Les émirats arabes unis sont un pôle créatif. Pendant la pandémie de Covid 19, le pays a aidé le milieu culturel avec quelque 140 subventions distribuées aux artistes ou aux entreprises du secteur de la création. L’année dernière les Emirats arabe Unis ont siégé au conseil exécutif de l’UNESCO et la ministre de la Culture reste engagée dans son soutien aux artistes et aux entrepreneurs du domaine de la création. Pour en savoir plus sur la stratégie de valorisation de la culture au temps du Covid, Inspire Middle East a rencontré Noura Al Kaabi, la ministre émiratie de la Jeunesse et des Sports.
Covid 19 : "la Culture n'est jamais suspendue"
Daleen Hassan : Les théâtres et les cinémas sont vides et les artistes se battent pour trouver des financements. La culture est-elle suspendue jusqu’à ce que l’économie reprenne ?
Noura Al Kaabi : La culture n’est jamais sur pause. Et je crois que la pandémie en est la preuve. Il y a une lutte et des défis ; pas seulement dans le milieu culturel et celui de la création, mais dans tous les secteurs anciens qui demandent de l’accessibilité. Il y a des défis pour les petites entreprises, les personnes en freelance, et les gens qui ont besoin de nous en tant que ministère. Et nous devons atténuer ces défis et maintenir le progrès
DH : A quoi ressemble la scène culturelle post-Covid ?
Noura Al Kaabi : On va reconstruire les choses d’une meilleure manière. En regardant les avantages de partager les contenus, le travail des artistes transcendé au-delà d’une galerie. Voyons comment à l’avenir on peut utiliser la plateforme digitale et la rendre accessible à tous. N’est-ce pas le rôle de la culture de la rendre accessible à tous, pas seulement à ceux qui ont la chance de pouvoir voyager. Et je crois qu’on devrait travailler sur une façon d’allier les deux ? Comment peut-on travailler en ce sens ?
DH : Comme vous le savez avec le digital, davantage de jeunes artistes partagent leur travail en ligne, comment pouvez-vous protéger la propriété intellectuelle ?
Noura Al Kaabi : On prend ça très au sérieux en travaillant avec le Ministère de l’économie. En ce moment nous, nous travaillons sur la protection de la propriété intellectuelle numérique et c’est une discussion mondiale à cause de la pandémie. Et je crois que le web nous oblige à intégrer certaines politiques. La première d’entre elle doit protéger les artistes. Nous devons également sensibiliser davantage à la manière de protéger leurs œuvres d’art et à ce que cette politique impliquera. Cela encouragera les artistes à davantage partager leur travail. C’est un secteur crucial, qui parle d’avenir et un secteur très dynamique.
DH : Comment l’industrie créative contribue-t-elle à l'économie en général ?
Noura Al Kaabi : C’est un secteur lié à une licence. Cette licence est commerciale donc c’est un environnement commercial. Il y a des créations d’emplois. Donc il faut avoir des mesures adaptées et avoir identifié le type d’emplois que ce secteur peut fournir. Il y a aussi des événements, des institutions, et il y a les milliers d’agences de presse et créatives aux Emirats. Cela nous oblige à regarder de près ce secteur, à le comparer, à connaître son importance d’un point de vue numérique.
DH : En tant que membre actif de l’UNESCO, que pensez-vous de la modification des sites historiques et des musées préservés comme le cas récent de Hagia Sofia (l’ex-basilique Sainte-Sophie) à Istanbul, l’ancien musée transformé en mosquée ?
Noura Al Kaabi : Je me souviens avoir visité Hagia Sofia. Et je me souviens d’elle comme un musée, comme un témoignage pour tous, pour différentes cultures de différents horizons, différentes croyances.
Maintenant s’il est question de l’utiliser pour favoriser un agenda politique ou une idéologie qui porte atteinte à la culture… alors cela veut dire qu’il y a du désaccord, un échec de la coexistence, cela remet en cause l’objectif d’avoir inscrit un site inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO et cela limite son accessibilité en faisant passer un agenda politique au premier plan. Je pense que c'est ce qui se passe avec les destructions en Syrie ou en Irak. Je suis favorable à un statut plus ouvert, plus mondial, plus accueillant.... un lieu d'apprentissage, d'éducation, de respect de chacun et de son passé.
