Dans l‘édition de cette semaine, Inspire Middle East s’intéresse à la littérature et aux langues rares. Au programme :
Inspire Middle East : Sharjah, capitale mondiale du livre 2019
Daleen Hassan a cherché à en savoir plus l’industrie du livre aux Emirats Arabes Unis, un pays qui entend devenir un centre majeur de l’édition, entre occident et orient.
Elle a également interviewé, en exclusivité, l’une des membres de la famille royale de Sharjah, Sheikha Bodour Al Qasimi, qui est aussi la vice-présidente de l’Association internationale des éditeurs.
Notre reporter Rosie-Lyse Thompson s’est rendue sur la côte de Moussandam, dans la péninsule d’Oman, pour découvrir le Kumzari, une langue méconnue parlée par seulement 4000 personnes.
Sharjah, “livre ouvert, esprit ouvert”
Depuis des décennies, l’émirat de Sharjah est un pôle culturel, tourné vers la lecture et la connaissance.
L’émirat organise des événements, tel que le Salon international du livre de Sharjah, qui a accueilli près de 15 000 éditeurs du monde entier ces 40 dernières années.
En avril, l’émirat a été nommé Capitale mondiale du livre 2019 par l’UNESCO, avec le slogan : « Livre ouvert, esprit ouvert ».
Hugo Setzer est le président de l’Association internationale des éditeurs : “Je pense qu’il est très important de montrer tout ce qu’il se passe dans le monde arabe, estime-t-il, car c’est une région parfois mal comprise par les autres pays.”
En 2020, l’émirat de Sharjah achèvera la construction de la Maison de la sagesse. Une bibliothèque innovante, qui accueillera plus de 100 000 livres, et favorisera les interactions sociales.
Sheikha Bodour Al Qasimi a toujours cherché à mettre en avant la scène culturelle de l‘émirat. Elle est présidente de l’Association des éditeurs des émirats, et vice-présidente de l’Association Internationale des éditeurs.
Cette mère de quatre enfants a été classée par le magazine Forbes comme l’une des 100 femmes les plus influentes de 2017. Entre deux voyages, elle a accepté de rencontrer l‘équipe d’Inspire Middle East, pour parler de l’industrie du livre dans la région.
“L’industrie du livre papier est toujours très forte aujourd’hui”
Daleen Hassan : Sharjah a été nommé capitale mondiale du livre, par l’UNESCO. Qu’est-ce que cela signifie ?
Sheikha Bodour Al Qasimi : C’est vraiment un rêve qui s’est concrétisé pour tous ceux qui ont travaillé sur ce projet et qui travaillent dans ce domaine. Et je vais vous confier un secret, peu de monde le sait mais ça fait dix ans qu’on travaille sur ce projet de capitale du livre. Dix ans qu’on organise des programmes et des événements autour des livres, de la lecture et de la culture.
Comment les éditeurs émiratis peuvent-ils améliorer leur compétitivité mondiale ?
Je suis éditrice aux Emirats Arabes Unis, et il y a douze ans, j’ai créé ma propre maison d’édition, le groupe Kalimat. A l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’éditeurs et je voulais former une association. J’ai appelé des gens et en cherchant un peu j’ai trouvé treize éditeurs. Dix ans après, nous sommes 144. Nous avons créé une plate-forme pour les inviter à se rencontrer, à trouver de l’inspiration et pour les soutenir sur le terrain international. Nous voulons vraiment aider nos éditeurs et leur offrir des opportunités.
Ce qui est également très important, ce sont les acteurs locaux aux EAU. Nous travaillons de manière étroite avec le gouvernement, et il existe de nombreuses règles et réglementations qui peuvent parfois être un obstacle pour nos éditeurs. Mais les acteurs qui nous accompagnent nous soutiennent vraiment.
Les coûts et les frais sont considérés comme des obstacles potentiels à la croissance du secteur de l’édition. Comment les Emirats aident-ils cette industrie à surmonter cela ?
Où que l’on aille, il y a des défis. Ce que j’ai découvert en travaillant avec les Emirats Arabes Unis, c’est que nous avons une bonne communication avec tous les acteurs. Le ministère de la Culture a fourni des numéro ISBN gratuits à nos éditeurs. Cela leur donne la possibilité de publier davantage de livres provenant des Emirats Arabes Unis sans payer les frais ISBN, qui peuvent constituer un obstacle pour certains éditeurs.
Nous travaillons aussi avec le ministère de l‘Éducation pour que les contenus puissent figurer dans les programmes scolaires. Enfin, nous collaborons avec le ministère de l‘Économie afin de protéger les droits de nos auteurs.
Il y a des éditeurs du monde entier au sein de notre association, et bien sûr, ils publient des livres dans différentes langues, pas seulement en arabe. En Suède par exemple, ils lisent des histoires de notre région, de notre culture. Ils en parlent par exemple à l’école, c’est vraiment enthousiasmant. C’est un travail auquel je crois vraiment, car les enfants n’ont pas de préjugés.
