Peu de créateurs de mode saoudiens peuvent se targuer d’avoir habillé le rappeur américain Snoop Dogg… et bien c’est le cas de Hatem Alakeel. Il a accordé une interview exclusive à Inspire Middle East pour évoquer les changements sociaux et économiques dont il est témoin au sein de son pays, il nous raconte aussi les sables mouvants de la mode traditionnelle.
L'art de s'exprimer : danse, mode et littérature
Le rôle économique et sociale des femmes en Arabie saoudite évolue à un rythme effréné. Ces cinq dernières années, le créateur Hatem Alakeel a accompagné les femmes à prendre position grâce à leurs vêtements.
A la place des abayas noirs, le hijab traditionnel, Hatem a créé de longues vestes inspirées du kimono, avec des cols géométriques et de la broderie… des pièces devenues iconiques à travers toute la région. Le couturier est également passé récemment derrière la caméra pour réaliser un court-métrage mettant en scène des femmes saoudiennes au volant de leurs voitures. Elles tracent la route vers l’horizon pour symboliser la prise en main de leur destin et leur indépendance au sein de la société.
L’artiste poursuit aussi son travail de création pour sa marque Toby qu’il a lancée en 2008 et qui lui a valu le surnom de « Roi des kanduras », du nom de l’habit traditionnel masculin. Un style très personnel qui a non seulement conquis les gentlemen de la région, mais pas seulement… puisque Snoop Dodd ou encore Christian Louboutin l’ont aussi adopté.
L’interview de Hatem Alakeel, grand créateur de mode saoudien
Rebecca Mclaughlin-Duane, pour Inspire Middle East : De toutes vos créations, que ce soit le prêt à porter féminin, masculin ou celui dédié aux enfants, jusqu’où vous pouvez aller ici en Arabie saoudite ?
Hatem Alakeel : Si l’on prend l’exemple du prêt à porter masculin, il y a des limites. Il y a avant tout le vêtement pratique, celui qu’on va porter au quotidien. Il n’y a que peu de robes originales, il y a la version à la Snoop Dogg, celles qu’on réserve pour les grandes occasions… Mais je focalise vraiment mon attention sur les vêtements qu’on porte au quotidien, j’aimerais les rendre encore plus pratiques.
L’abaya, ce vêtement traditionnel porté par les femmes au Moyen-Orient et souvent en Afrique du Nord, a entamé une métamorphose ces dernières années. Quel est votre point de vue en tant que créateur ?
Il y a ce côté ‘modeste’ qui est devenu tendance. Je trouve que c’est fantastique d’avoir des top models, comme Halima, connue sur les podiums internationaux comme à Milan ou à New York, qui porte fièrement les couleurs du Moyen-Orient. Elles véhiculent une nouvelle image de notre culture, une pureté de la tradition arabe.
Puisque vous travaillez et vous vivez en Arabie saoudite, je suis curieuse de savoir de quelle façon ces changements au sein de la société affectent votre quotidien…
Je pense qu’il y a plus d’opportunités qu’avant. Certaines portes étaient fermées et se sont ouvertes grâce à la diminution de la corruption dans les industries artistiques. Ce n’est plus vraiment votre nom qui compte, c’est ce que vous êtes capables de faire.
Vous pouvez me dire un mot de votre dernier film ? en particulier de cette femme au volant de sa voiture…
Nous avons choisi comme égérie Bayan Linjawi, qui symbolise la femme du nouveau millénaire : une jeune femme éduquée et entrepreneure. C’est une image pour raconter la prise de pouvoir des femmes, mais ça raconte aussi une simple histoire du quotidien : une femme qui sort de chez elle, qui part au volant de sa voiture, avec la liberté d’aller où elle veut. On peut traduire le nom arabe de cette campagne par « Maintenant, je conduis », avec en sous-texte : « Maintenant, je dirige !
En Égypte, les livres d’occasion ont la cote
Alors que l’économie n’est pas au beau fixe pour tout le monde au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, les livres représentent parfois un luxe inaccessible. Emad Makay nous raconte une initiative d’entrepreneurs égyptiens qui inventent un nouveau marché du livre.
Au square Al-Attaba se trouve le marché le plus réputé et le plus fréquenté du Caire. Il est connu pour ses produits bon marché et de qualité plutôt médiocre, et même s’il n’est pas associé à un haut lieu de la culture, il recèle un vrai trésor pour les jeunes Égyptiens : un marché du livre unique.
Le Caire est depuis des lustres l’un des cœurs culturels du Moyen-Orient. Alors que le pays fait face à de grandes difficultés économiques, avec notamment la dévaluation de la monnaie égyptienne, le marché du livre d’occasion est revenu à la mode, notamment parmi la jeune génération.
