En cette Journée internationale des droits des femmes, Inspire Middle East consacre ce nouveau numéro aux femmes dans le monde arabe. Au programme :
Inspire Middle East spécial Journée internationale des femmes au Moyen Orient
Aux Emirats Arabes Unis, nous suivons des femmes et des hommes qui entendent sensibiliser le public au cancer du sein, car le nombre de personnes diagnostiquées ne cesse d’augmenter dans la région.
Rencontre avec Mohammad Naciri, le directeur régional des Nations unies pour l‘égalité des genres et l’autonomisation des femmes (ONU Femmes) dans les régions Arabe et Asie Pacifique. Ensemble, nous parlons de féminisme, de religion et de patriarcat dans le monde arabe.
Dans le Sultanat d’Oman, nous partons à la découverte du BikingMan, une course de vélo d’ultra-endurance, où les femmes déboulonnent les stéréotypes de genre.
Un million de nouveaux cas de cancer du sein d’ici à 2030
A dos de cheval, les volontaires de Pink Caravan, ou Caravane Rose, ont parcouru les Emirats Arabes Unis pour sensibiliser le public au dépistage du cancer du sein. Ce type de tumeur est la cinquième cause de mortalité dans le monde, selon l’Organisation mondiale de la Santé. Dans la région du Golfe, près d’un million de nouveaux cas de cancer pourraient se déclarer chaque année d’ici à 2030, toujours selon l’OMS. C’est deux fois plus qu’en 2012.
Selon ces prévisions, la région du Moyen Orient et de l’Afrique du nord pourrait avoir, avec certains pays d’Asie du Sud, les taux de diagnostics annuels les plus élevés au monde. Avec ses cliniques médicales mobiles, la Caravane Rose entend donc apprendre aux femmes et aux hommes à s’auto-examiner, pour se dépister au plus vite.
L‘Égyptienne Afaf Afifi est âgée d’une quarantaine d’années. En 2016, elle a découvert qu’elle avait un cancer du sein de stade trois. La campagne de sensibilisation de la Caravane Rose l’a aidée à faire face à cette situation.
“Quand vous pensez que vous allez mourir alors que vous avez trois enfants, c’est terrible. Mais quand je suis allée leur demander de l’aide, c’était comme si j’avais trouvé une autre famille” , témoigne-t-elle.
Après les tumeurs malignes de la peau, le cancer du sein est le plus répandu dans les pays du Golfe, selon l’United States National Library of Medicine. Le rapport de 2018 révèle également que les patientes arabes sont diagnostiquées à un stade plus avancé de la maladie et à un plus jeune âge que dans les pays occidentaux.
Pour en savoir plus, nous avons rencontré le docteur Houriya Kazim, la première femme chirurgien des Emirats Arabes Unis.
“En Amérique du nord et en dans l’ouest de l’Europe, l’âge moyen des personnes atteintes du cancer du sein est de 62 ans, c’est généralement une maladie de femmes ménopausées, explique la chirurgien. Aux Emirats et dans tout le Moyen Orient, en Afrique du Nord et dans le sous-continent indien, c’est autour de 45 ans. Nous ne savons pas pourquoi et c’est un gros problème.”
Pour tenter de comprendre cette particularité, le docteur Kazim analyse l’ADN des patientes atteintes de tumeurs. Elle espère ainsi apporter des réponses aux jeunes femmes arabes.
“Je suis fier d’être musulman, féministe et arabe”
Il existe un département au sein des Nations Unies dont l’objectif est de promouvoir l’émancipation économique et l’égalité de genre pour les femmes en Europe, au Moyen Orient et en Afrique du nord. Les défis sont encore nombreux, mais des progrès ont été faits, notamment concernant l’entrée des femmes en politique, et la lutte contre les stéréotypes dans les médias.
Mohammad Naciri est le directeur régional des Nations unies pour l‘égalité de genre et l’autonomisation des femmes (ONU Femmes) dans les régions Arabe et Asie Pacifique. . Il est entré en fonction juste après le printemps arabe et sous sa direction, de nombreux partenariats internationaux et d’importantes modifications de la législation sur l’égalité ont été mis en place. Des études ont aussi été menées, comme le coût économique des violences faites aux femmes.
Au Yémen, il a fait campagne pour la réduction de la pauvreté et pour le renforcement du pouvoir des femmes dans la société. Au Koweït, il a joué un rôle déterminant dans la première élection de femmes au parlement.
Mohammad Naciri travaille donc sans relâche pour encourager les femmes à s’engager dans des secteurs traditionnellement masculins, et pour prendre part au leadership et au maintien de la paix au Moyen Orient.
Rebecca McLaughlin-Eastham : Mohammad, bienvenue dans Inspire Middle East, merci de nous rejoindre depuis Londres.
Mohammad Naciri : Merci, je suis heureux d’être avec vous.
Pour commencer, dans le contexte de la Journée internationale des femmes, et en tant que fervent défenseur des droits des femmes, quels sont les tabous régionaux qui doivent être abordés, selon vous ?
La priorité pour laquelle je continue de me battre, c’est le fossé entre ce qu’on appelle le féminisme ou le droit des femmes, et le discours religieux. Pendant longtemps, les féministes ont essayé d‘éviter de parler de religion et les chefs religieux ont essayé de ne pas parler des droits des femmes. Ce que j’essaie de faire, c’est de réduire cet écart, de voir comment, dans la région, nous pouvons regarder les droits des femmes et l’égalité de genre, d’un point de vue religieux.
