Selon l'humoriste Bassem Youssef, "personne ne devrait être au-dessus de la satire"

Cette semaine Inspire Middle East a rencontré l’humoriste égyptien Bassem Youssef, pour parler de la satire politique au Moyen-Orient et ailleurs. Notre reporter Salim Essaïd s’est intéressé au photojournalisme, lors de l’exposition Xposure, dans l‘émirat de Sharjah.

Ancien chirurgien devenu humoriste, Bassem Youssef est, selon le magazine Time, l’une des personnes les plus influentes du monde. Ce comique égyptien est surtout connu pour se moquer des dirigeants et fustiger leurs politiques, notamment dans son propre pays.

Son ascension professionnelle a démarré peu après la révolution égyptienne de 2011, lorsqu’il a créé une émission satirique sur sa chaîne YouTube. Très vite, il a été suivi par des millions de personnes, ce qui l’a amené à avoir sa propre émission, sur la chaîne égyptienne ONTV.

Bassem Youssef y évoquait la situation politique et sociale du pays, s’en prenant directement au président et aux Frères Musulmans. Des prises de position qui ont eu des conséquences pour l’humoriste, accusé de trouble à l’ordre public et à la sécurité du pays.

Il a finalement déménagé aux Etats-Unis, pour poursuivre sa carrière sur les planches, sur les réseaux sociaux et à la télévision. Il a fait plusieurs apparitions dans l’émission satirique The Daily Show, après avoir été de nombreuses fois comparé à l’ancien animateur de l’émission, Jon Stewart.

L’humoriste s’est récemment rendu aux Emirat Arabes Unis, pour animer la cérémonie des « Hommes de l’année 2019 », du magazine GQ Moyen-Orient, un titre remporté cette année par le joueur égyptien de Liverpool, Mohamed Sala.

“Rien ni personne ne devrait être au-dessus de la satire”

Nous nous sommes entretenus avec Bassem Youssef, lors de son séjour à Abu Dhabi. Nous l’avons interrogé sur la satire politique dans le monde arabe et aux Etats-Unis.

Rebecca MacLaughlin-Eastham : Lorsque vous traduisez vos textes de l’arabe vers l’anglais, perdez-vous une partie de leur puissance, de leur nuance ? Le message, lui-même, est-il dilué ?

Bassem Youssef : On ne peut pas traduire l’humour. On peut l’expliquer, mais il faut toujours réfléchir en fonction de la langue que parle notre public. Quand on est sur scène, on ne fait pas les mêmes blagues, on ne raconte pas les mêmes histoires, ce n’est pas une simple traduction. Il faut tout repenser. Et même ça, ce n’est que le début, car même si on trouve les bonnes formules, il faut aussi faire le même genre de prestation, avec la même cadence, le même rythme que les gens qui parlent la langue.

Vous vivez aux Etats-Unis aujourd’hui. Si l’on compare votre carrière en Egypte et les Etats-Unis d’aujourd’hui, trouve-t-on des similitudes, notamment sur la façon dont les dirigeants perçoivent votre message ?

La droite, les partis conservateurs, aux Etats-Unis et en Egypte sont similaires. Leur message, leur manière de s’adresser à la masse, leur façon de faire du populisme parfois … c’est la même chose partout. La grande différence toutefois, c’est la marge de liberté que l’on a pour critiquer, pour faire de la satire. On peut critiquer le système, l’autorité, l’administration, ce qui change de l’Egypte bien sûr. Et je pense que le principal avantage pour moi aux Etats-Unis, c’est que j’apprends et je reçois plus, parce que quand j’étais en Egypte, j’ai connu une montée fulgurante, c’était très rapide. Mais aux Etats-Unis, il faut plutôt rester en retrait et prendre son temps.

Lorsque vous étiez en ligne de mire des autorités égyptiennes, quand vous viviez encore là-bas, aviez-vous peur pour votre vie? Craigniez-vous de devenir un prisonnier politique ?

Chaque semaine, j’avais une deadline à respecter, je devais produire une émission qui était regardée par des millions de personnes, je faisais du mieux que je pouvais. Donc je ne pensais vraiment pas à ça. Les gens de mon entourage étaient plus inquiets que moi.

Existe-t-il un sujet tabou pour vous ? Quelque chose ou quelqu’un que vous ne voulez pas critiquer, qui serait au-dessus de cela ?

Parfois, nous discutons des sujets qui pourraient être trop choquants pour le public, qui pourraient faire fuir les gens. Mais une fois encore, ce sont des questions très subjectives. De manière générale, rien ni personne ne devrait être au-dessus de la satire.

Que pensez-vous de la situation économique et politique actuelle en Égypte ? Où va votre pays, selon vous ?

Mon opinion sur ce qui est en train de se passer en Egypte est très claire, et c’est pour ça que je ne vis plus là-bas. Je pense que ce n’est vraiment pas viable d’avoir un peuple qui a peur de s’exprimer ouvertement. Il y a énormément de populisme, et je pense que ça ne pourra pas durer à long terme. Si on regarde l’histoire, même récente, ce n’est pas possible d’avoir un immense pays, avec des dizaines de millions de personnes qui ont peur de s’exprimer, et d’utiliser des excuses comme le nationalisme ou l’amour de son pays. Tout cela peut se retourner contre les dirigeants, ce n’est pas bénéfique à long terme.

