
Selon le porte-parole du parti, Ostallos Siziba, la visée de cette nouvelle loi est claire: "Ils criminalisent toute idée divergente allant à l'encontre du Zanu-PF et contre Mnangagwa".
"Ils veulent avec cette loi tenter de semer la peur dans le cœur des électeurs, dans le cœur de l'opposition, en utilisant cette mauvaise loi qui arrive à la veille d'une élection", renchérit Njabulo Ncube, coordinateur du forum des éditeurs zimbabwéens.
De nombreuses irrégularités sur les listes électorales ont par ailleurs été dénoncées, laissant planer le doute sur la tenue d'élections justes.
M. Mnangagwa avait succédé en 2017 à Robert Mugabe, héros de l'indépendance resté 37 ans au pouvoir, à la faveur d'un coup d'Etat. Il avait ensuite été élu président l'année suivante, l'emportant de justesse (50,8%) à l'issue d'un scrutin marqué par des violences.
L'armée avait ouvert le feu dans la capitale Harare sur des manifestants criant à la fraude. Au moins six personnes avaient été tuées. Nelson Chamisa avait contesté l'élection mais la Cour constitutionnelle avait rejeté son recours.
Le Zimbabwe, plongé dans une profonde crise économique depuis une vingtaine d'années, est classé 157e sur 180 par Transparency International pour son niveau de corruption.