Le décès inattendu du président burundais, Pierre Nkurunziza, ouvre une période d’incertitude pour son pays, qui pourrait être soumis à des luttes d’influence déstabilisatrices, et place en première ligne son successeur Évariste Ndayishimiye, confronté à de multiples défis.
Le Burundi devant une période pleine d'incertitudes après le décès de Nkurunziza
Quelles conséquences sur la stabilité du régime ?
En poste depuis 2005, Pierre Nkurunziza avait été élevé au rang de “Visionnaire” et de “guide suprême du patriotisme”, deux termes symbolisant son rôle central dans le système mis en place par le parti au pouvoir, le CNDD-FDD.
Sa disparition a suscité la stupéfaction et l’inquiétude dans ce pays fragilisé par des décennies de tensions ethniques et une longue guerre civile (300 000 morts entre 1993 et 2006).
Mais il n’exerçait pas seul le pouvoir et devait composer avec un petit groupe de généraux très puissants, issus comme lui de la rébellion hutu. “Certains d’entre eux pourraient profiter peut-être de ce vide pour reprendre un peu plus de pouvoir”, n’exclut pas Carina Tertsakian, de l’Initiative pour les droits humains au Burundi.
“Il y aura des gens qui ont perdu leur patron. D’autres qui verront peut-être une opportunité pour avancer leurs pions”, approuve Richard Moncrieff, expert pour l’International Crisis Group (ICG).
Marge de manœuvre accrue pour son successeur ?
Après avoir décidé de ne pas se représenter, Pierre Nkurunziza penchait pour lui succéder pour le président de l’Assemblée nationale, Pascal Nyabenda.
Les généraux l’ont convaincu de lui préférer un militaire, Évariste Ndayishimiye, finalement élu le 20 mai. Bien que lui-même général, ce dernier ne fait pas partie du groupe des durs tenant les clés du pouvoir.
S’il avait vécu, Pierre Nkurunziza aurait probablement gardé une énorme influence et limité la marge de manœuvre de M. Ndayishimiye, réputé plus tolérant.
_Le général Evariste Ndayishimiye en compagnie du
Pierre Nkurunziza lors d’un rassemblement politique du parti du régime, le CNDD-FDD_
“En principe c’est une opportunité pour lui de s‘émanciper”, avance M. Moncrieff. Mais Mme Tertsakian considère que le nouveau président pourrait tout aussi bien n’avoir “pas le pouvoir ou la force de s’imposer” face aux généraux, dont “certains ont beaucoup de sang sur les mains”.
S’il veut “introduire des réformes, améliorer la situation des droits humains, mettre fin à la violence politique (...), il risque de se heurter à des obstacles, à des réticences de la part de ces généraux qui ont intérêt à se protéger”, souligne-t-elle.
Le processus constitutionnel de transition est-il menacé ?
“Si ça s‘était passé avant les élections, ça aurait été le chaos vraiment”, imagine Mme Tertsakian. Mais à présent, le processus de transition paraît bien balisé.
M. Ndayishimiye devrait être investi en août, à la fin du mandat de son prédécesseur. L’intérim pourrait être assuré par le président de l’Assemblée nationale, à moins que le pouvoir ne décide d’anticiper la prise de fonctions.
Pascal Nyabenda, président de l’Assemblée nationale du Burundi et son épouse
La mort d’un président est généralement un élément déstabilisateur, “mais il est important de souligner que ça vient dans un contexte où en fait, la voie constitutionnelle est claire et n’est pas disputée”, observe M. Moncrieff.
Pour Mme Tertsakian, les divisions internes “assez prononcées au sein du parti au pouvoir” rendent toutefois la période intérimaire “très incertaine”. Beaucoup dépendra de la capacité du futur chef de l‘État “à tenir la situation, à éviter que soit Nyabenda, soit d’autres personnalités s‘écartent de la voie constitutionnelle”, convient M. Moncrieff.
Quels défis attendent le général Ndayishimiye ?
Avec la répression qui s’est abattue depuis la crise de 2015 sur les Burundais, dont un grand nombre ont été tués, torturés ou emprisonnés arbitrairement, Pierre Nkurunziza laisse un “héritage sombre et triste”, celui d’un pays “en proie à la peur”, estime Mme Tertsakian.
Il part aussi alors que 75% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté, contre 65% en 2005.
L’experte dit espérer que M. Ndayishimiye parvienne “à remettre le pays sur une direction plus positive, à “introduire des réformes”, même si des “défis considérables” l’attendent.
Si les premières années de l‘ère Nkurunziza avaient été marquées par des progrès en termes de développement et de réconciliation, les dirigeants burundais se sont ensuite, selon elle, “isolés sur le plan international, mais aussi isolés de la population”.
“Ils n‘écoutaient plus du tout, ils semblaient complètement indifférents au sort de la population (...) Ils se sont emmurés dans une espèce d’indifférence”, constate-t-elle. Une logique dont le nouveau président devra sortir s’il veut tirer son pays vers le haut.
AFP