Le Parlement libyen a voté mardi une motion de censure contre le gouvernement du Premier ministre Abdelhamid Dbeibah, aggravant les tensions entre camps rivaux et prenant le risque de torpiller les élections de décembre, cruciales pour l'avenir du pays.
Libye : le Parlement vote une motion de censure contre le gouvernement
Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est en proie à des violences et à des luttes entre pouvoirs rivaux dans l'est et l'ouest du pays.
Moins de deux semaines après la ratification d'une loi électorale controversée favorisant l'homme fort de l'Est, Khalifa Haftar, au grand dam des autorités de Tripoli (ouest), la motion de censure contre le gouvernement de transition siégeant dans la capitale a été votée par 89 députés sur les 113 présents, a annoncé le Parlement.
Cette démarche a été accueillie "avec inquiétude" par la Mission d'appui des Nations unies en Libye (Manul). "La tenue des élections présidentielles et parlementaires le 24 décembre 2021 doit rester l'objectif primordial", a martelé l'ONU dans un communiqué.
Surtout, la mission onusienne "confirme" que l'exécutif actuel "reste le gouvernement légitime jusqu'à ce qu'il soit remplacé par un autre gouvernement dans le cadre d'un processus ordonné après les élections".
Après l'embellie du début d'année et l'avènement d'un nouveau gouvernement d'union, la Libye replonge ainsi dans l'incertitude, rendant la tenue des élections très hypothétique.
"Mascarade"
Le vote a eu lieu au cours d'une séance à huis clos en présence du président du Parlement Aguila Saleh, un cacique de l'Est libyen et allié de poids du maréchal Haftar.
"Je réaffirme notre détermination à poursuivre ce que nous avons commencé", a réagi le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah depuis la ville de Zawia (ouest).
Il s'est ensuite rendu à la Place des Martyrs, au coeur de Tripoli, où il s'est offert un bain de foule au milieu de dizaines de ses soutiens rassemblés sur la vaste esplanade.
Il a salué les députés "honorables qui ont rejeté cette mascarade", en référence à la motion de censure. Et sous les cris des manifestants appelant à la "chute du Parlement", le Premier ministre a répondu qu'"avec l'aide de Dieu, il tombera". M. Dbeibah a également appelé ses partisans à un "grand rassemblement" vendredi au même endroit.
Le Haut Conseil d'Etat libyen (HCE), instance faisant office de Sénat à Tripoli, a lui jugé la "procédure" de censure comme "nulle".
"Notre objectif, c'est la tenue de ces élections. Nous ne souhaitons pas donner autant d’importance à tout ce qui peut entraver cet objectif", a déclaré le président du HCE, Khaled el-Mechri, en visite à Rabat.
"Escalade majeure"
En dépit du vote de la motion de censure, le cabinet actuel ne sera pas remplacé mais devient un "gouvernement chargé d'expédier les affaires courantes", selon le porte-parole du Parlement.
Le chercheur de Libya Outlook, Mohamed Eljarh, a estimé sur Twitter que le vote du Parlement constituait "une escalade majeure" susceptible de "renforcer la confusion et l'incertitude" au moment où le pays se trouve à "un tournant critique".
Après la fin des combats entre camps rivaux à l'été 2020, un gouvernement unifié et transitoire dirigé par M. Dbeibah a été formé en mars pour mener la transition.
La formation de ce nouveau cabinet au terme d'un processus politique parrainé par l'ONU avait offert une lueur d'espoir.
Surmontant les années de guerre, le gouvernement d'Abdelhamid Dbeibah avait obtenu en mars le vote de confiance au Parlement et pu prendre ses fonctions sans heurts.
Au côté d'un Conseil présidentiel de trois membres, il avait été chargé d'unifier les institutions, de sortir le pays d'un conflit internationalisé et de mener à bien la transition.
Mais depuis, le Parlement n'a jamais organisé de vote sur le budget du gouvernement, tandis que les divisions ont rapidement refait surface.
Dernier épisode en date, la ratification le 9 septembre d'une loi électorale manifestement taillée sur mesure pour Khalifa Haftar.
Signé par le chef du Parlement sans être soumis à un vote, le texte a été accueilli par un déluge de critiques de députés et d'autres instances écartées du processus législatif.
L'article qui concentre les critiques stipule qu'un militaire peut se présenter à la présidentielle, à condition d'abandonner "ses fonctions trois mois avant le scrutin." Et, "s'il n'est pas élu, il pourra retrouver son poste et recevoir ses arriérés de salaire".