Comment l’engagement des femmes pourrait-il influencer le processus de paix dans la région, et particulièrement au Yémen ?
Comme nous le savons malheureusement, notre région est l’endroit où il y a le plus de conflits dans le monde, et celles qui en payent le prix le plus fort sont les femmes et les filles. Dans bien des cas, les femmes sont victimes de ces situations, dans d’autres cas elles en sont les auteurs, mais elles ne font jamais partie de la solution. Nous travaillons depuis très longtemps avec les femmes yéménites, les Syriennes et les Libyennes pour qu’elles s’assoient à la table des négociations en tant que partenaires, pour préparer un avenir meilleur. Il y a quelques années, les femmes Yéménites ont réalisé d’excellentes avancées, parce qu’elles étaient représentées dans le dialogue national. Je ne dis pas que les femmes sont meilleures que les hommes et qu’elles parviennent plus vite à la paix. Mais elles voient les conflits et les programmes de paix sous un autre angle.
Vous êtes fier de vous revendiquer “homme, musulman, arabe et féministe”. Etes-vous en minorité dans la région et si oui, pourquoi ?
Je suis fier d’être musulman, féministe et arabe. Mais je ne suis pas minoritaire. Il y a beaucoup de gens comme moi. Certains ne voient pas qu’ils peuvent être féministes, tout en conservant leur foi et les croyances culturelles. Le patriarcat domine toujours dans la région, et je dis bien patriarcat, pas « les hommes qui ne croient pas au féminisme ». Le patriarcat n’est pas seulement présent dans l’esprit et le cœur des hommes de la région, mais aussi malheureusement dans celui des femmes et des jeunes filles.
Vous ne travaillez plus seulement avec des femmes, que vous appelez « les agents du changement » au Moyen Orient et en Afrique du Nord, mais aussi avec des hommes. Ce qui a abouti à un rapport sur les masculinités, le premier du genre dans le monde arabe. Quelles sont les principales conclusions de ce rapport et qu’est ce qui a été mis en place?
Les principales conclusions sont : premièrement, qu’il existe un cycle de violence intergénérationnelle. Ceux qui subissent des violences domestiques enfants ont tendance à les accepter ou les pratiquer une fois adultes. L’autre constat, c’est que non seulement les femmes présentent des symptômes de dépression en raison de la lourdeur du patriarcat dans la région, mais que cela touche également les hommes et les garçons. Ils ressentent une énorme pression, pour subvenir aux besoins et protéger leur famille. S’ils partageaient cela avec les femmes, ils ressentiraient moins de pression.
Mohammad, merci beaucoup d’avoir été avec nous dans Inspire Middle East.
Merci beaucoup Rebecca, et bonne journée internationale des femmes.
Les femmes “plus résistantes et plus endurantes” que les hommes
Sur les routes spectaculaires d’Oman, des participants du monde entier sont venus s’affronter dans l’une des courses d’ultra-cyclisme les plus épiques et les moins connues du Moyen Orient. Et pour sa deuxième édition, le BikingMan a décidé d’attirer encore plus de compétitrices.
L’objectif de la course est simple : atteindre la ligne d’arrivée le plus vite possible. Jasmijn Muller et Helle Bachofen von Echt font partie des 12 participantes féminines et elles ont décidé de repousser leurs limites.
“En roulant, je vais me mettre dans des conditions extrêmes et je ne sais pas comment je réagirai physiquement et mentalement. C’est ça qui est excitant dans cet événement, selon moi”, s’enthousiasme Helle.
A 3h du matin, les 79 participants s’élancent sur la piste. Ils ont jusqu’à cinq jours pour parcourir plus de 1000 kilomètres et gravir un dénivelé total de 7 200 mètres. Ils doivent traverser les montagnes de Hajar et le désert d’Al Sharquiyah, avant de longer la mer d’Arabie et de terminer à Mascate, la capitale du Sultanat. Et comme le compte à rebours ne s’arrête jamais, c’est à eux de décider quand manger, boire et se reposer.
“Je me suis assise seulement deux fois, j’ai pris deux repas chaud et je n’ai pas encore dormi. Je commence à être vraiment fatiguée et à souffrir beaucoup, j’essaye désespérément d’y arriver”, témoigne Helle durant la course.
Le boom des sports d’ultra-distance a poussé les scientifiques à analyser le fonctionnement du corps dans les situations extrêmes. Les études affirment que les femmes ont plus de résistance et d’endurance musculaire que les hommes. Ainsi, plus les femmes participeront à ces courses, plus elles devraient les gagner.
En 2017, Jasmijn Muller a battu le record de distance en vélo indoor sur le logiciel Zwift, en effectuant 1 828 kilomètres en 62 heures.
“Je voulais battre un record en intérieur sur vélo fixe, qui était détenu par un homme. Et je me suis dis « je pense que je peux faire mieux, je ne sais pas pourquoi, mais allez, je peux au moins essayer», se souvient-elle.
Jasmijn et Helle sont arrivées respectivement 9ème et 10ème du BikingMan, en effectuant la course en moins de 47 heures.
Jasmijn nous a livré l’un des secrets de son moral d’acier : “L’un des mantras que j’utilise pour les courses c’est : imagine que tu es œuf. On utilise la même eau bouillante pour ramollir les pommes de terre et pour durcir l’œuf. L’important, ce n’est pas le contexte, mais ce qui est à l’intérieur de toi, le courage qui se trouve en toi. Et comme on le voit dans cet événement, de plus en plus de femmes se disent « ouai, je peux le faire ».”