DH : Restons dans le domaine des échanges culturels avec des liens forts entre les Emirats et Israël grâce aux accords d’Abraham, comment leur impact peut-il se refléter dans la vie quotidienne et l’état d’esprit général des habitants des Emirats Arabes Unis et d’Israël ?
Noura Al Kaabi : La culture est le pont entre les deux comme n’importe quelle autre chose. On voit des Emiraties qui parlent l’hébreu et de manière très fluide. Certains savent ce qu’est la nourriture kasher. On voit des chansons. Et certaines sont enregistrées en vidéos au moment où l’on se parle. J’aimerais qu’on regarde notre perception de la littérature israélienne. Et comment ils voient la littérature arabe. Regardons les 50 prochaines années, pour les enfants d’aujourd’hui… je veux simplement qu’ils voient autre chose que ce que nous voyons dans nos journaux ou ce à quoi nous étions habitués, ce qu’on nous a enseigné à l’école. C’est mon rêve.
"Rendre belle la langue arabe"
On dit que la musique est une langue universelle. En Jordanie, la mode est au reprise de grands tubes internationaux en langue arabe. C’est ce que font les musiciens jordaniens du studio Kalamesque. Ayyoub Tam est fasciné par les langues. Lui-même en parle sept mais c’est son amour pour sa langue maternelle qui l’a incité à monter ce projet. Même s’il y a plus de 420 millions d’arabophones dans le monde, il est convaincu que l’utilisation de cette langue dans la musique pop est en baisse.
"Ce que nous essayons de faire avec Kalamesque c’est de rendre belle la langue arabe aux yeux de ceux qui n’ont pas encore eu la chance de l’apprécier", explique Ayyoub Tams, le fondateur de Kalamesque. En 2016, le studio a sorti son premier single Ahwak, une version traduite de la chanson de Beyoncé “Crazy in Love”. La chanson est vite devenue virale avec plus de 5.6 millions de vues sur YouTube.
Ayyoub travaille avec des chanteurs locaux, il a traduit et produit plus de 20 disques d’artistes comme Selena Gomez, the Backstreet Boys et Sam Smith. Bien qu’il ait attiré une base locale de fans, trouver des financements pour son projet n’a pas été facile.
La naï, un héritage cutturel
Protéger le patrimoine culturel jordanien est souvent l’oeuvre d’individus passionnés. Dans un tout autre style, le groupe Bait al Nai met tout en œuvre pour éviter que la flûte traditionnelle ne tombe dans l’oubli. Si vous écoutez attentivement la musique d’artistes connus comme Umm Kulthum et Fairuz vous pourrez l’entendre. Aujourd’hui, peu de Jordaniens savent comment on joue de la flûte classique. En 2018, 4 flûtistes ont monté le Bait al Nai dans l’espoir de faire renaître l’intérêt pour cet instrument.
"Elle est considérée comme la mère de tous les instruments à vent. Elle s’est transformée d’un instrument que j’aimais personnellement, en un héritage culturel à sauver avant qu’il ne disparaisse car il n’y a plus beaucoup de fabricants ou de joueurs de Naï. Elle a commencé à disparaître alors que c’est un pilier de la musique arabe", explique Rabee Zureikat, le fondateur de Bait Al Nai.
Le centre accueille de multiples activités… comme des cours, des spectacles… et les visiteurs peuvent même créer leur propre instrument. Après avoir lutter pour trouver un fournisseur de cette flûte bien particulière, ce professeur, a décidé de construire lui-même la sienne. Désormais il récolte le bamboo dans une ferme à l’est de la Jordanie. Il s’assure ainsi qu’il y aura toujours une flûte disponible pour ceux qui ont envie de d’apprendre. Les flûtistes espèrent qu’en apprenant aux jeunes cet instrument ancien, le fossé générationnel pourra être comblé et que les jeunes s’en inspireront dans leur musique pour établir un lien avec le passé.