Noms de villes ou de pays, langues, statues, les vestiges de la colonisation en Afrique sont nombreux et c’est encore un sujet sensible. En témoigne la récente polémique autour de la statue de l’ancien dirigeant colonial français Louis Faidherbe au Sénégal.
Que faire des symboles coloniaux en Afrique?
Cet exemple montre que la présence de symboles coloniaux est encore un sujet sensible. Sauf que des vestiges de la colonisation, il y en a beaucoup sur le continent. Il n’y a pas que les statues.
À commencer par les noms de villes ou de pays. Certains pays ont décidé par exemple de changer leurs noms hérités de la colonisation. C’est le cas entre autres de la Rhodésie devenue le Zimbabwe, ou des villes comme Leopoldville du nom du roi des Belges, qui est devenue Kinshasa.
Dans ce débat assez passionné, il y a d’un côté ceux qui pensent que certains vestiges de la colonisation sont une insulte et doivent être supprimés. Et de l’autre côté, il y a ceux qui estiment que cette histoire coloniale, aussi douloureuse soit-elle, ne peut pas être gommée. C’est le cas de l’historien Doulaye Konaté, il est le président de l’association des historiens Africains.
Quand on parle de vestiges et de symboles coloniaux, de quoi s’agit-il concrètement ?
La notion de vestiges est très large. Le terme signifie étymologiquement « restes », ce qui reste de quelque chose. Cela couvre une variété de choses. On peut y mettre les archives coloniales, les monuments érigés à l‘époque coloniale. Toutes ces traces de la période coloniale peuvent être assimilées à des vestiges.
Vous pensez que ces vestiges coloniaux doivent être supprimés (ou retirés des espaces publics)?
C’est une question très discutée. Personnellement, je pense que l’histoire coloniale fait partie de notre histoire, de l’Afrique. Dans la mesure ou la colonisation a duré près de 70 ans (pour l’Afrique francophone), ce n’est pas une parenthèse. Ce débat aussi a eu lieu : est-ce qu’on peut considérer la colonisation comme une simple parenthèse, dont on peut se débarrasser ? Au moment des indépendances, cette thèse a été mise en avant par les politiques.
Mais la réalité, c’est que la colonisation a marqué durablement nos sociétés. Je vous parle en français, cela fait partie de notre héritage. J’aurais bien aimé le faire en bambara, mais vous ne comprenez pas le bambara. Vous regardez la forme de nos états, nos frontières actuelles sont un héritage de la colonisation. En 1963, l’OUA a consacré ces frontières, et a décidé qu’il ne fallait pas y toucher.
Il n’est pas raisonnable de penser qu’on peut évacuer tout notre passé colonial. Attention, je ne vous parle pas des bienfaits de la colonisation, bien au contraire. Mais ce que la colonisation a laissé est une part de nous-même, cela ne sert à rien de se voiler la face.
Les conserver ne serait-ce pas une façon d’absoudre les horreurs commises pendant la colonisation ?
Ces jugements sont plus en rapport avec l’actualité qu’avec le passé. Les gens construisent une identité aujourd’hui et ils se demandent parfois quelle place le passé colonial peut avoir dans cette identité. Ce sont des questions d’actualité, ce n’est pas la colonisation le problème. Le problème, c’est de savoir qu’est ce qu’on fait aujourd’hui.
Et c’est là ou la place de ces monuments coloniaux pose problème, quelle place on accorde à la colonisation dans la construction de l’identité nationale d’un pays ?
Les vestiges qui posent problème sont les lieux de mémoire, c’est-à-dire les endroits ou la mémoire travaille, leur existence est plus liée au présent qu’au passé contrairement à ce que les gens pensent. Et je comprends que ça pose problème. Je comprends qu’autour des statues et des monuments, il y ait des problèmes.
Que faire pour les personnes qui se sentent offensées par la présence de ces monuments coloniaux ?
Le devoir de mémoire est en fait un devoir d’histoire. Les gens ont besoin de mieux connaître leur histoire. Pour s’approprier l’histoire, pour l’assumer, il faut la connaître. Les débats que vous voyez dans les espaces publics et qui sont des débats chauds concernent plus la mémoire que l’histoire. Nous les historiens faisons une distinction entre l’histoire et la mémoire.
L’histoire, c’est une construction intellectuelle qui tente de s’appuyer le mieux possible sur les traces laissées par les évènements. Alors que la mémoire relève du souvenir que l’on a des évènements. Et qui dit souvenir, dit passion et émotion. Et donc ce dont on a besoin, c’est de faire l’effort de connaître notre histoire.
Comprendre le contexte dans lequel elle a eu lieu (pourquoi les gens ont agi comme ils ont agi). Cela n’excuse pas leurs actes, mais permettrait de contenir les passions en rendant les faits intelligibles.
Ne faudrait-il pas aussi promouvoir des figures nationales historiques ?
Oui bien évidemment. Au Congo par exemple, la question s’est posée s’est posé. Comment peut-on consacrer autant d’argent pour honorer Savorgnan de Brazza avec une statue qu’on ne l’a fait pour honorer un héros Congolais ?
Les lieux de mémoire doivent prendre en compte les préoccupations des Africains. Et une de leurs préoccupations, c’est aussi d’avoir des références dans leur histoire nationale. Ces références doivent être des personnages et des modèles dans lesquels ils se reconnaissent. Il ne faut pas faire l’inverse et accrocher les Africains à un passé (qu’ils connaissent d’ailleurs très mal).