Deux ans après, la laborieuse "ouverture politique" du Burundi

Le président burundais Evariste Ndayishimiye   -  
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Réelle embellie ou simple ripolinage? Deux ans après l'élection du président Evariste Ndayishimiye, le Burundi connaît une ouverture certaine, notamment à l'international, mais les violations des droits humains continuent dans ce petit pays fermé de l'Afrique des Grands Lacs.

Ndayishimiye semble vouloir rompre avec son prédécesseur, Pierre Nkurunziza, dont le troisième mandat controversé avait déclenché à partir de 2015 une profonde crise politique, marquée par une répression féroce et l'exil de quelque 400.000 Burundais.

Ndayishimiye "a amené un souffle d'air frais sur le Burundi, c'est à mettre à son crédit" et semble "vouloir améliorer les choses", salue un diplomate en poste à Bujumbura, la capitale économique.

A son élection en mai 2020 au départ de Nkurunziza, on attend de ce cacique du CNDD-FDD, le puissant et très militaire parti au pouvoir depuis 2005, qu'il s'inscrive dans les pas du "guide suprême".

Mais Nkurunziza décède le mois suivant. Et rapidement le général "Evariste", que l'on dit "généreux" et "pas cruel", se démarque.

Son prédécesseur niait l'existence du Covid-19 dans son pays? Le nouveau président qualifie le coronavirus de "plus grand ennemi des Burundais". Nkurunziza s'était enfermé au Burundi? Ndayishimiye s'est rendu à l'ONU, à Bruxelles, à Dubaï.

-"Nettes avancées"-

"Sur l'international, c'est très clair, ce sont des avancées très nettes. Le Burundi reprend sa place sur la scène internationale alors qu'il s'était auto-isolé", observe un autre diplomate.

Début 2022, les Etats-Unis et l'Union européenne, principal bailleur du pays classé comme le plus pauvre au monde en PIB par habitant, ont annoncé la reprise de leurs aides, après une levée des sanctions économiques imposées en 2015 et 2016.

L'UE a notamment salué les "efforts" burundais en matière d'Etat de droit et bonne gouvernance - le Burundi compte parmi les 10 pays les plus corrompus, selon Amnesty International.

Des figures de la société civile sont rentrées, et la BBC a été de nouveau autorisée à émettre. Les étrangers reçoivent désormais automatiquement un visa à l'aéroport.

Ndayishimiye "fait des choses, on sent qu'il pose des pions ici et là", confirme Julien Nimubona, professeur de sciences politiques à l'université du Burundi, avant de nuancer: "Il voudrait bien aller plus loin mais il y a des résistances assez terribles."

Ces résistances ont un nom: "les généraux". Ce conclave, qui s'est connu dans le maquis quand le CNDD-FDD n'était encore qu'une rébellion hutu, est en coulisses le véritable maître du pouvoir, selon les experts.

Les généraux font contre-poids à "la dépollution du système" que devrait mener le président, auquel on connaît peu d'alliés, note M. Nimubona.

En 2021, "Evariste" laissait poindre sa solitude dans un discours: "Il y en a qui m'ont dit que je mourrai d'épuisement en cherchant à débusquer les fautes commises".

"Comment voulez-vous que je fasse puisque je n'ai trouvé personne pour m'aider parmi mes collaborateurs?"

Mais si les experts s'interrogent sur l'étendue de sa marge de manoeuvre, certains d'entre eux questionnent aussi la sincérité de celui qui reste un général parmi les généraux.

- Disparitions, tortures -

De fait, malgré les promesses, les violations des droits humains continuent. En septembre, une commission d'enquête de l'ONU affirmait que la situation restait "désastreuse" au Burundi.

"Il y a certains aspects où il n'y a eu aucune évolution, je pense notamment à la torture, aux enlèvements, aux disparitions forcées", estime Carina Tertsakian de l'Initiative pour les droits humains au Burundi (IDHB), basée à l'étranger.

Les renseignements et la ligue de jeunesse du parti, les Imbonerakure, jouent un rôle majeur dans ces exactions, dénonçait mercredi Human Rights Watch dans un rapport.

Quelques partis d'opposition, comme le CNL d'Agathon Rwasa, sont certes autorisés mais muselés par le CNDD-FDD qui se comporte en parti unique, notent les experts. La contestation, ajoutent-t-ils, vient surtout de groupes rebelles armés.

Quant à la société civile, elle se censure."Beaucoup d'organisations de la société civile, et surtout celles qui sont sur place, évitent de travailler sur les questions sensibles de gouvernance, de droits de l'Homme", admet Faustin Ndikumana, président de l'ONG Parcem.

Pour Thierry Vircoulon, spécialiste de l'Afrique centrale à l'Institut français des relations internationales (IFRI), le parti au pouvoir reste "fondamentalement autoritaire".

"Après Nkurunziza, on passe à une phase de décompression, mais ca ne change rien à l'ADN du régime", insiste-t-il.

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