Depuis un camp de fortune en contrebas d'une route de la région Afar, Abdu Robso, éleveur déplacé par la guerre dans le nord de l'Ethiopie, regarde, la faim au ventre, les camions d'aide alimentaire monter sans s'arrêter vers le Tigré, source de ses malheurs.
Aide alimentaire : des Afar se disent négligés au profit du Tigré
"Pourquoi toute cette nourriture va au Tigré et ne nous nourrit pas ?" s'interroge ce quinquagénaire coiffé d'un kofia, au visage émacié orné d'une barbiche blanche, montrant quelque 350 camions blancs du Programme alimentaire mondial (PAM) qui serpentent lentement.
L'axe relie Djibouti - où débarque l'aide internationale - au Tigré, région où a éclaté en novembre 2020 un conflit entre les autorités rebelles du Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF) et le gouvernement fédéral éthiopien. Coupée du reste du pays, la région est au bord de la famine.
Comme des dizaines d'hommes, femmes et enfants originaires d'Abala, ville frontalière du Tigré, Abdu Robso survit avec presque rien à Erebti, localité à une soixantaine de km de chez lui, par plus de 40°C, à l'abri de bâches tendues sous des arbres.
La dizaine de milliers d'habitants d'Abala a fui en toute hâte une nuit de janvier quand les forces tigréennes l'ont bombardée depuis les hauteurs et envahi le nord de l'Afar.
Des jours de marche puis des heures en camion ont conduit Abdu Robso, son épouse et plusieurs de ses 22 enfants dans un camp de déplacés à des centaines de kilomètres de là.
Mais depuis que le TPLF a évacué l'Afar fin avril, les autorités de la région enjoignent les déplacés à rentrer, promettant de l'aide. "Nous avons accepté et nous voilà ici sans rien", constate Abdu Robso.
"Les Afar meurent de faim"
En fin de matinée, rien ne cuit sur les foyers du camp restés éteints. Les plus faibles dorment. Les enfants mangent quelques fruits cueillis dans les arbres.
"Les camions acheminant l'aide au Tigré passent ici. Et nous ? Qu'avons-nous fait de mal ? Pourquoi aucune aide n'arrive ici ? Nous aussi nous avons faim", s'insurge Aldim Abdela, berger de 28 ans.
"La raison, c'est que le Tigré a des dirigeants forts et pas nous", croit savoir Moustapha Ali Boko, 45 ans, qui "ressent une discrimination immense de la part de la communauté internationale".
Selon lui, le TPLF sait mobiliser la forte diaspora tigréenne et les réseaux tissés dans la diplomatie internationale durant les 27 ans que le parti a gouverné l'Ethiopie.
Le directeur du PAM en Ethiopie, Claude Jibidar, l'assure: en plus du Tigré, "le PAM a toujours distribué de la nourriture en Afar (...) on en parle moins, mais cela continue".
Pourtant, à Erebti "certains dorment le ventre vide" et "il n'y a pas de médicaments", souligne Moustapha Ali Boko: "On n'a rien reçu des autorités, seulement de l'Apda", une ONG locale.
Pour une des responsables de cette organisation, Valerie Browning, qui critique l'action du PAM dans la région tout en admettant une récente amélioration, "les Afar n'ont jamais été pris en compte dans les calculs de personne, ni du gouvernement d'Ethiopie, ni du monde".
"Aucun Afar ne veut que les Tigréens meurent de faim, c'est évident. Mais d'un autre côté, le monde, les Tigréens et le gouvernement d'Ethiopie ne devraient pas vouloir que les Afar meurent de faim (...) et malheureusement c'est ce qui se passe".
Charançons
Cette infirmière australienne dit "n'avoir jamais vu de problèmes aussi extrêmes" dans cette région où elle vit depuis 33 ans, où "la situation humanitaire est au-delà de la crise", une sécheresse inédite s'ajoutant aux conséquences de la guerre.
Fin juillet, l'ONU faisait état de "taux d'insécurité alimentaire et de malnutrition particulièrement alarmants" en Afar, notamment chez les déplacés.
Mais comment rentrer chez soi quand il n'y a plus rien ?
Moustapha Ali Boko et Abdu Robso reviennent d'Abala. "Nos maisons sont détruites et notre bétail a disparu", explique le premier. "Toute la ville a été pillée", rentrer "c'est impossible", renchérit le second.
Abala est une ville fantôme enveloppée d'un silence macabre, ont constaté des journalistes de l'AFP. Les commerces sont tous totalement vides. Ce qui n'a pas été emporté jonche la rue principale.
L'hôpital est dévasté. Appareils de réanimation, de radiologie, couveuses et lits dépérissent à l'extérieur. Fenêtres, portes, matériel ont été détruits, les matelas emportés. La réserve a été pillée, le générateur mis en pièces.
Seule une dizaine de familles vivent en ville. Dont celle d'Ali Mohammed. Sa fille blessée lors des combats, il n'a pas pu fuir très loin et il a retrouvé sa maison où les rebelles "ont pris beaucoup de choses".
"Les conditions sont très dures. La farine est pleine de charançons, nous tamisons, mais (...) elle a un goût aigre. Nous n'avons ni huile ni oignons, nous mangeons du berbéré (mélange local d'épices) mélangé à de l'eau", détaille ce fermier de 45 ans.
"Je n'ai aucune raison d'aller ailleurs, c'est ici chez moi", lance-t-il, mais "il n'y a pas de médicaments, pas d'eau, nous buvons l'eau de la rivière et nous tombons malades".
Comptant sur l'aide promise par le gouvernement, il souhaite que les autres habitants rentrent car "ici, nous vivons avec les singes et les chiens errants".