Qu’il soit battu ou élu pour la 7è fois de suite lors de la présidentielle du 7 octobre, Paul Biya reste ou restera l’artisan de ce Cameroun tel qu’il se présente aujourd’hui. Le résultat de ce qui a été fait ces 7 dernières années.
Cameroun-présidentielle : sept ans après
« Je serai votre candidat à la prochaine élection présidentielle ». Ainsi parlait Paul Biya en août dernier sur son compte Twitter.
L’actuel locataire du Palais d’Etoudi va devoir rivaliser d’ardeur avec huit autres candidats dont Joshua Osih, du Front social-démocrate (SDF), principale formation de l’opposition ou encore Akere Muna du Front populaire pour le développement (FPD).
Mais, il faudra défendre son bilan pour convaincre les quelque 6,5 millions de Camerounais retenus comme électeurs par Elections Cameroon (ELECAM), la commission électorale du pays. Paul Biya devrait ainsi prouver qu’il aura été pendant son 3è septennat consécutif « le Choix du peuple », comme il le disait dans son slogan de la présidentielle de 2011.
Et à cette époque, il promettait à ses compatriotes une croissance économique qui atteindrait les 8 % à partir de 2012. Ce qui devait permettre au Cameroun d’avancer en toute sérénité vers l‘émergence dont la deadline est fixée à 2035.
Si jusqu’ici nous avons du mal à joindre les partisans du pouvoir pour pour parler du bilan du 3è septennat consécutif (2011-2018) de Paul Biya, les sept dernières années ont été marquées par une crise économique qui a frappé tous les pays ou presque de la Communauté économique et monétaire des États d’Afrique centrale (CEMAC).
“Des infrastructures en cours de construction”
Un contexte qui n’a pas cependant empêché de lancer ou d’annoncer des projets de construction d’infrastructures de grande envergure. D’abord sur le plan énergétique.
En initiant la construction de barrages hydroélectriques dont celui de Lom Pangar, Paul Biya voudrait sans doute exploiter un potentiel hydroélectrique estimé par la Banque mondiale à près de 12 000 mégawatts. Question de faire décoller la production de 1 292 à 3000 megawatts à partir de 2020. De quoi soulager les soiuffrances des 14% de ménages camerounais surtout en milieu rural qui n’ont pas accès à l‘énergie.
Sur le plan des transports, des projets sont aussi en cours. C’est le cas de l’autoroute reliant Douala à Yaoundé. Longue de quelque 200 kilomètres, l’infrastructure qui est censée faire partie de la route transafricaine Lagos (Nigeria)-Mombassa (Kenya) devrait, à la fin des travaux trancher avec la chaussée étroite sur laquelle roulaient les automobiles par le passé.
Ces infrastructures de transport s’ajoutent au port en eau profonde de Kribi, considéré par des observateurs comme « la plus importante plateforme portuaire sur toute la côte ouest-africaine, avec un tirant d’eau de 15 à 16 mètres », écrit le site investiraucameroun.com.
“L’offre de l‘éducation de base améliorée”
Le volet sanitaire a été pris en compte. Le cas de la construction Hôpital Gyneco Obstétrique de Douala. Avec une capacité d’accueil de près de 300 lits, le nouvel établissement devrait contribuer à désengorger d’autres centres de santé. Étant spécialisée, la structure devrait faciliter la référence et la contre référence des patients, notamment les parturiantes.
Quant à l‘éducation, des organes jugés proches du pouvoir indiquent que des infrastructures ont été réalisées. En ce qui concerne l’enseignement supérieur par exemple, une nouvelle université d‘État a été créée à Bamenda en zone anglophone. Au même moment, une nouvelle faculté de médecine été ouverte à Garoua dans l’extrême nord.
D’autres sources révèlent que « toutes les régions sont désormais dotées d’une institution d’enseignement supérieur ». Et pour l‘école a été raprocchée des enfants de 5 à moins de 3 km pour le secondaire et de 3 à 1 km pour le primaire. Le nombre d‘écoles primaires est ainsi passé de 14712 en 2011 à 18596 en 2018.
« En ce qui concerne l‘élargissement de l’accès et l’amélioration de l’offre de l‘éducation de base, des actions significatives ont été menées. Celles-ci ont permis une évidente amélioration des indicateurs du système éducatif en général et du sous-secteur Éducation de base en particulier », se félicitait récemment Youssouf Hadidja Alim, ministre de l’ Éducation de base citée par « Cameroon tribune », un quotidien public.
Bien que la plupart de ces projets soient encore en cours de réalisation, des partisans du président Biya se félicitent déjà « de la marche inexorable vers l‘émergence dès 2035 », selon l’expression d’un membre du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC).
Ce qui est loin de satisfaire d’autres Camerounais. « Le Cameroun a reculé à plus de 50 ans. Dans les années 1980, lorsqu’il a succédé au président Ahidjo, Paul Biya avait reconnu avoir hérité d’un pays prospère. Mais, aujourd’hui, l‘économie est aux abois. Vous parlez des infrastructures. La plupart sont encore en cours de réalisation. En plus, c’est un mécanisme de surfacturation au profit des membres du pouvoir », déclare Jean Michel Nitcheu, député SDF.
