La Libye s'est retrouvée mardi avec deux gouvernements rivaux après que le Parlement a approuvé un nouvel exécutif dirigé par l'ex-ministre de l'Intérieur Fathi Bachagha, défiant le cabinet en place qui refuse de céder le pouvoir avant la tenue d'élections.
La Libye se retrouve avec deux Premiers ministres rivaux
Lors d'un vote susceptible d’exacerber les tensions entre camps rivaux, le Parlement a approuvé l'équipe de M. Bachagha par 92 voix sur les 101 députés présents, a annoncé son président, Aguila Saleh, à l'issue d'une brève séance dans la ville de Tobrouk (est).
"Notre gouvernement a obtenu la confiance de manière claire, transparente et publique (...) lors d’un processus démocratique intègre", s’est félicité M. Bachagha lors d’un discours diffusé mardi soir.
"Je ne suis pas venu régler des comptes (...) mais pour construire la patrie. Nous tendons la main à tous, même à nos opposants" a-t-il ajouté.
Il a proclamé son intention de prendre ses fonctions dans la capitale Tripoli "pacifiquement et en toute sécurité" en coordination "avec les organes sécuritaires et armés".
La passation de pouvoir se déroulera "sans accroc", a-t-il assuré.
Le vote au Parlement sur la liste gouvernementale composée de 29 ministres, trois vice-premiers ministres et 6 ministres d'Etat, a eu lieu à main levée sous les ordres de M. Saleh, un cacique de l'Est libyen dont les détracteurs accusent d'avoir fait peu de cas des règles pour faire approuver le nouveau gouvernement.
Bien que pléthorique, le nouveau gouvernement compte deux femmes seulement. Sa prestation de serment devant le Parlement est prévue jeudi.
- "Futilités" -
Le gouvernement en place à Tripoli, dirigé par l'homme d'Affaires Abdelhamid Dbeibah, a immédiatement dénoncé dans un communiqué une "fraude évidente dans le décompte des voix" et affirmé que "le quorum nécessaire pour accorder la confiance n'a pas été atteint".
"Le gouvernement d'unité nationale affirme qu'il poursuivra son action et ne tiendra pas compte de ces futilités", a ajouté le communiqué.
Dans un deuxième communiqué, il a averti qu'il "considérera toute tentative d’intrusion dans ses bâtiments comme une agression contre le siège du gouvernement (...) et qu'il ripostera contre de tels actes conformément à la loi".
Déjà minée par les divisions entre institutions concurrentes à l'Est et à l'Ouest, la Libye se retrouve de fait avec deux gouvernements rivaux, comme elle l'a été entre 2014 et 2021 en pleine guerre civile.
Le 10 février, le Parlement avait désigné M. Bachagha pour remplacer M. Dbeibah. Or, ce dernier a répété à l'envi qu'il ne cèdera le pouvoir qu'à un exécutif sorti des urnes, faisant craindre une reprise des hostilités après une relative accalmie depuis fin 2020.
"L'éventualité de la reprise d'un conflit est réelle, même s'il pourrait aller crescendo plutôt que d'éclater immédiatement", a commenté sur Twitter Wolfram Lacher, expert de la Libye à l'Institut allemand SWP.
"Et voilà la Libye de retour à la case départ avec un gouvernement d'Unité nationale à Tripoli sous Dbeibah dont la légitimité est au mieux discutable, et un autre gouvernement + de Stabilité nationale + approuvé sous la contrainte par le Parlement dans l'est", a réagi pour sa part Emadeddin Badi, chercheur au centre de réflexion Global Initiative.
Après des années de guerre et de divisions, M. Dbeibah avait été désigné il y a un an, dans le cadre d'un processus de paix parrainé par l'ONU, à la tête d'un gouvernement intérimaire pour mener la transition en organisant des élections présidentielle et législatives.
- Rapprochement avec Haftar -
Mais des querelles persistantes ont entraîné le report, sine die, du double scrutin sur lequel la communauté internationale fondait de grands espoirs pour enfin mettre fin au chaos qui ravage le pays depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011.
M. Dbeibah a annoncé la semaine dernière vouloir organiser des élections législatives avant fin juin.
M. Bachagha, 59 ans, s'est fait connaître du grand public durant son passage à la tête du ministère de l'Intérieur de 2018 à début 2021.
En décembre, alors qu'un report de l'élection se profilait, celui qui était candidat à la présidentielle s'était rapproché du camp rival en se rendant à Benghazi, où il avait rencontré le maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l'Est, au nom de la réconciliation nationale.