Ecrire pour les enfants n’est pas une tâche facile. Est-ce difficile de trouver ces auteurs ?
C’est très dur, parce que les enfants sont vraiment honnêtes et si vous écrivez un livre mauvais, il vous le diront en face : « je n’aime pas ce livre » . Et c’est la beauté des enfants, ils sont honnêtes avec vous. Donc pour trouver un bon auteur de livres d’enfants, cela demande un vrai investissement. Vous devez trouver quelqu’un qui comprenne cela et qui le respecte.
A l’ère du numérique, quelles sont vos prédictions pour le marché de l’édition, dans la région et à l’international ?
Il y a environ 5 ans, on prédisait la mort des livres papiers, on disait que plus personne n’en lirait, que tout serait numérique, et que les éditeurs perdraient leur travail, leurs entreprises… Mais rien de cela n’est vrai. Aujourd’hui, l’industrie du livre papiers est toujours très forte. Personnellement, je préfère les livres. J’aime la sensation de tenir un livre, j’aime l’odeur des livres. Ce que je veux dire toutefois, c’est que les deux, livres et numérique, sont importants.
Quelles coopérations bilatérales et quels partenariats sont prévus pour la deuxième moitié de 2019 ?
Grâce à l’Association Internationale des Editeurs et mon poste de vice-présidente, je travaille sur des séminaires régionaux qui sont très importants pour moi. C’est quelque chose de nouveau, je n’avais jamais fait cela et ça me plaît. Je prépare un séminaire à Nairobi et un autre à Amman, en septembre.
Avec ces séminaires, nous réunissons des éditeurs de la région. Nous organisons des conférences, des ateliers, des formations, et nous offrons la possibilité à tous de se créer des réseaux, de faire connaissance, de relever des défis. Nous permettons à l’industrie de grandir différemment.
Le président de l’Association internationale des éditeurs (AIE) a dit que le fait que vous soyez une femme arabe était un message très important. Comment interprétez-vous cela ?
Je suis vraiment touchée par ces mots. L’AIE a 125 ans, elle a été fondée à Paris et maintenant son siège est à Genève. Je ne suis que la deuxième femme à la tête de l’association, et la première originaire du Moyen Orient. Donc cela veut dire que les temps changent, et que la diversité et l’inclusion sont importantes.
Le Kumzari, une langue unique et menacée
Le petit village de pécheur de Kumzar, situé à la pointe nord d’Oman, est au cœur de l’un des endroits les plus stratégiques du monde. Il ne s’agit toutefois pas de l’unique particularité de cette enclave. Ses habitants se sont forgés au fil des siècles une langue unique : le kumzari.
Il s’agit d’un mélange de 45 langues, parmi lesquelles l’arabe, le farsi, l’anglais, le français et le portugais. Ce dialecte s’est transmis de génération en génération à travers les siècles.
Khalid al Kumzari, un étudiant de dernière année, est fasciné par sa langue natale. “Dans la langue Kumzari, on dit “door” pour désigner une porte, explique-t-il. C’est le même mot qu’en anglais «door».”
Pendant des siècles, le village de Kumzar a été le témoin des batailles entre les différents empires, qui cherchaient à contrôler le détroit, un point stratégique sur la route commerciale du golfe.
Alors que les marins du monde entier s’arrêtaient pour y chercher de l’eau, les habitants auraient appris leurs différentes langues.
“Dans le passé, ils passaient par le village de Kumzar avec leurs bateaux, pour collecter de l’eau grâce à ce puits, là-bas”, raconte l’un des habitants, Mohammad al Kumzari.
D’autres villageois estiment que les marins utilisaient le Kumzari pour communiquer en code et cacher des transactions à leurs concurrents.
Aujourd’hui, la langue n’est parlée que par les 4000 habitants de Kumzar. L’Unesco a qualifié ce dialecte de « gravement menacé », affirmant qu’il pourrait disparaître dans les 50 prochaines années.
Pour de nombreuses langues au bord de l’extinction, la cause principale de la disparition est la perte de la culture. Mais pour les Kumzaris, identité et culture sont étroitement liées, ce qui pourrait assurer la survie de leur langue maternelle.
Dans tout le sultanat d’Oman, les communautés rurales décroissent. Mais selon les habitants, la population du village de Kumzar augmente de 300 personne chaque année, grâce à un taux de natalité élevé.
Mohammad, père de cinq enfants, est optimiste : la langue de ses ancêtres perdurera.
“Je ne pense pas que notre langue s’éteindra, grâce à la nouvelle génération, affirme-t-il. Même un enfant de 3 ans sait parler le kumzari. On le parle même si on fait des études à l’étranger.”
Seul le temps pourra dire si le “parler du détroit” fera toujours partie de l’identité de Kumzar dans les années à venir.