Les signaux sont au vert pour l‘Éthiopie et l‘Érythrée qui évoluent allègrement sur le chemin de la réconciliation après 20 années de froid. Une opération à laquelle la communauté internationale a pris une part importante.
Paix entre l'Éthiopie et l'Érythrée : la médiation en sourdine de la communauté internationale
Samedi, Issaias Afeworki, le président de l‘Érythrée a été reçu en grande pompe en Éthiopie. Au côté de son homologue éthiopien Abiy Ahmed, le dirigeant érythréen a paradé dans les rues d’Addis-Abeba avant une cérémonie officielle lors de laquelle garde militaire, danses traditionnelles et tapis rouge lui ont été déroulés.
En début de semaine, son homologue éthiopien l’avait précédé en Érythrée où les deux dirigeants ont signé un accord qui sanctionne le rétablissement de leurs liens bilatéraux après une vingtaine d’années de vitupération et d’hostilité.
De 1998 à 2000, l‘Éthiopie et l‘Érythrée se sont, en effet, livré une guerre conventionnelle qui a fait quelque 80.000 morts, notamment en raison d’un désaccord sur leur frontière commune dont l’Ethiopie refusait le tracé pourtant consacré par une commission internationale nommée par l’ONU. Aujourd’hui Addis-Abeba est prête à se conformer à la décision de cette commission.
Les deux pays sont donc maintenant formellement en paix. Selon l’accord qu’ils ont ratifié, les compagnies aériennes relieront une fois de plus leurs capitales, l‘Éthiopie utilisera de nouveau les ports de l‘Érythrée, son débouché naturel vers la mer, et les relations diplomatiques reprendront.
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Offensives américaine et arabe
Pour en arriver là, il a fallu un effort combiné impressionnant de la communauté internationale qui a agi en toute discrétion. Les premiers signaux ont tout de même été donnés en septembre 2017 par les groupes religieux. Le Conseil œcuménique des Églises avait du reste envoyé une équipe de part et d’autre pour voir les points de convergence possibles.
Mais le déclic est vraiment venu en avril, lorsque Donald Yamamoto, secrétaire d‘État américain adjoint aux Affaires africaines s’est rendu en Érythrée pour rencontrer le président Issaias Afeworki – quelques jours après l‘élection d’Abiy Ahmed au poste de Premier ministre en Éthiopie. C‘était la première fois depuis 2004 qu’un officiel américain de haut rang se rendait dans ce pays.
Des sources diplomatiques suggèrent en outre que Donald Yamamoto a eu des entretiens à Washington au cours desquels les parties éthiopiennes et américaines étaient représentées. D’un côté, le ministre érythréen des Affaires étrangères, Osman Saleh et Yemane Gebreab, un conseiller de longue date du président Issaias ; de l’autre, l’ancien Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn, jetant ainsi les bases d’un solide dialogue.
Mais le poids seul de la diplomatie américaine, longtemps haïe par Asmara pour son supposé soutien à l‘Éthiopie, n’a pas suffi. Il a également fallu l’implication des géants du Golfe et alliés arabes de l‘Érythrée : l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.
Peu de temps après la visite de Donald Yamamoto, le président Isaias s’est rendu en Arabie saoudite. Plus tôt ce mois-ci, il s’est aussi rendu aux Émirats arabes unis. Un voyage au cours duquel il aurait reçu d’importantes sommes d’argent pour développer l‘économie de son pays et ses infrastructures.
Enfin, dans les coulisses, l’ONU et l’Union africaine ont encouragé les deux parties à résoudre leurs différends. Ceci a abouti à la visite du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, à Addis-Abeba pour une réunion lundi – quelques heures seulement après la déclaration conjointe entre l‘Éthiopie et l‘Érythrée.
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Avantages partagés
Pourquoi un tel engagement que ce soit de la part de l‘Éthiopie, de l‘Érythrée ou même de la Communauté internationale ? Visiblement, chacun y a à gagner, en dépit de quelques menaces.
Pour le trio États-Unis – Arabie saoudite et Émirats arabes unis, il s’agit non seulement de stabiliser la corne de l’Afrique afin de damer le pion à la Chine au niveau économique, mais également de consolider l’alliance contre l’Iran au niveau géopolitique. L’ONU et l’Union africaine, elles, espèrent aussi une stabilisation de la région à l’heure où l’extrémisme musulman fait une montée en puissance en Afrique de l’Est, notamment en Somalie et au Kenya.
Les dividendes en Érythrée sont, quant à eux considérables. C’est à un véritable renouveau économique que se prépare le pays du président Afeworki qui pourra jouir des revenus de l’exploitation de son port par l’Ethiopie. Il pourrait en outre bénéficier de la fin d’un embargo sur ses armes et sur son économie, imposée par l’ONU et la communauté internationale, mais à condition de faire quelques concessions, notamment sur les droits de l’homme.
Cela implique par exemple l’assouplissement des conditions du service national qui a fait fuir des milliers d‘Érythréens vers l’Europe, des élections plus libres, l’autorisation de création de médias indépendants ou encore une plus grande indépendance du pouvoir judiciaire.
À Addis-Abeba, outre l’exploitation du port érythréen – une route alternative à la mer -, on rêve déjà de l’affaiblissement de la rébellion qui avait trouvé une base arrière chez le voisin érythréen. En creux, cela signifie aussi la fin de la subversion d’Asmara à l‘égard d’Addis-Abeba. Mais cette paix à la vitesse grand V fait peser une menace au sein même de l’administration éthiopienne.
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Un long chemin vers la paix
Le mouvement tigréen – le Front populaire de libération du Tigré (TPLF) – qui était la force dominante dans la politique éthiopienne jusqu‘à l‘élection du Premier ministre Abiy, a été marginalisé dans les accords de paix avec l‘Érythrée. C’est leur dispute avec Asmara qui a mené à la guerre frontalière de 1998-2000. Ce n’est sans doute pas une surprise si les autorités érythréennes ont savouré leur mise à l‘écart. Sauf que, le Front tigréen dispose toujours d’une force politique importante en Éthiopie, et pourrait bien contrecarrer l’accord de paix.
Fin juin, une explosion s’est produite lors d’un meeting du Premier ministre Abiy Ahmed, faisant au moins un mort et 154 blessés. Le dirigeant éthiopien avait alors accusé les “ennemis de la paix” d‘être responsables de cette attaque, sans qu’il ne cite nommément ces “ennemis”.
Quoi qu’il en soit, en dépit des déclarations et apparitions tout sourire, le chemin est encore long pour rétablir définitivement les relations complexes entre l‘Éthiopie et l‘Érythrée. Face à l’apparente bonne volonté des deux dirigeants, cette paix ne saurait être impossible.
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