Dans le passé, vous avez avoué souffrir du syndrome de l’imposteur, c’est-à-dire que vous ne croyez pas en votre réussite. D’où vient ce sentiment ?

Vous pensez toujours qu’il y a mieux, qu’il y a d’autres personnes plus talentueuses que vous, et vous vous demandez si vous réussirez un jour. Et je pense que c’est important d’avoir ce genre de sentiment parce qu’il vous ancre dans la réalité, il vous rend plus humble.

On a commencé très tôt à vous comparer à Jon Stewart aux Etats-Unis. C’était juste de la communication au début, mais c’est resté. Votre relation est-elle sincère ? Que pensez-vous de Jon?

Ce n’est pas moi qui ai lancé cette rumeur, mais j’ai travaillé pour ça. Au début, quand j’étais toujours sur YouTube et qu’on me demandait : « Quelle est votre source d’inspiration ? », je citais toujours Jon Stewart. Je l’aime beaucoup, il me donne de l’inspiration. C’est lui qui a créé l’art de la satire à la télévision, et je pense que beaucoup de gens – comme le Late Night Show par exemple – ont été inspirés par cet homme.

Raconter les histoires au sein de l’Histoire

Moins d’une seconde, c’est parfois tout ce qu’il faut pour raconter l’histoire d’une vie. La photo d’Afshin Ismaeli, prise en 2017, montre par exemple l’instant précis où Tomas Abdullah Hamo, 13 ans, a réalisé qu’il allait rester en vie. Ce jeune yézidi est le seul survivant parmi 23 personnes kidnappées par les terroristes du groupe Etat islamique. Il s’en est sorti de peu, après avoir été utilisé comme bouclier humain.

Le photojournaliste iranien, qui travaille principalement pour Aftenposten, était là pour raconter l’histoire de ce garçon. Son exposition intitulée «Enfants de la guerre» a été présentée au festival de photo Xposure, dans l’émirat de Sharjah, aux Emirats Arabes Unis.

Voyageant principalement en Syrie et en Irak depuis 2015, Afshin Ismaeli risque sa vie pour montrer les visages humains derrières les gros titres des journaux. Comme il l’a fait pour Tomas Abdullah Hamo.

“ Il a subi un lavage de cerveau pour devenir kamikaze, il a été kidnappé à l’âge de 11 ans, raconte le photographe. C’est une histoire au sein de l’Histoire. Si cette photo n’avait pas été prise à ce moment, personne n’aurait su ce qui arrive à ces gens.”

Né pendant la guerre d’Iran, Ismaeli explique qu’il a trouvé le salut grâce à son appareil photo. Plus tard, cet objet l’a aidé à accomplir sa mission d’information. “ Mon enfance a été marquée par les bombardements, donc je me suis dit que je devais faire quelque chose “, se souvient-il.

Dans les dernières décennies, d’autres images emblématiques ont eu un grand impact, comme la célèbre photo d’une jeune fille afghane, prise par Steve McCurry en 1984. Le photographe américain a rencontré Sharbat Gula, 12 ans, dans un camp de réfugiés au Pakistan. Ses yeux verts perçants ont conquis le cœur de nombreuses personnes à travers le monde. Le magazine National Geographic a même créé un fonds en son nom, qui a aidé plus tard la famille de la jeune fille.

Ou encore la tragique photo du petit Alan Kurdi, 3 ans, noyé au large de la Turquie. Une image devenue le symbole de la crise des réfugiés syriens en 2015, et qui a marqué les esprits de millions de personnes à travers le monde.

Connaître l’impact qu’une seule image peut avoir pour souligner un problème important, c’est ce qu’on apprit les amateurs de photographie lors du festival Xposure, aux Emirats Arabes Unis, améliorant ainsi leurs compétences photographiques.

Divers ateliers ont amené les photographes à réfléchir à la valeur morale de leurs images. D’autres avaient pour but de rappeler certaines réalités du monde de la photographie, comme l’explique Bjoern Lauen, du Groupe Awesome : “Il faut vraiment être passionné pour devenir photographe professionnel. Vous traverserez des périodes difficiles, des périodes d’agitations, des moments où vous ne gagnerez pas autant d’argent que vous souhaiteriez.”

Selon Bjoern Lauen, de nombreux photographes ont vendu leurs premières images pour moins d’un dollar. Ce qui n’a pas refroidi Rashed Al Mazrouei, un amateur passionné qui souhaite se lancer dans cette carrière. Il s’est rendu dans la région du Ladhak, dans le nord de l’Inde, et au Cachemire au début de l’année. Un voyage qui lui a donné envie de faire ce métier à plein temps : “Pour l’instant, c’est un hobby, une passion, mais j’espère que j’en ferai ma profession. Peut-être qu’un jour, je vivrai de la photographie et je parcourrai le monde pour découvrir des peuples et des cultures”, espère-t-il.

Après avoir vu la neige pour la première fois en Inde, Rashed Al Mazrouei souhaite vivre de nouvelles expériences. Il prévoit de partir bientôt en Afrique Subsaharienne, accompagné, bien sûr, de son appareil photo.

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