« Économiquement, il serait difficile de faire de nouveau confiance à Monsieur Biya, parce que le Cameroun est totalement dans un délabrement plus ou moins avancé. Comme vous pouvez le constater, le FMI semble avoir mis le Cameroun au banc de ceux-là qui ne peuvent plus prétendre à une dette. L’ensemble des projets n’ont pas produit des résultats escomptés », résume le Professeur Claude Abé, sociologue politiste, maître de conférences à l’université catholique d’Afrique centrale (UCAC) de Yaoundé.
Dans un contexte où le taux de chômage est estimé à 30 % de la population active et que le taux de croissance a chuté à près de 3 %, très loin des 7 % stables des années 1980, le Cameroun peine à se relever. Si ce contexte socio-économique s’explique en partie par la chute des prix des matières premières qui touche les pays de la CEMAC, au Cameroun, le facteur sécuritaire semble s’y être invité.
“Auteur de la crise anglophone”
D’après ses partisans, le bilan sécuritaire de Paul Biya est positif, car, explique sous couvert d’anonymat, un membre du RDPC, la nuisance de Boko Haram et celle des bandes armées venant de la Centrafrique a été réduite de manière « significative ». Avis partagé même par l’opposition. « Effectivement, on peut dire que le Cameroun dans un élan de solidarité, a mis en déroute Boko Haram. Il faut l’admettre », reconnaît Jean Michel Nitcheu.
Entré en guerre contre la secte islamiste en 2014, le Cameroun a mis en œuvre une série de mesure afin de venir à bout de Boko Haram. Ainsi, plus de 410 otages ont déjà été libérés. Les 14000 membres des comités de vigilance chargés d’appuyer la force publique auraient déjà déjoué près de 80 attentats, même si plus de 200 d’entre eux ont péri.
À noter aussi que depuis 2014 plus de 1000 membres présumés de Boko Haram auraient été capturés et le Cameroun dit avoir enregistré plus de 200 redditions. Des résultats obtenus aussi à l’appui extérieur dont la Force multinationale mixte composée du Niger, du Nigeria et du Cameroun. Y compris une importante aide financière de 6,21 millions de dollars octroyée par le gouvernement japonais.
Ce qui toutefois n’exempte pas Yaoundé de critiques de la part des ONG. S’appuyant sur une vidéo virale montrant des militaires en uniforme camerounais exécutant froidement deux femmes avec leurs enfants, des ONG de défense des droits de l’homme ont une fois de plus dénoncé la violation des droits humains par les forces de défense camerounaises. Ce que Yaoundé semble avoir reconnu en mettant examen certains soldats soupçonnés d’avoir commis cet acte.
Mais, il y a aussi la crise anglophone. Une situation née il y a près de deux ans des revendications d’enseignants et avocats anglophones de l’ouest du pays. Les affrontements armés qui en sont issus ont déjà coûté la vie à des centaines de civils et quelque 85 éléments de la force publique. Et le coût économique ne saurait être mis à l’index. « Le coût estimé de perte des produits bruts est 10 milliards de francs Cfa, regroupant l’huile de palme et la banane, de mai au 25 août », explique Franklin Njie, directeur de la Cameroon Development Corporation (CDC).
Selon le pouvoir, le Cameroun est victime d’attaque terroristes. « Le Cameroun est victime des attaques à répétition d’une bande de terroristes se réclamant d’un mouvement sécessionniste », expliquait en décembre 2017 Paul Biya. « Le gouvernement camerounais ne dialoguera pas avec les éléments séparatistes dans la région anglophone du pays », mençait en avril dernier, Paul Atanga Nji, minisre de la Décentralisation et du Développement local.
Pour des Camerounais, c’est Paul Biya l’homme de la situation pour mettre fin à cette crise afin de reconstituer le triangle national (allusion faite à la forme triangulaire de la carte du pays). « Les Camerounais pourront se dire celui-là qui a été à l’origine de cette crise, il vaut mieux que ce soit lui-même qui la résolve », indique le Professeur Claude Abé.
Scrutin sans zone anglophone ?
Pour le SDF, Paul Biya n’a pas de solution à proposer à la crise anglophone, dans la mesure où, estime-t-on, c’est lui qui en est l’artisan. « Au lieu d‘écouter les revendications légitimes des Camerounais des zones anglophones, monsieur Biya et son équipe ont répondu par une brutalité féroce. C’est donc eux qui ont déclaré la guerre aux Anglophones. Voilà pourquoi, nous estimons que la solution durable à cette crise reste le fédéralisme comme nous le proposions avant le déclenchement de la crise anglophone », suggère l’honorable Jean Michel Nitcheu.
Tout ceci, estiment des observateurs, procède en grande partie de l’absence de démocratie. « Contrairement à certains pays qui s‘étaient engagés dans le processus de démocratisation dans les années 1990, beaucoup d’observateurs disent que le Cameroun est un état stationnaire. On a fait semblant d‘être en mouvement tout en étant sur place. Le Cameroun a inventé un mode de gouvernance qu’on pourrait appeler gesticulation institutionnelle qui est cet art de faire semblant d‘être en mouvement », constate encore le Professeur Claude Abé.
C’est donc un pays des Lions indomptables ayant quasiment du mal à dompter les démons de la division et de la récession économique, qui se rendra aux urnes pour désigner celui qui gérera le pays tel que Paul Biya (85 ans) l’aura façonné pendant quelque 35 ans de pouvoir. Et les zones anglophones pourraient ne pas participer à cette élection présidentielle.
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