“Moi je veux juste un endroit où je peux lire des histoires, je n’ai besoin de rien d’autre ! Nous sommes étudiants et nous n’avons pas beaucoup d’argent. Ici, on peut acheter cinq ou six livres pour le prix de deux n’importe où ailleurs”, explique Ahmed Ali, étudiant égyptien.
Dans les librairies plus ‘chics’ comme Diwan, dans le quartier huppé de Zamalek, les best-sellers comme Harry Potter ou Le Journal d’un dégonflé se vendent plus de 250 pounds égyptiens, soit plus de 11 euros. Au marché d’Azbakeya, ils sont vendus pour moins de 1 euro par ouvrage.
Heba est la seule femme vendeuse de livres d’occasion dans ce marché – un commerce et une véritable passion qu’elle a hérités de son père, pour qui “les livres étaient la chose la plus importante dans la vie”.
“Je vis avec cette philosophie chaque jour. Mon père m’a appris à respecter les livres et je n’aime pas entendre quelqu’un dénigrer la littérature. J’adore les clients qui respectent les livres. Les jeunes sont de fervents lecteurs aujourd’hui, ils lisent des livres sur la confiance en soi, des romans d’amour ou d’horreur… Ils s’intéressent beaucoup plus à la culture que les anciennes générations. Que ce soit de la politique, de l’histoire, de l’économie, de la philosophie… ils lisent de tout !”, souligne Heba Karim.
Le modèle de ce marché de seconde main à Azbakeya a fait ses preuves et sa popularité ne cesse de grandir. La plus grande menace pour le marché du livre se trouve aujourd’hui sur internet, avec la possibilité de télécharger gratuitement de nombreux livres en ligne.
Mais on peut compter sur des passionnés tels que Ahmed pour vanter les vertus du papier et faire vivre le livre d’occasion : “Il n’y a aucune concurrence possible face au papier, j’adore son odeur… j’adore la couleur des pages jaunies. C’est un monde à part.”
Une danseuse hors les murs en Jordanie
Nous partons à la rencontre d’une architecte jordanienne reconvertie en danseuse, elle transforme les immeubles et les rues de la capitale Amman en scène de spectacle. Salim Essaid a pu découvrir son univers alors qu’elle tente d’enrichir la communauté artistique de sa ville.
Shireen Talhouni est danseuse contemporaine et elle pratique ce que l’on appelle la “site specific dance”, comprendre “danse hors les murs”. Pour elle, la ville, les couloirs, les gens dans la rue,… tout ce qui l’entoure fait partie de sa scène.
“Quand je suis sur une scène de théâtre, j’ai l’impression que c’est artificiel, que c’est purement décoratif. Mais avec la danse hors les murs, vous mettez en lumière votre environnement”, souligne la chorégraphe.
L’un de ces décors préférés sont les escaliers qui ponctuent les rues de la capitale jordanienne. Shireen s’est par exemple mis à la place d’une personne handicapée grâce à sa danse, en descendant les marches sans jamais relever la tête. Et ce n’est pas sa grossesse qui va l’empêcher de danser…
Alors d’où lui est venue cette idée de connecter l’environnement au mouvement ? Peut-être de sa première carrière professionnelle en tant qu’architecte… A 30 ans, la jeune femme décide en effet de se consacrer entièrement à l’art de la danse, sans abandonner pour autant ses premiers amours :
“J’adorais tout le travail de préparation : la recherche et l’observation d’un endroit pour comprendre comment les gens y vivent, mais dès qu’on arrivait à l’étape de construction, j’étais moins emballée…”
En plus d’être mère de famille, architecte et danseuse… Shireen est aussi professeure. Car c’est son objectif ultime : développer la communauté de danseurs dans sa ville.
“Ici, c’est un endroit dans Amman où l’on peut être soi-même. Vraiment soi-même. D’une manière unique par rapport au reste de la ville. On peut exprimer notre sensualité, ce qui n’est pas accepté dans notre société, en particulier pour les hommes. Pour eux, c’est une forme de honte de s’exprimer par leurs corps autrement que par des accès de colère.”
C’est une réalité pour Mustafa Al-Shalabi, jeune danseur de 20 ans. Pour lui, ce n’est pas seulement un cours de danse, c’est un moyen de s’évader de la pression quotidienne.
“Durant une heure, ici, je ne ressens aucune honte, aucun jugement, je me vide la tête. Une heure de bonheur pur. C’est comme une thérapie, moi, je danse. Danser, c’est pour tout le monde normalement, mais dans notre société, ce n’est pas le cas.”